mercredi 31 juillet 2024

Accompagnement et présence

 

  • QUESTION : Mon père est en train de mourir et j’ai besoin d’aide. Il a un cancer en phase terminale et j’ai très peur qu’il se mette à souffrir. J’ai envie de l’accompagner dans ce processus et j’ai très peur d’être complètement submergé.

  • ECKHART TOLLE : En fait, vous n’avez pas peur de votre père en train de mourir. Vous avez vraiment peur de vos pensées à ce sujet. Vos pensées à ce sujet créent la peur. Et je relève dans votre question que toutes les choses dont vous avez peur ne se produisent pas pour l’instant. Vous dites « j’ai peur qu’il se mette à souffrir » », « j’ai très peur d’être complètement submergé ». Toute cette peur provient de ce que vous en pensez.
  • Vous remarquerez que dans le moment réel, quand vous êtes assis auprès de lui, faites quelque chose pour lui, quand vous l’écoutez, lui parlez, il n’y a pas de peur. Vous serez capable d’être présent « ici et maintenant » et vous ne serez pas submergé par ce moment présent avec votre père mourant, mais dès que vous allez dans la tête, vous êtes submergé.
  • La plus belle chose que vous puissiez faire pour votre papa, c’est être présent pour lui, quitter le mental et permettre à cette situation, la mort, de vous amener complètement dans le moment présent. Permettez-lui – personne ne doutera que c’est un défi énorme – de vous entraîner dans la présence absolue et si vous pouvez être là pour lui, dans la présence absolue, c’est la plus belle aide que vous pouvez lui apporter. Il se peut qu’il vous rejoigne dans cette présence.
  • Ensuite, à tout moment de ce processus de mort qui pourrait prendre des semaines, des mois ou (qui sait ?) parfois un an ou deux, à chaque moment, vous pouvez être totalement là et juste faire ce que l’instant requiert. C’est la façon de vivre en toute circonstance. Ultimement, c’est vivre en étant éveillé où le moment présent est le point focal de votre attention, le reste n’étant que des choses pratiques, le passé, le futur...
  • Ici, vous pouvez donc à la fois vivre un changement d’état de conscience grâce à cela et en utilisant cette expérience douloureuse, mais qui peut aussi favoriser l’éveil... Vous l’utilisez et vous la renversez : vous retournez quelque chose qui aurait été considéré comme entièrement négatif et douloureux dans l’ancien mode de conscience. Je ne dis pas qu’il n’y a plus de douleur.
  • Même dans le moment présent, assis auprès de lui, il peut y avoir de la douleur, mais vous ne vous sentirez pas submergé. Vous sentirez la douleur, la douleur émotionnelle. Et vous acceptez cela. Ce n’est pas alors un problème qui vous submerge. C’est juste là. Vous lui permettez d’être et il y a alors un approfondissement. Vous sentez alors quelque chose au-dessous de la douleur, une paix en dessous. Il peut y avoir les deux. Il y a la douleur et il y a un sentiment plus profond de paix en dessous quand vous êtes présent.
  • Donc, le principal pour vous est de ne pas permettre à vos pensées de vous attirer hors du moment présent. En ce cas, vous n’êtes d’aucune aide pour votre papa si vous êtes plein de nervosité : « Je ne peux plus supporter ça ! ». Pourquoi est-ce insupportable ? Parce que vous êtes en train de penser à quelque chose qui n’est pas ici. Ce moment est tel qu’il est et il est simple.
  • Donc, vous pouvez mourir avec lui, mourir au faux soi. Et pour lui, la mort peut être un éveil à qui il est au-delà de la forme. Votre pratique revient donc à renoncer au futur, à renoncer au penser, lequel est le futur.

ECKHART TOLLE.TV : (Conférence Questions et réponses)
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mardi 30 juillet 2024

Pensées remises en question


Q : J'ai besoin d'un amoureux...

Byron Katie : "J'ai besoin d'un amoureux" — Est-ce vrai ?

Q : ... Non...

K : Comment réagis-tu quand tu as cette pensée que tu as besoin d'avoir un amoureux et que tu n'en as pas ?

Q : Je me sens seule et malheureuse.

K : Est-ce que la pensée "J'ai besoin d'un amoureux" t'apporte la paix ou du stress ? 

Q : Définitivement du stress.

K : Oui ! Et qui serais-tu si tu rencontrais un homme merveilleux sans la pensée que tu as besoin d'un amoureux ? 

Q : Je serais probablement très relax. 

K : Oui ! Tu serais ta propre copine idéale et il serait un bonus. Tu es ce que tu cherches.

Alors, "J'ai besoin d'un amoureux" — Retourne la phrase...

Q : Je n'ai pas besoin d'un amoureux.

K : Bingo ! Réalité ! Et comment je sais que je n'ai pas besoin d'un amoureux ? Parce que je n'en ai pas. 

Cette pensée peut revenir, car les pensées n'arrêteront pas, mais jusqu'à ce que je rencontre mes pensées avec un amour inconditionnel, je ne peux pas le rencontrer lui avec un amour inconditionnel, car il va me dire ce que je n'ai pas encore regardé en moi. Et je vais essayer de taire ces pensées avec la méditation, avec les médicaments, l'alcool, la nourriture, les achats... et les pensées ne s'arrêteront pas. 

Mais quand je remets mes pensées en question, c'est une chose merveilleuse, c'est comme l'amour inconditionnel. Et après, l'autre peut me dire n'importe quoi et il ne peut pas devenir mon ennemi, parce qu'il ne peut me dire que ce que j'ai déjà pensé, et ce que le monde a pensé ; il n'y a pas de nouvelles pensées stressantes. Et de vivre dans un monde où je n'ai pas besoin d'un partenaire, c'est être ouvert à tous les êtres humains, aux chats, aux chiens et aux arbres. 

Aussi, cela te laisse ouverte à tous les hommes dans ta vie, et quand il y en a un qui te dit : "Tu es vraiment une femme magnifique", tu n'as pas besoin de le marier juste parce qu'il t'a flattée. Tu vas te dire à toi-même : "Ouais, il a raison !" 

~ Byron Katie

(extrait d'une vidéo en anglais)

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lundi 29 juillet 2024

"Redescendre"

 "Toujours dans ce numéro 90 de la revue Diérèse, je suis très heureuse et honorée d'y voir apparaître une dizaine de mes poèmes encore inédits, tous accueillis par Daniel Martinez, que je remercie de tout cœur. "

En voici trois extraits :



Au profond de l’épreuve
cet éblouissement :
jamais le plus petit lambeau
de ce qui me compose
ne me livra de guerre
*










Les peaux mortes des branches
mémoire accumulée
au sol comme un nuage
sur le regard brûlant
corps à décapsuler
je veux simplement voir :
feuilles tombées dans l'herbe
*






Nos pas ponctuent le jour
sa courbe continue
ombre comprise
le ciel la pluie tout se déroule
respiration des flammes
des animaux des hommes
vagues du vent des branches
s’écoule jusqu’en bas
la nuit ne fige rien


(Sabine Dewulf)

Source des illustrations (absentes de la revue mais composées pour mes poèmes) : Marie Dewulf

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dimanche 28 juillet 2024

Au cœur de l'ombre

  Quand nos ombres se lâchent et s'embrassent…


rosier Sainte Thérèse

Le soleil
Ne sait rien de l'ombre.
E. Guillevic
(Du domaine, p.108, Poésie/Gallimard)

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Ame vivante

 


L'art de vivre consiste à garder intact le sentiment de la vie et à ne jamais déserter le point d'émerveillement et de sidération qui seul permet à l'âme de voir.
— Christian Bobin
Illustration @Sempé
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samedi 27 juillet 2024

Humanité

 Celui qui comprend que nous sommes tous reliés agit différemment…

C'est dans l'acceptation de nos différences que nous trouvons un point commun.

La vie est un trésor.


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jeudi 25 juillet 2024

Chemin qui nous retourne



 "Ce qui paraît à tant d'entre nous, dans certaines cultures, à tant d'époques, un exil sur terre, le fait d'être cousu dans ce sac de peau, prison terrible lorsque la souffrance en devient le geôlier, tout cela peut, par un retournement imprévisible, s'avérer chemin de délivrance et de lumière. "

 Christiane Singer


photos du jardin (juillet 2024)

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mercredi 24 juillet 2024

Retour à soi

Un beau cadeau d'anniversaire que ce livre reçu ! Une nouvelle année qui offrira un profond voyage (hexagramme 56) intérieur.

Merci à José Le Roy avec qui j'ai déjà pu partager de belles expériences d'ouverture...


"On pourrait dire que notre désir d'absolu est une profonde nostalgie de 'retour à la maison' qui subsiste en nous à l'état latent, sans que nous n'en comprenions bien le sens."

Jean Klein


"L'espace ainsi dévoilé nous montre que notre maison est infiniment accueillante. Cette maison n'a aucune préférence ; elle propose un accueil inconditionnel pour tout ce qui surgit dans l'instant."

José Le Roy



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mardi 23 juillet 2024

De tout, il resta trois choses


 De tout, il resta trois choses
 :

La certitude que tout était en train de commencer,

la certitude qu’il fallait continuer,

la certitude que cela serait interrompu avant que d’être terminé.

Faire de l’interruption, un nouveau chemin,

faire de la chute, un pas de danse,

faire de la peur, un escalier,

du rêve, un pont,

de la recherche…

une rencontre.

Fernando Pessoa

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lundi 22 juillet 2024

Ne tirez pas sur le bonheur !

 Aujourd’hui, nous parlons d’un sujet qui fait du bien : le bonheur. Allez, commençons par une petite revue de littérature.


Friedrich Nietzsche “Le bonheur ? Un but mesquin d’homme faible…”

Charles Baudelaire, dans une lettre adressée à un certain Jules Janin : “Vous êtes heureux. Je vous plains, Monsieur, d’être si facilement heureux. Faut-il qu’un homme soit tombé bas pour se croire heureux ! Je vous plains, et j’estime ma mauvaise humeur plus distinguée que votre béatitude.”

Gustave Flaubert : “Bonheur : as-tu réfléchi combien cet horrible mot a fait couler de larmes ? Sans ce mot-là, on dormirait plus tranquille et l’on vivrait à l’aise”.

Arthur Rimbaud : “Le bonheur est un désastre”.

Michel Houellebecq : “N’ayez pas peur du bonheur ; il n’existe pas”

Eh ben… Voilà de quoi donner raison à Aristote, quand il écrit : “Contrairement à tous les autres biens que l’on recherche en vue d’autre chose, le bonheur est recherché pour lui-même : il est le souverain bien. C’est sur la nature et la définition de ce en quoi il consiste qu’il n’y a pas accord.”

Effectivement, il n’y a pas d’accord sur la nature et la définition, ni sur l’importance et le rôle du bonheur… Mais il y a quand même, me semble-t-il, deux certitudes.

La première certitude, c’est qu’a priori, dans l’absolu, tout le monde préfère le bonheur au malheur ; du moins quand il s’agit de l’éprouver et non d’en causer. Chaque humain s’éveille le matin en souhaitant passer une journée plutôt heureuse, et non en espérant une journée de galères et d’adversités.

La seconde certitude, c’est que chacun sait que la vie est difficile, et que le malheur, les galères et les adversités s’y inviteront, quoi que nous fassions.

Et la conséquence de ces deux certitudes, c’est que le bonheur n’est pas une option mais une nécessité. Il n’est pas un petit plus, un petit luxe, il n’est pas un écran ou un refuge qui nous permettrait d’éviter le malheur, mais il est le carburant de la vie, la source d’énergie qui nous permet de traverser les épreuves. Il n’est pas une naïveté mais une lucidité.

Si, comme le pense Jules Renard, « le bonheur c’est du malheur qui se repose », alors le bonheur c’est ce qui nous permet de mieux affronter les périodes de retour du malheur.

Quand on sait que le bonheur existe, quand on l’a déjà vécu, alors la traversée du malheur sera un peu moins hasardeuse et périlleuse, un peu moins désespérante. Et sera peut-être même féconde.

C’était en tout cas la conviction de Nietzsche : « Quiconque confie au papier ce dont il souffre devient un auteur mélancolique ; mais il devient un auteur sérieux lorsqu’il nous dit ce dont il a souffert, et pourquoi il se trouve à présent dans la joie. »

Ce n’est pas le malheur qui nous rend créatifs et lucides, c’est la traversée du malheur suivie par le retour du bonheur.

Voilà pourquoi la quête du bonheur est une affaire sérieuse : une affaire qui nous permet d’affronter l’adversité et d’en tirer, éventuellement, quelques enseignements…

Christophe André

Illustration : un kangourou au comble du bonheur (par Anu Garg).

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dimanche 21 juillet 2024

Sous l'aile du silence

 


"Il faut tant de silences pour rejoindre le silence. Tant d'abandon pour recueillir une poignée de présence - pas plus grosse qu'un cœur d'oiseau - incommensurable sous le front enfin lisse et tranquille."

Philippe Mac Leod - Variations sur le silence

aquarelle: Ping



"Nous sommes au commencement du monde, toujours au commencement de la création. Chaque battement de notre cœur peut susciter une nouvelle étoile; chaque battement de cœur peut susciter une liberté encore endormie; chaque battement de notre cœur peut rayonner sur toute l’histoire et sur toutes les galaxies. Pourvu justement que nous entrions dans ce silence infini où l’on n’est plus qu’à l’écoute du silence éternel…

….Cette présence cachée, présence diaphane, est une présence réelle qui ne s’impose jamais mais qui est offerte à tous comme une invitation à découvrir cet immense secret d’amour caché au fond de toute conscience humaine…

La vie à tous les degrés ne peut conquérir sa valeur que dans le silence et le recueillement. Si cela est vrai de la vie physique, combien plus l’est-ce de la vie spirituelle…

Maurice Zundel

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samedi 20 juillet 2024

Qui je suis...



 ” Je ne pourrais pas dire qui je suis. Je n'en ai pas la moindre idée. Je suis quelqu'un sans origine, sans histoire, sans pays et j'y tiens. Je suis là, je suis libre, je peux tout m'imaginer. Tous est possible. Je n'ai qu'à lever les yeux et je redeviens le monde. (…). ”

~ réplique du film “Les Ailes du Désir, réalisé par Wim Wenders à Berlin. Prix de la mise en scène Festival de Cannes 1987.

Le titre original du film est « Der Himmel über Berlin » (le Ciel au-dessus de Berlin)

- photo des acteurs-Anges inoubliables Otto Sanders and Bruno Ganz ❤️

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vendredi 19 juillet 2024

Regarder


Vous devez comprendre la vie dans son ensemble, et non pas seulement une petite partie. C'est pourquoi vous devez lire, c'est pourquoi vous devez regarder le ciel, c'est pourquoi vous devez chanter, danser, écrire des poèmes et souffrir, car tout cela est la vie.

Si vous avez trente minutes de libres cet après-midi, regardez un arbre ou une fleur, ou votre femme ou votre mari. Regardez. Ne faites que regarder.

~ Jiddu Krishnamurti

(via Sanjay Sanghvi)

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jeudi 18 juillet 2024

Couper la haine à la racine

 Mes chers amis,


La haine qui est de l'aversion poussée à son paroxysme est un poison puissant pour chacun de nous car elle risque d'aboutir à de la colère qui fait du tort à tout le monde, à moi comme aux autres, une émotion perturbatrice qui échappe complètement à notre contrôle.

Quelqu'un peut-il souhaiter, le matin en s'éveillant, éprouver de la haine toute la journée, que surtout cette haine ne s'arrête pas et si possible qu'elle s'amplifie.

La haine aboutit immanquablement à du mal être pour nous-même. Nous pouvons croire que la haine et la colère vont nous faire du bien sur le moment, mais ces émotions vont juste agiter notre esprit et perturber cette paix intérieure terrain sur lequel le bien être peut se développer.

La haine se développe toujours à partir d'un ressenti "je n'aime pas, je ne veux pas cela".

Ce ressenti s'exprime sous la forme d'une pensée.

Pouvons nous essayer de voir la façon dont cette pensée s'est construite. Qui a construit cette pensée ? Où a t elle été construite ? Où a t elle surgi, où s'est-elle manifestée ? Puis-je attraper cette pensée ? Par où pourrais-je l'attraper ? Quelle est la forme et/ou la couleur de la pensée ? De quoi est-elle faite, a t elle une substance ?

Une pensée peut-elle rester fixe, ou est-elle comme une rivière, jamais constituée de la même eau ?

Quand la pensée n'est plus là, où a t elle disparu ? A-t-elle laissé une trace, si oui où ? La trace ne serait elle pas simplement une autre pensée sur laquelle on peut appliquer le même processus d'analyse.

Existe-t-il une poubelle à pensée ? elle serait bien pleine !

Mon expérience est que les pensées ne viennent de nulle part, ne séjournent nulle part, sont insubstantielles et disparaissent sans laisser de trace. Ce processus d'analyse permet de couper l'aversion à sa racine et donc d'empêcher la haine de se développer. On peut alors simplement laisser l'esprit se poser en lui-même afin qu'il puisse manifester ses qualités, qui sont les qualités de notre nature de bouddha, les qualités du divin en nous.

Je ne fais ici que vous proposer un processus possible pour diminuer la haine qui peut encore parfois jaillir au fond de nous, cela me semble important.

Avec ma profonde amitié pour vous tous.

Philippe Fabri

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mercredi 17 juillet 2024

Longueur d'onde


Le succès ou l’échec de ton existence dépend de la longueur d’onde à laquelle tu te connectes.
Kodo Sawaki
cette fréquence
émet en continu
elle ne dit rien
elle ne diffuse qu’elle même
elle est le salut
le repos
le vert pâturage où s‘ébattre
elle ne se conçoit ni ne s’explique
et cependant elle est le sens
elle absorbe le chaos
le babil incessant
les pleurs et les grincements de dents
elle est l’issue
elle défait l’absurde
elle est mon horizon
ma santé et ma raison
travailler rencontrer créer
parler se taire décider
à partir d’elle en elle
est bien l’unique enjeu

Gilles Farcet

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mardi 16 juillet 2024

La vérité de la rose...

 

Chaque instant peut ouvrir notre regard...




Chacun de nos pas effleure l'instant...


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photos du jardin prises dimanche 14 juillet
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lundi 15 juillet 2024

Essence et existence



Inévitablement « L’homme vit sa vie dans deux dimensions » nous dit K.G. Dürckheim, qui nous rappelle aussi que la complétude de l’être humain se réalise « avec un pied dans l’existence et un pied dans l’essence ».

L’existence, domaine du faire, de la conscience rationnelle, de la réussite dans le monde, et l’Essence, domaine du laisser-faire, de la conscience océanique, de notre vraie nature immuable et indépendante des circonstances, sont souvent opposées l’une à l’autre.

Il est très difficile de s’imaginer vivre une existence humaine autrement qu’à travers la seule approche d’un moi accaparé par la réussite dans le monde.

La possibilité même d’un autre épanouissement appelé « Percée de l’Être », « Eclosion de notre vraie nature », « Plus haute possibilité humaine », n’est même souvent jamais envisagée.

L’image de la vague et de l’Océan, paraissant deux entités séparées mais en réalité de même nature, est souvent employée pour décrire ces deux aspects de l’existence, sans lesquels l’être humain ne serait pas complet, unifié et apaisé.

La plupart du temps, mettant allègrement de côté notre profondeur, nous ne vivons pas, nous nous contentons de gérer notre existence. « Il faut que » et « je dois » sont sans doute les débuts de phrase les plus utilisés dans une journée.

« Il faut que » : je sois utile, rentable et performant dans toutes mes activités, et « je dois » organiser rationnellement mon temps, mon énergie afin de faire face à mes obligations, et caser la multitude de choses à faire.

Cette manière de mener son existence, vécue sous le signe du devoir faire et du contrôle, est une vie où l’être humain ne peut compter que sur lui-même, sa volonté et ses propres forces. Ainsi,

« Moi », je suis vague isolée parcourant l’existence en luttant, coupée de la nature de l’Océan qui me porte, m’anime et me relie à tout ce qui vit.

Graf Dürckheim, il y a quelques décennies, parlait déjà de notre fascination pour l’homme d’action : « On dit : c’est un homme d’action ! C’est une parole bien d’aujourd’hui, mais il y a un excès du faire qui élimine la chance du devenir… »

Le besoin compulsif de faire par nous-mêmes, fonctionnement égocentré, nous empêche donc de nous relier à notre être véritable et de sentir les lois du devenir propres à l’être vivant que nous sommes. Lois qui nous maintiennent sur le chemin de transformation et de maturation permanent qu’est Vivre, lois qui nous relient à la profondeur de l’Océan.

Ce que K.G.Dürckheim nomme « chance du devenir », c’est remettre au centre de l’existence humaine le lien à « la Grande Vie ». Il ne s’agit pas d’opposer essence et existence, ces deux aspects de la vie humaine, mais de les réunir en redécouvrant, tout en vivant notre existence de vague, le lien à l’Océan que nous sommes. « Quel mystère, je respire, et je n’y suis pour rien ! »

En tant qu’être humain, je peux redevenir conscient que mes forces profondes, ma vraie nature ne m’appartiennent pas, et reposent sur ce que je ne peux pas faire, « l’infaisable », ce qui est déjà là avant les « il faut que » et les « je dois ».

Cette autre manière d’être nous ouvre à la source de ce que nous sommes déjà, développement impersonnel de la vie en nous, indépendante de ce que nous gagnons par nos efforts, que nous aimons appeler développement personnel.

Nous passons de l’insatiable désir de possession égocentré, à la reconnaissance immédiate de notre complétude, un Être s’accomplissant sous une forme individuelle de vague, relié encore et toujours à l’Océan.


Ainsi, vivre n’est pas qu’une accumulation d’avoirs, de savoirs, de pouvoirs à notre service, mais un don originel toujours en action, en devenir, qui dépasse la seule identification à cet être de raison boulimique, l’ego, qui emprisonne et fige notre vraie nature.

Cette chance du devenir nous parle très concrètement d’une autre possibilité de vivre notre existence, en contact avec le point d’appui inébranlable, immuable qu’est le lien à l’Océan, notre nature essentielle, de laquelle nait et se nourrit notre individualité de vague. Dans le langage du corps vivant, ce point d’appui individuel s’appelle Hara, centre vital de l’être humain.

« En Za-zen, je n’ai pas à me transformer, mais à reconnaitre, accepter, favoriser une transformation naturelle voulue par la vie ; ainsi je me donne à ce qui m’est donné ». J. Castermane

Toujours, lorsque nous pratiquons un exercice sur la voie du zen, il s’agit de reconnaitre qu’une action plonge ses racines dans le non-faire, le non-égo, dont la source est le bassin, le bas-ventre, siège des forces vitales, du renouvellement, de « la transformation sans arrêt de la forme corporelle ».

Joël PAUL

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dimanche 14 juillet 2024

La sagesse au sommet


Au Pakistan, au cœur des géants himalayens, la Tour Sans Nom du massif du Trango s’élève à 6 240 m d’altitude. Avec mon compagnon, Arnaud Petit, nous grimpons cette aiguille de granit en escalade pure, où seul le couloir d’approche contient de petits passages de glace et de neige. Nous installons notre bivouac, perchés à 6 000 m sur une petite vire enneigée. Le lieu est plutôt austère mais un sentiment de communion avec la nature m’envahit. Le soir tombe sur les glaciers alentour, avec ses couleurs pastel. Il est de ces moments où le temps se dilate. Je suis heureuse.

Je ressens cette forme de plénitude, d’abandon de soi. Nous sommes en 2005. Je crois que le fait d’être entourée de paysages grandioses, à cette époque de ma vie, me permet de me sentir reliée au monde. Désormais, j’ai la chance de m’y sentir connectée sans prendre autant de risques !

Aujourd’hui, à 48 ans, je ne grimpe plus comme je grimpais autour de mes 30 ans, quand j’étais en quête de performance, mais plutôt dans une recherche de fluidité, d’harmonie entre le souffle et le geste. C’est une façon de retrouver sa juste place au cœur du vivant : arriver au sommet d’une voie et, simplement, se retourner. Me sentir en accord avec mon environnement, voir le paysage qui se déploie d’une manière totalement différente. Tout cela me fascine, c’est un émerveillement constant.

De la formation de yoga que j’ai effectuée à un tournant de ma vie de grimpeuse — j’étais alors dans une forme d’hyperactivité —, je conserve cette notion de l’agir gratuit, sans attendre les fruits de l’action. Je suis récompensée par la beauté du geste fait pour lui-même. Les lettrés chinois parlent du non-agir, que j’ai d’abord compris comme une forme de contemplation passive. Il s’agit plutôt d’agir dans le flux, dans une sorte de « cours de la vie » spontané.

C’est ce que je recherche dans mon escalade : ne plus être dans une lutte, même s’il faut bien sûr s’agripper, mais essayer plutôt de faire corps avec les éléments, avec la roche, et ressentir ce plaisir de l’ascension légère.

La puissance du « grand tout »

Je ne me revendique pas d’une confession religieuse. S’il fallait définir ma croyance, je serais plutôt agnostique. Mais je me sens profondément reliée à la nature. Plus je vis dans mon jardin, plus je grimpe, plus j’observe la beauté du monde, la forme des rochers, la spirale d’un escargot, l’arborescence des fougères qui résonne avec celle des arbres, jusqu’à nos propres veines… Tout fait écho. Finalement, je me dis qu’il y a un ordre, un sens à tout cela.

Sans mettre dessus le mot de Dieu, je le définirais plutôt comme un « grand tout ». Ma foi à moi, si foi il y a, serait plutôt spinoziste, dans une forme d’immanence. Avec cette certitude que, connectés à notre environnement, en lien avec les oiseaux, les pierres et l’eau des ruisseaux, nous ne sommes jamais seuls, nous pouvons avoir confiance en la vie ; car tout se poursuit, selon ces cycles de vie et de mort qui sont autant de renaissances perpétuelles.

Livrée à la force des éléments

J’adhère à une spiritualité sauvage. Je me sens intuitivement attirée par la philosophie des peuples premiers, des personnes qui vivent au quotidien avec la nature, qui doivent survivre avec elle.

Mes expériences m’ont confrontée à l’inconfort, par moments au danger. Cela m’a fait prendre conscience de la fragilité de notre place dans le monde. Nous ne sommes plus, à ce moment-là, des hommes et des femmes tout-puissants ayant le sentiment de pouvoir contrôler tout un cocon protecteur autour de nous grâce à notre téléphone… Au contraire, nous sommes par moments livrés à la force des éléments, à la pluie, aux orages, dont j’ai très peur d’ailleurs !

Ce sens des limites m’a aussi été donné au fil des années par ma santé fragile — je suis asthmatique depuis l’enfance. Et par un accident dans le Haut Atlas, au Maroc, où j’ai failli mourir d’une chute au-dessus d’une falaise. Je me suis retenue in extremis. C’était en 2007 et, après cet épisode, j’ai ressenti le besoin de ralentir. À force de faire des ascensions de plus en plus risquées j’en étais venue à ressentir un sentiment d’invincibilité. Cette chute et certains échecs m’ont appris à renouer avec une pratique plus saine de ma passion et à me poser les bonnes questions : pourquoi grimpes-tu ? Qu’est-ce qui te meut ?

L’escalade est à l’image de la vie. C’est un cheminement. Si nous ne sommes pas capables de le savourer avec tous nos sens, nous passons sans doute à côté de beaucoup de choses. Il ne s’agit pas d’une recherche spirituelle à proprement parler, mais d’une nécessité d’être en lien. Ma spiritualité se trouve dans cet essentiel, dans ce souffle qui traverse toute chose, avec ce sentiment que tout est modelé par cet élan de vie qui nous anime tous et nous dépasse.

Les montagnes, ces cathédrales vivantes


L’escalade me guide. Dans ma construction personnelle, cela a été quelque chose de très évident. Moi qui suis plutôt d’un tempérament rêveur, dès mon enfance dans les Hautes-Alpes, le toucher du calcaire de la falaise de Ceüse m’a mise en lien avec le réel. Quoi de plus concret que la pierre ! Il faut trouver des prises, caresser, effleurer, sentir ce sur quoi on peut s’agripper. Résoudre pas à pas de minuscules problèmes et rester concentré.

Mes lieux sacrés sont ces rochers ; les montagnes, des cathédrales vivantes. Je fais naturellement ce parallèle avec les chapelles ou temples bâtis par les hommes, dont les fondations sont souvent des socles naturels de rochers.

Goût pour le détail

En commençant à grimper, la beauté est une des premières choses qui m’a touchée. Celle du paysage et des choses minuscules qu’il m’était donné de contempler. J’ai gardé ce goût pour le détail, les choses ténues, quasiment invisibles. Comme la flore de la paroi et ces petits coussins de fleurs, les silènes acaules, que l’on trouve sur le sommet du Grand Capucin, dans le massif du Mont-Blanc.

Toute cette beauté nous entoure et nous nourrit. Il faut en être conscient et en éprouver de la gratitude. Pour moi, cela consiste à essayer de vivre aujourd’hui plus lentement, plus simplement. Temps et silence : deux éléments qui sont devenus des luxes aujourd’hui.

On peut grimper selon les âges de la vie de diverses manières. J’ai eu la chance de traverser toutes les disciplines, de la grimpe spontanée, enfant, au sport de haut niveau et à l’ascension de hautes parois, jusqu’à une pratique plus « contempl-active ». Notamment durant certaines aventures au long cours, partagées avec mon compagnon.

Au Venezuela, nous avons passé 15 jours à gravir la paroi du Salto Ángel, la plus haute chute d’eau du monde, entourés de quatre coéquipiers. Je me souviens d’une pluie diluvienne durant une nuit de bivouac. La cascade s’est mise à enfler. Totalement aspergés, nous avions l’impression d’être des marins en haute mer.

Vivre ces expériences-là rend plus humble. Nous restons des êtres humains avec un corps vulnérable. On apprend aussi le renoncement : où met-on le curseur en terme de risque ? L’escalade m’a apporté une connaissance plus fine de moi-même, dans un perpétuel ajustement entre retour à soi et retour au monde.

Resserrer son regard


Je me souviens de cette fissure large aux États-Unis, où je me suis retrouvée tétanisée par la peur. La chute pouvait être mortelle. Pour avancer, j’ai simplement resserré mon regard et recentré ma respiration au niveau du ventre. J’ai changé mon pouce d’inclinaison, j’ai tourné mon épaule, j’ai soudain aperçu une prise de pied sur laquelle pousser et je m’en suis sortie. Cela m’a éclairée sur le fait que dans le quotidien, quand on est piégé dans un tunnel d’obligations, on perd ce témoin qu’on a en soi, cette capacité de détachement. D’abord, resserrer son regard sur ce qu’on peut faire dans l’immédiat pour aller mieux, afin de retrouver une vision globale…

L’escalade et la vie m’ont enseigné que si l’on ne s’autorise pas à dépasser certaines de nos peurs de temps en temps, nous risquons de passer à côté de très belles choses. Des peurs, nous en avons tous. Les miennes peuvent paraître dérisoires à d’autres. Ne craignant pas le vide, j’ai été capable d’affronter des risques qui feraient frémir beaucoup de personnes tandis que je me sens handicapée dans certaines situations sociales tout à fait banales mais trop bruyantes pour moi.

Certains me disent : « Je ne pourrais jamais faire de l’escalade, j’ai le vertige. » Je veux leur dire : « Essayez ! » Lorsque nous avons le désir d’expérimenter quelque chose, nous sommes capables de bien plus que ce que nous imaginons.

Stéphanie Bodet

Source : La Vie

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