samedi 22 février 2025

« Le temps nous pose la question de notre limitation »


 En ce moment, étant en lien avec de très vieilles personnes, je suis confrontée à la question du temps. Le temps à notre époque joue un drôle de jeu. On voit ceux qui courent après lui toute la journée : les adultes pris dans les multiples obligations de leur travail et de leur vie quotidienne, avec le sentiment de s’oublier et les enfants qui enchaînent l’école, les devoirs, les activités, sans avoir de répit pour rêver.

De l’autre côté, il y a ceux pour qui le temps s’étire lentement, invariablement, sans en voir la fin que pourtant ils redoutent. Le temps nous est-il contraire pour qu’il ne soit jamais un allié ? Pourquoi sommes-nous de plus en plus prisonniers des caprices de son cours débordant ou aride alors que, paradoxalement, nous vivons dans une société où de nombreuses tâches sont effectuées sans avoir besoin de notre intervention par des machines et avec rapidité ? Selon la Genèse, nous avons été créés libres et nous sommes de plus en plus entravés dans les filets du monde.

L’hiver de la contemplation

Le printemps s’annonce. Nous sommes à l’aube de la saison du renouveau. La nature va reverdir, elle va exploser de fleurs et de fruits après ce long passage de l’hiver où tout s’est arrêté. Dans la terre froide, les graines ont germé, sans pousser, sans mouvement apparent vers l’extérieur. Elles ont fermenté, se sont ouvertes pour se débarrasser de leurs vieilles coques avant de laisser émerger la nouvelle pousse.


Ce moment de réflexion de la nature me semble un grand enseignement. Pour arrêter les chevaux impétueux du temps ou comprendre pourquoi il s’étire au moment où nos corps sont diminués et ne répondent plus à nos envies passées, il faut passer par l’hiver de la contemplation : s’asseoir et méditer, prier, abandonner la partie, laisser le jeu se faire sans nous, regarder.

Dans cette simple attitude, on mesure combien on veut toujours diriger les choses alors qu’au fond on ne maîtrise rien. Et si l’on prenait le risque d’être imparfait, de ne pas toujours devancer ce que l’on croit essentiel à notre bonheur, lâcher une partie de nos projets. Et si l’on finissait de subir le temps en le considérant non comme un ennemi mais comme le garant de notre éveil, de nos émerveillements face à l’éphémère du monde, de notre évolution spirituelle puisque, ici, tout passe mais au-delà tout demeure ?

Si on fait ce pas de côté, on prend conscience que le temps nous pose la question de notre limitation. Il est compté. Le tic-tac avance inexorablement. D’où cette attitude de fuite, de course effrénée ou de volonté de freiner l’inexorable de notre fin. Si le temps est mon allié, je profite de son enseignement pour cultiver mes jours, éclairer mes zones d’ombre, combattre mes animaux intérieurs, accueillir ce qui m’arrive comme un don. Le temps oblige à un travail de conscience pour ne pas pâtir de ce qui ne revient plus, se détacher du passé, observer ce que la richesse du présent apporte chaque jour.

Dans une des histoires de Winnie l’ourson que je lisais un soir à une petite fille, le petit ours pose une question à son ami Porcelet : « Quel jour est-on ? » Il répond : « On est aujourd’hui. » Et Winnie conclut : « C’est mon jour préféré. » Ainsi une comptine pour enfants est une leçon de philosophie ! J’ai envie de dire à mes chères vieilles personnes : ne tombez pas dans le piège des regrets, vous êtes le sel de la terre. Il révèle le suc de la vie. La sagesse est le sel. Elle ne s’acquiert qu’avec le temps, le précieux temps qui est compté alors que la vie est sans limite.

Paule Amblard - Historienne de l’art, spécialisée dans l’art médiéval et la symbolique chrétienne

Source : La Vie

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