mercredi 1 avril 2020

La vie est une crise par Gilles Farcet


« Vous savez que depuis longtemps je nous considère tous sans exception comme des gens qui ayant vécu un naufrage ont échoué sur une île déserte mais ne le savent pas encore. Les personnes qui sont ici le savent. Les autres, ceux qui vivent encore une vie ordinaire, croient toujours qu’un paquebot va arriver pour les sauver demain et que tout va recommencer comme avant. Ceux qui sont ici savent que rien ne sera plus comme avant. Je suis si contente d’être ici. »
Katherine Mansfield (1888-1923 ) , lettre écrite depuis le Prieuré d’Avon où elle vécut ses derniers mois et mourut dans la proximité de Monsieur Gurdjieff




Oui, nous vivons en ce moment une situation « de crise ». Et les situations « de crise », crise individuelle , collective ou une combinaison des deux comme à l’heure actuelle, ne font elles pas que mettre en pleine lumière ce qui de toutes façons est toujours là, à savoir que la vie elle même est par nature une crise ? De la naissance à la mort, cette existence humaine est une crise. Une crise avec des accalmies, des moments plus tranquilles où il ne se passe en apparence pas grand chose, des « vagues », des « pics »,des retombées , des actions et réactions …
Qualifier notre existence de « crise » n’équivaut pas à en dresser un tableau exclusivement noir. Il y a des moments heureux, des joies , du moins pour beaucoup d’entre nous. Que cette existence soit intrinsèquement une crise n’exclue pas la dimension d’émerveillement, la beauté, la création, l’amour, bien au contraire ..
Et la naissance est une crise, l’enfance est une crise, la puberté est une crise, l’entrée dans l’âge adulte et le « monde du travail » est une crise, se mettre en couple est une crise, se séparer une crise, devenir parent une crise … la quarantaine est une crise, la cinquantaine, etc etc, la vieillesse est une crise, la mort une ultime crise … L’histoire, individuelle et collective est une crise. Avec à chaque étape la nécessité impérieuse et vitale de l’adaptation, oui l’adaptation qui est bien le mot clé.

Les grands mystiques, les artistes essentiels , les personnes qui travaillent vraiment sur elles mêmes comme on dit (à ne pas confondre avec les adeptes de la « feel good méditation » et autres béquilles gentillettes même s’il n’y aucun « mal »à tout ça) … toutes ces personnes ne sont elles pas celles et ceux qui, par un mystérieux processus interne, ont pris la mesure de la situation, compris que de toutes façons et quoi qu’il arrive l’existence est une crise ? Ces personnes ne sont elles pas celles qui assument le réel et sa nature de crise permanente - avec encore une fois des vagues, pics, retombées, plages de calme apparent …

Ce que d’aucuns appellent traditionnellement « la pratique de la voie » ne serait elle pas ni plus ni moins de la gestion consciente de crise ?

******

Confinement : les conseils des moines (3)

Conseil n°2 : Redoubler d’attention aux autres

Chez les moines : « Pour les novices, c’est au début difficile de ne plus avoir cette rapidité dans les échanges et des contacts directs avec la famille et les amis, témoigne sœur Mireille. Mais cela pousse à transformer les relations, à être inventives ! » À cette difficulté s’ajoute, pour les jeunes qui ont eu l’habitude de voyager, celle d’être rivée à un lieu. Là aussi, la clé est dans l’approfondissement. « On se rend compte que l’expérience humaine vécue intensément nous fait toucher l’universel, mieux que si nous avions parcouru la Terre entière », témoigne sœur Bénédicte. Pour se supporter mutuellement et ne pas alourdir la vie des autres, frère Antoine insiste sur l’importance de se montrer aimable, sociable et serviable, mais aussi sur la redécouverte de ceux avec qui nous vivons cette période particulière. « Au début, nous voyons la faiblesse d’autrui, ses défauts, mais nous allons peut-être aussi redécouvrir sa richesse ! »
Chez nous : Bannissons les plaintes. Multiplions les petites phrases : « Ça va ? », « Comment puis-je t’aider ? » Et téléphonons, écrivons !
Dans sa règle, saint Benoît demande de s’être réconcilié avant le coucher du soleil.

*****