Il y avait un brigand dans le désert qui, dès qu'il le pouvait, pillait les caravanes qu'il rencontrait. Il était dur, il savait faire peur, mais n'aimait pas tellement tuer. Un jour, parmi les passagers affolés du convoi qu'il s'apprêtait à rançonner, il vit une femme très belle et la désira.
Mais elle se jeta à ses pieds et, tout en larmes, lui expliqua qu'elle allait dans la grande ville voisine pour racheter son mari, jeté en prison pour dettes. Pourtant, elle n'avait pas encore la somme nécessaire. Le brigand eut pitié de cette femme, la releva, la respecta, lui donna l'argent qu'il lui fallait pour libérer son mari. Puis il la fit monter sur un cheval et l'accompagna jusqu'à la ville. Après quoi, il reprit ses occupations habituelles. Quelque temps plus tard, il attaqua une caravane, sans se douter qu'elle était protégée par des hommes en armes. Ils étaient nombreux, le combat fut bref. Le brigand fut grièvement blessé. Comme le vent de sable se levait, on ne l'acheva pas, on le laissa agonisant au bord de la piste. Déjà, haut dans le ciel, un vautour tournoyait. Dieu, qui n'abandonne personne au moment ultime, envoya alors vers lui, pour achever de séparer son âme de son corps, un ange aux ailes puissantes qu'on a coutume d'appeler "l'Ange de la Mort" .
Arrivés en ville, les hommes de la caravane annoncèrent la nouvelle : le brigand que tous redoutaient était en train de mourir dans le désert. Il était si gravement blessé qu'il ne s'en remettrait pas. En apprenant cette nouvelle, la femme que le brigand avait épargnée eut à son tour pitié et implora Dieu : "Cet homme, dit-elle, a le coeur bon. C'est un violent mais il peut mettre sa violence au service du bien et sauver des êtres en perdition, comme je l'étais moi-même dans le désert."
Dieu l'entendit. Il vit de la lumière dans le coeur de l'agonisant et donna l'ordre à l'Ange de la Mort de se retirer et de le laisser vivre.
Or, cet ange est tout entier couvert d'yeux . Et, comme il en a l'habitude lorsqu'il doit s'écarter d'un mourant, sans rien dire, sans se montrer, discrètement, il détacha d'une de ses ailes une paire d'yeux et la donna au blessé, qui fut bientôt ranimé.
Désormais, le brigand se mit à voir toutes choses autrement. Ce qui, auparavant, lui paraissait important — guetter, piller, faire la fête avec l'argent volé — lui parut soudain dérisoire. Et ce qu'il n'avait jamais remarqué, il le vit. Le vent n'était plus seulement annonciateur de brûlures ou de fraîcheur, selon qu'il venait de la montagne ou de la mer, il était le vent, tout simplement. Le frémissement de l'immense. Le souffle de Dieu, peut-être. Cette lumière que Dieu
avait vue en lui, à la prière de la femme, il la décelait lui-même dans les autres : en chacun vibrait ou tremblotait une flamme dont nul n'avait la mesure. Il fut surpris de constater qu'elle scintillait à peine chez l'évêque, pourtant beau parleur et bon prêcheur, alors qu'elle s'élançait vive chez une pauvre femme âgée, jaunie, ridée, dont tous se moquaient, mais dont la bonté semblait sans limites.
Notre homme semblait devenu fou. Parfois, quand on lui donnait un fruit, au lieu de se jeter sur lui comme autrefois, il le contemplait longuement – cette figue, par exemple, pareille à une goutte de vie ensoleillée... Pour lui, les choses, les visages s'ouvraient, partout ruisselait la lumière.
Alors, il désira monter vers la source de cette lumière. Il construisit une haute colonne sur laquelle il disposa une petite plate-forme. De là-haut, regardant avec les yeux de l'ange, il voyait le monde comme un buisson ardent, le ciel s'ouvrait à un autre soleil, le Soleil de Justice.
Bientôt, on accourut vers lui. Le soir, il descendait et regardait tous ces visages, et ses yeux se remplissaient de larmes. Il devinait les questions et des réponses lui venaient. Peut-être, à son tour, donnait-il à certains des yeux nouveaux : les yeux de l'Ange de la Mort, de l'Ange de la Résurrection.
Mais elle se jeta à ses pieds et, tout en larmes, lui expliqua qu'elle allait dans la grande ville voisine pour racheter son mari, jeté en prison pour dettes. Pourtant, elle n'avait pas encore la somme nécessaire. Le brigand eut pitié de cette femme, la releva, la respecta, lui donna l'argent qu'il lui fallait pour libérer son mari. Puis il la fit monter sur un cheval et l'accompagna jusqu'à la ville. Après quoi, il reprit ses occupations habituelles. Quelque temps plus tard, il attaqua une caravane, sans se douter qu'elle était protégée par des hommes en armes. Ils étaient nombreux, le combat fut bref. Le brigand fut grièvement blessé. Comme le vent de sable se levait, on ne l'acheva pas, on le laissa agonisant au bord de la piste. Déjà, haut dans le ciel, un vautour tournoyait. Dieu, qui n'abandonne personne au moment ultime, envoya alors vers lui, pour achever de séparer son âme de son corps, un ange aux ailes puissantes qu'on a coutume d'appeler "l'Ange de la Mort" .
Arrivés en ville, les hommes de la caravane annoncèrent la nouvelle : le brigand que tous redoutaient était en train de mourir dans le désert. Il était si gravement blessé qu'il ne s'en remettrait pas. En apprenant cette nouvelle, la femme que le brigand avait épargnée eut à son tour pitié et implora Dieu : "Cet homme, dit-elle, a le coeur bon. C'est un violent mais il peut mettre sa violence au service du bien et sauver des êtres en perdition, comme je l'étais moi-même dans le désert."
Dieu l'entendit. Il vit de la lumière dans le coeur de l'agonisant et donna l'ordre à l'Ange de la Mort de se retirer et de le laisser vivre.
Or, cet ange est tout entier couvert d'yeux . Et, comme il en a l'habitude lorsqu'il doit s'écarter d'un mourant, sans rien dire, sans se montrer, discrètement, il détacha d'une de ses ailes une paire d'yeux et la donna au blessé, qui fut bientôt ranimé.
Désormais, le brigand se mit à voir toutes choses autrement. Ce qui, auparavant, lui paraissait important — guetter, piller, faire la fête avec l'argent volé — lui parut soudain dérisoire. Et ce qu'il n'avait jamais remarqué, il le vit. Le vent n'était plus seulement annonciateur de brûlures ou de fraîcheur, selon qu'il venait de la montagne ou de la mer, il était le vent, tout simplement. Le frémissement de l'immense. Le souffle de Dieu, peut-être. Cette lumière que Dieu
avait vue en lui, à la prière de la femme, il la décelait lui-même dans les autres : en chacun vibrait ou tremblotait une flamme dont nul n'avait la mesure. Il fut surpris de constater qu'elle scintillait à peine chez l'évêque, pourtant beau parleur et bon prêcheur, alors qu'elle s'élançait vive chez une pauvre femme âgée, jaunie, ridée, dont tous se moquaient, mais dont la bonté semblait sans limites.
Notre homme semblait devenu fou. Parfois, quand on lui donnait un fruit, au lieu de se jeter sur lui comme autrefois, il le contemplait longuement – cette figue, par exemple, pareille à une goutte de vie ensoleillée... Pour lui, les choses, les visages s'ouvraient, partout ruisselait la lumière.
Alors, il désira monter vers la source de cette lumière. Il construisit une haute colonne sur laquelle il disposa une petite plate-forme. De là-haut, regardant avec les yeux de l'ange, il voyait le monde comme un buisson ardent, le ciel s'ouvrait à un autre soleil, le Soleil de Justice.
Bientôt, on accourut vers lui. Le soir, il descendait et regardait tous ces visages, et ses yeux se remplissaient de larmes. Il devinait les questions et des réponses lui venaient. Peut-être, à son tour, donnait-il à certains des yeux nouveaux : les yeux de l'Ange de la Mort, de l'Ange de la Résurrection.
(récit de la tradition chrétienne d'Orient, extrait de "Les visiteurs du ciel", Ed. Gallimard Jeunesse)
1 commentaire:
C'est beau ces récits, ces contes...
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