dimanche 16 mars 2025

Digne et souple comme le bambou

La poésie orientale fait de la nature une source de philosophie quotidienne. Notre chroniqueuse puise dans la symbolique du bambou et des pratiques d’énergie de quoi inspirer le commencement du carême.

Par Élisabeth Marshall


Un océan végétal à perte de vue. Une forêt de vert tendre, parcourue d’ondulations douces au gré du vent. Il y a bientôt un an, à l’aube du printemps, je contemplais la Mer de bambous, un lieu mythique du sud de la Chine. J’apprenais que cette plante qui a pris racine dans l’empire céleste avant de parer nos jardineries d’exotisme est en Orient un bien précieux et un emblème.

La rectitude exemplaire

Le bambou sert à tout : nourrir, bâtir, soigner. Droit et souple, il symbolise cet humain digne et tolérant qui a grandi à la lumière de Confucius et de Lao-tseu. La tige aux nœuds réguliers, érigée comme une colonne, figure la rectitude exemplaire ; le feuillage souple et aérien rappelle la nécessaire bienveillance à maintenir dans l’existence.

En pratiquant le qi gong, cet art de l’énergie en mouvement, j’ai mieux compris combien l’imaginaire poétique de la philosophie taoïste, profondément inspiré par la nature, peut nous aider à cultiver les vertus. La verticalité semble pour nous une évidence, mais, si nous traversons un épisode de fragilité ou que nous observons la marche balbutiante d’un tout-petit, nous mesurons mieux toute l’énergie et l’équilibre qu’il faut déployer pour rester debout.

L'appui d’un regard de confiance

Je pense à la détermination joyeuse de Joanne, la benjamine de mes petits-enfants. Lâchant ses appuis, voici qu’elle tente seule ses premiers pas. Chancelante sur ses jambes et surprise elle-même par son audace, elle est comme tendue vers le monde.

À mon tour, je m’interroge : qu’est-ce qui me tient debout et me fait avancer dans l’existence ? L’espoir chaque matin renouvelé, la soif d’apprendre et de découvrir, l’aspiration à être heureuse et à rendre heureux ceux qui m’entourent… ou peut-être encore l’appui d’un regard de confiance, d’une parole juste, donnée ou reçue, qui d’un coup me relève et me tient.

Tout aussi vital que le maintien solide de mes valeurs est le travail intérieur qui me gardera agile de corps et bienveillante d’esprit. Là encore, le corps m’enseigne. Courbures, flexions, rotations… Ma gymnastique du matin, qui détend les articulations, me guide vers la nécessaire souplesse à entretenir dans les épaules, les hanches, les genoux. C’est aussi pour moi l’image de la fluidité du geste et du cœur à cultiver en soi pour éviter toute raideur ou aigreur de pensée.

Rester flexible


Accueillir sans rechigner le goût neuf de chaque jour, ne pas bouder les occasions de s’ouvrir à d’autres joies, d’autres croyances ou d’autres façons de voir. Comme la tige gracile de la plante, rester flexible dans les changements de vent. Vivre, en somme, sans figer nos corps ni nos sentiments.

Alors, en ce début de carême, pour conjuguer droiture et souplesse, laissons-nous inspirer par la sagesse du bambou. Appuyés sur la Parole et la prière, mais ouverts à l’inédit qu’elles pourront nous souffler. Fidèles à nos résolutions, mais souples dans leurs applications. On pourra s’aider en méditant ce proverbe portugais, cité par Paul Claudel en épigraphe de son drame poétique le Soulier de satin : « Dieu écrit droit avec des lignes courbes. »

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source : La Vie

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