lundi 4 février 2008

Jules Supervielle ou le retour d'humanité

De retour du colloque sur Jules Supervielle, Prince des poètes, à Oloron-Sainte-Marie, dans lequel Sabine (dont je suis le mari) n'a pas pu s'empêcher de citer Douglas Harding, après avoir dîné avec un grand baryton, Robert Massard, j'étais plutôt en train (TGV) d'accueillir le paysage en moi. S'est alors levé, dans le compartiment, un homme aux cheveux blancs et longs. Il m'a dit "Vous allez bien ?" J'ai répondu oui, puis il m'a fait "gasho". Quand il montait l'escalier roulant, à Roissy, je l'ai fixé à travers la vitre du wagon, l'ai regardé et lui ai renvoyé Gasho. Un sourire mutuel et je dirais la première fois que je ressens l'autre, l'ami inconnu comme aurait dit Supervielle, aussi proche de mon être.


FAIRE PLACE

Disparais un instant, fais place au paysage,
Le jardin sera beau comme avant le déluge,
Sans hommes, le cactus redevient végétal,
Et tu n'as rien à voir aux racines qui cherchent
Ce qui échappera, même les yeux fermés.
Laisse l'herbe pousser en dehors de ton songe
Et puis tu reviendras voir ce qui s'est passé.

Jules Supervielle (dans les "Amis Inconnus")


"Un jour, je me trouvai par hasard dans l’Himalaya et je regardais le ciel. J’abaissai ensuite mon regard vers les montagnes, et puis vers les vallées plus proches et je vis de l’herbe. Plus près encore, je vis les pieds de Douglas et le ventre de Douglas. Et je vis que je m’arrêtais ici et qu’au-dessus de ma poitrine, il y avait l’Everest. Je m’arrêtais ici en tant que Douglas et j’étais remplacé par le paysage. J’ai simplement remarqué que je n’avais pas de tête. Fou, n’est-ce pas ? Enfin, ce n’est pas tout à fait exact, je devrais dire que je n’avais pas de tête Ici. J’en avais une, bien sûr, mais je la gardais à un mètre de moi, dans le miroir de la salle de bains. Ici, je n’avais pas de tête : à la place de ma tête j’avais le Kitchunjunga et l’Everest.
Puis j’ai pensé : quelle folie ! Bon sang, Douglas, qu’est-ce que tu t’imaginais avant d’avoir vu cela ? …que tu étais coincé dans un magma sombre, humide, collant à l’intérieur d’une boule de viande de quelques centimètres de diamètre ? Le croyais-tu vraiment ? Allons donc, Douglas, tu n’as jamais cru ça, n’est-ce pas ? Tu as toujours été grand ouvert pour accueillir le monde. Et bien sûr, c’était évident ! Lorsque j’étais petit, j’étais ainsi, grand ouvert pour accueillir le monde. Puis, quand j’ai grandi, j’ai fait quelque chose de moche, de stupide, de très impoli. Pour devenir membre du club humain, j’ai pris ce petit Douglas dans le miroir, je l’ai élargi, retourné et mis sur mes épaules, ce qui bien sûr est impossible, et je me suis baladé partout comme s’il y avait une boule de viande Ici pour empêcher le monde d’entrer. Si j’avais un ami en face de moi, je disais en silence : « Défense d’entrer ! J’en ai une ! » Mais ce n’est pas vrai, je n’en ai pas. Je ne trouve absolument rien Ici. "

(Douglas Harding, L’Immensité intérieure, éditions Accarias L’Originel, 2002, p.15-16)
extraits du colloque sur Jules Supervielle à Oloron-Sainte-marie, le 2 février 2008

2 commentaires:

Stéphane a dit…

Bonjour,
c'est ce site dense que tu alimente, Sabine, qui m'a fait découvrir Jules Supervielle et petit à petit (vraiment trés petit à trés petit) je reprends contact avec la poésie...

Mabes a dit…

Merci pour ces textes en miroir Acouphène ! Un élève récemment : "sait-on où s'arrête la conscience ?"...il y a parfois des moments-cadeau...et alors je remercie le "grand je ne sais quoi" !