dimanche 27 mars 2022

Dépasser le bruit


 La guerre. Une manif qui dérape. Une catastrophe, un incendie. Une maison ou un pont qui s’écroule. Des morts. Les informations ne s’occupent que de ce qui fait du bruit. On ne peut le reprocher à personne. Le système médiatique est fondé sur le bruit, sur l’importance de la rumeur : c’est le principe même du buzz. On vous livre les faits, quantité de faits, venant de plus en plus loin, des confins de la planète ou de l’Univers, mais vous seul devez en trouver le sens.

Le sens vous appartient

Dans un système totalitaire, l’information vous livre aussi le sens, aussitôt, et c’est rassurant : la guerre est juste, l’émeute a été rapidement réprimée, l’incendie contenu, l’incendiaire puni. Une enquête est en cours pour comprendre comment le pont ou la maison a pu s’effondrer. Il ne faut pas construire sa maison trop près de la rivière ! « Tout va bien, dormez tranquilles, braves gens, votre assurance s’occupe de tout pour vous. Marchez dans les clous et pensez seulement à régler la quittance. »

Dans un système d’opinions, il vous revient de choisir vos médias en fonction même de leur capacité à produire du sens à partir de tout ce bruit. Le sens ou le non-sens vous appartient à vous en définitive, il relève de votre liberté personnelle. La butée à cette recherche du sens, imparable, incontournable, imprescriptiblement personnelle, c’est la mort. La mort des autres, si lointains, si inconnus qu’ils soient, vous rappelle que vous aussi devez mourir. Bêtement. Sans l’avoir voulu, à cause d’un accident, d’une guerre, d’une émeute, d’une catastrophe imprévisible… ou de la vieillesse.

À l’écoute de la vie qui pousse

La mort insensée fait du bruit dans la vie, toujours trop de bruit au gré des vivants que nous sommes. Rappelez-vous ! Au beau milieu du carnaval, il y avait un homme aussi déluré que les autres, déguisé en faucheux, en squelette, en mort-vivant. Dans le tarot de Marseille, c’est l’arcane XIII, la Mort : ce personnage est couleur de chair, couleur de la vie : seule la vie est capable de mourir !

La mort est dans la vie, et nul n’arrive tout à fait à la faire taire, à l’oublier, à s’assurer contre elle ; aucune assurance vie ne mérite ce nom menteur. La précarité n’est pas un accident, c’est l’essence même de la vie. Alors écoutons mieux, au-delà du bruit : « Toute la forêt qui pousse fait moins de bruit qu’un seul arbre qui tombe. » Retournement. Conversion de carême. Pour trouver le sens, déplacer son oreille, son écoute. Chercher à entendre la vie qui pousse en silence.

Pour cela, partir du plus proche, apprendre quelque chose de l’arbre que je suis, vivant immobile, dont nul ne perçoit la vie tant que dure l’hiver. Comment pourrais-je porter des fruits sans m’enraciner ? Apprendre des arbres à porter du fruit moi-même, au lieu de courir à toute berzingue une épreuve insensée pour décrocher la timbale, le yoyo, la guirlande en polypropylène, le roudoudou au gingembre…


Sous l’écorce grise, terne, nul ne voit ma sève, nul ne peut savoir ce que donnera mon arbre, quand la belle saison viendra : mes fruits sont encore cachés dans la racine. Tout se joue en ceci, peut-être : porter le fruit qui me ressemble, ne pas être un figuier qui veut porter des roses. Mes fruits, c’est ma vie au-delà de ma vie : la vie donnée, la vie ressemée, ma vie pour d’autres.

Découvrir qui est le Jardinier

Découvrir alors que quelqu’un s’intéresse tout particulièrement à ces fruits-là : le Jardinier. C’est Lui qui me nourrit, me soigne, me taille aussi parfois.

Chaque matin, chaque soir, à la brise du jour, bien avant le temps de la récolte, il se promène dans le jardin. Depuis le jour de mes premiers bourgeons, il voit grand pour moi, il voit loin pour moi, il m’espère.


David-Marc d’Hamonville est moine bénédictin de l’abbaye d’En-Calcat (Tarn). Il a publié notamment Marc, l’histoire d’un choc (Cerf), Âme sœur, fragments de vie intérieure et Si tu veux la vie (Albin Michel).

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Source : La Vie