mardi 6 novembre 2018

Interview d'Eric-Emmanuel Schmitt (2)


Ce fut le point de départ de votre ouverture aux différentes religions ?

Oui, parce que si j’avais vraiment été élevé dans une religion et que je n’avais pas eu la foi ou que je l’avais perdue, j’aurais immédiatement pensé reconnaître le Dieu de la religion qu’on m’avait inculquée. Mais comme on ne m’en avait pas inculquée, ce n’était le Dieu d’aucune religion. Cela a créé cette curiosité de toutes les grandes religions, comme les spiritualités orientales qui n’ont pas un dieu transcendant, le bouddhisme par exemple. Mais dans le bouddhisme, il y a aussi des expériences mystiques, il y a des passages mystiques. Cette voie de contrebande qu’est le mysticisme, est détestée en général par les religions officielles. On n’aime pas les mystiques, ce sont des anarchistes. Ce sont des gens sans dogme ni institution, ils sont à part. Donc, par la contrebande, je pouvais rentrer dans le jardin de toutes les religions. Cela a créé cette grande curiosité qui se manifeste dans mes livres.

Vous êtes entré dans l’esprit de chaque religion ?

Oui, par la vibration mystique.

Y en a-t-il une qui vous attire plus qu’une autre ?

Évidemment, quand je suis rentré, j’étais croyant, mais je restais snob comme un pot de chambre à cause de mon milieu, de ma formation, Normale Sup, l’agrégation, le doctorat, donc un milieu d’hyper intellectuels. Je me suis d’abord intéressé aux religions qui étaient les plus lointaines. Il ne fallait pas que je m’intéresse à celles qui étaient sur mon sol. J’ai commencé par les religions orientales. Ensuite, je me suis rapproché, avec l’islam puis le judaïsme. Et un jour, j’ai lu les quatre évangiles. Un jour, ou plutôt une nuit, encore une fois. C’est très vite lu, c’est court. J’ai lu les quatre à la suite. Cette lecture m’a profondément ébranlé parce qu’il y avait quelque chose de nouveau, là, qui n’était pas dans ma nuit mystique. 

Ce n’était pas que je retrouvais quelque chose, je trouvais quelque chose en plus : la promotion de l’amour, la mise en avant de l’amour comme la valeur fondamentale. Cela, je ne l’avais pas dans ma nuit mystique. Ma nuit mystique, c’était une nuit sur le sens où, tout d’un coup, j’avais la certitude que les choses avaient un sens. J’avais la certitude qu’il y avait une architecture souterraine, que lorsque je ne comprenais pas, je touchais mes limites et pas les limites du monde. Les limites de ma compréhension étaient les limites de mon esprit, pas les limites de l’univers. Donc, tout d’un coup, une crise d’humilité bénéfique qui faisait que, ayant la foi, je faisais crédit au mystère. Parce que, quand on n’a pas la foi, on ne fait pas crédit au mystère, on dit : « C’est absurde, les choses n’ont pas de sens ».
  • Ce que je crois n’est pas ce que je sais.

Pour moi, la foi, c’est la confiance dans le mystère : quand je ne comprends pas, c’est que je n’arrive pas à comprendre, ce n’est pas qu’il n’y a rien à comprendre. Donc, c’est cela ma nuit mystique. Avec la lecture des quatre évangiles, quelque chose s’ajoute, qui est nouveau : la mise en avant de l’amour avec le trajet du Christ. Et cela me bouleverse. À partir de là, je me mets à réfléchir, à lire, à méditer... Au bout de quelques années, cela m’amène à cette conclusion que oui, je suis chrétien. Mais il reste cette curiosité et ce respect des autres spiritualités. Et en plus, cela me paraît essentiel de dire : « Oui, je suis chrétien, mais je m’intéresse à la vie spirituelle d’un bouddhiste, d’un hindouiste, d’un japonais zen, d’un tibétain, d’un musulman, d’un juif et d’un athée parce qu’il y a aussi une vie spirituelle des athées ». Ce n’est pas la même chose un trajet intellectuel et un trajet spirituel. C’est très important pour moi de dire : « Attention, il faut distinguer croire et savoir ». Ce que je crois n’est pas ce que je sais. Ce que je crois, ce en quoi je crois, cela relève d’une adhésion, mais pas une adhésion rationnelle à partir d’arguments ou de raisonnement, c’est une adhésion. Il ne faut pas confondre ce qu’on croit avec ce qu’on sait. Donc, une foi n’est pas une certitude. En tant qu’être de foi, je respecte la foi des autres, c’est-à-dire d’autres façons de croire. Parce que le fait que j’ai une foi ne signifie pas que ma foi est la vérité. Cela signifie simplement que ma foi est mon choix ou ma nature, ou me correspond. Mais je ne suis pas possesseur de la vérité en ayant une foi plutôt qu’une autre. Donc, je dis : « Je suis chrétien et je m’intéresse aux autres religions. Je suis d’une maison, mais je respecte et m’intéresse à la maison des autres ».

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