jeudi 29 novembre 2018

Instant !



On ne peut ré-assembler ce qui n’a jamais été dispersé... 
et encore moins l’expliquer !
  •  
L'Éveil, l’Illumination, 
c’est la Grâce de l’Instant.

On ne peut pas dire que ce n’est rien, au contraire. 
On ne peut pas dire non plus que ce soit quelque chose. 
C’est l’insaisissable que nous Sommes, que Tout Est. 
Ce qui Est. L’Instant Vivant. Absolument.

En cet Instant Présent, Absolu de mémoire, 
Quelle autre lumière que cette Lumière-là ?
Quel autre éveil que cet Éveil-là ?
Quelle autre Conscience ?

En cet Instant, Absolu en lui-même,
En cet Instant sans temps, Maintenant,
Qui n’est pas illuminé, qui n’est pas éveillé ?

Tout se tient et se révèle dans l’Instant.

  •  
 Extrait de "La danse de l'instant"
de Charles Coutarel
Aux Editions Accarias L'Originel 

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mercredi 28 novembre 2018

Apprendre de la nature !



A-t-on jamais vu un arbre refuser de vivre en automne, sous prétexte que son printemps fut beau et son été fructueux ? Combien de discours, combien d'exercices spirituels a-t-on inventés pour tenter de nous persuader qu'il faut vivre l'instant, esprit, cœur et corps présents là où la vie nous a plantés ! L'arbre sait faire cela. Quand ses feuilles jaunissent et tombent, les retient-il ? Non, il épouse l'automne, puis l'hiver, et la renaissance du printemps. C'est de lui, et non des livres de philosophie, que nous avons le plus à apprendre ! Quant à la pierre, long est le chemin qui mène à la Présence cachée au cœur de son silence. Elle est, elle, hors du temps. Le temps de la pierre, c'est l'infini. 
 
Henri Gougaud

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mardi 27 novembre 2018

Annamalai Swami : la vigilance

Q : Je pense que je commence maintenant à saisir ce qu'est le « Je suis ». Il semble que c'est quelque chose en arrière du corps, en arrière du mental et en arrière de la conscience du corps. Je pense que nous n'entrons pas automatiquement en relation avec ce « Je suis » parce que nous sentons que nous ne sommes pas consciemment familiarisés avec lui. Nous sommes habitués à diriger notre attention à l'extérieur plutôt qu'à l'intérieur. Nous pensons aux gens et aux choses parce que nous sommes attachés à eux, et pour aucune autre raison. Je commence seulement à comprendre combien il est difficile de renoncer à cette habitude.
 
A.S. : Laissez le mental aller partout où il veut aller. Vous n'avez pas à accorder de l'attention à tous ses vagabondages. Soyez simplement le Soi et ne vous occupez pas de toutes les activités du mental. Si vous adoptez cette attitude, les activités et les vagabondages du mental vont diminuer de plus en plus. Si le mental vagabonde toute la journée, ce n'est que parce que vous vous identifiez à lui et accordez de l'attention à toutes ses activités. Si vous pouviez vous établir en tant que conscience seule, les pensées n'auraient plus d'énergie pour vous distraire. Quand vous n'avez pas d'intérêt pour les pensées, elles s'évanouissent aussitôt qu'elles apparaissent. Au lieu de s'attacher à d'autres pensées, qui en entraînent d'innombrables autres, elles ne font qu'apparaître pour une ou deux secondes, puis s'évanouissent. Nos vâsanas font surgir les pensées. Une fois qu'elles ont surgi, elles ne cessent de se répéter en série selon des schémas réguliers. Si vous avez des désirs ou des attachements, les pensées les concernant apparaîtront constamment dans le mental. Vous ne pouvez pas vous battre avec elles, parce qu'elles se nourrissent de l'attention que vous leur donnez. Si vous essayez de les réprimer, vous ne pouvez le faire qu'en leur accordant de l'attention. Ce faisant, vous vous identifiez avec le mental. Cette méthode ne marche jamais. Vous ne pouvez stopper le flot des pensées qu'en refusant de vous y intéresser. Si vous demeurez dans la source, le Soi, vous pouvez facilement attraper chaque pensée à l'instant où elle surgit. Si vous ne les attrapez pas au moment où elles surgissent, elles germent, deviennent des plantes et, si vous les négligez encore, elles grandissent jusqu'à devenir de grands arbres. Habituellement, le sâdhaka inattentif n'attrape ses pensées que lorsqu'elles sont parvenues au stade de l'arbre. Si vous pouvez être continuellement conscient de chaque pensée au moment où elle surgit, et si vous pouvez être assez indifférent à elle pour qu'elle ne germe ni ne fleurisse, vous pouvez échapper aux enchevêtrements du mental. 

  Q : Il est relativement facile de le faire pendant un moment, mais ensuite l'inattention prend le dessus et les arbres refleurissent.
A.S.: L'attention continue ne viendra que par une longue pratique. Si vous êtes vraiment sur vos gardes, chaque pensée se dissoudra dès son apparition. Mais pour atteindre ce niveau de dissociation, vous ne devez pas avoir d'attachements du tout. Si vous avez le plus petit intérêt pour une pensée particulière, elle échappera à votre attention, se liera à d'autres pensées, et s'emparera de votre mental pendant quelques secondes. Cela arrivera plus facilement si vous êtes habitué à réagir émotionnellement à une pensée particulière. Si une pensée particulière fait surgir en vous des émotions comme l'inquiétude, la colère, l'amour, la haine, ou la jalousie, ces réactions s'attacheront aux pensées qui s'élèvent et les renforceront. Ces réactions vous font perdre votre attention pendant une ou deux secondes. Ce genre de défaillances donne à la pensée plus qu'assez de temps pour croître et fleurir. Vous devez être complètement impassible et détaché quand des pensées de ce genre apparaissent. Vos désirs et vos attachements ne sont que des réactions aux pensées qui apparaissent dans la conscience. Vous pouvez les conquérir tous les deux en ne réagissant pas aux nouvelles pensées qui s'élèvent. Vous pouvez complètement transcender le mental en n'accordant pas d'attention à ses contenus. Et une fois que vous serez allé au-delà du mental, vous ne serez plus jamais perturbé par lui. Après sa réalisation, le roi Janaka dit : « Maintenant j'ai trouvé le brigand qui me volait mon bonheur. Je ne lui permettrai plus de le faire. » Le voleur qui lui dérobait son bonheur était son mental. Si vous êtes toujours attentif, les yeux ouverts, les voleurs ne peuvent pas entrer. Ils ne peuvent s'introduire que pendant que vous dormez et ronflez. De même, si vous êtes toujours vigilant, le mental ne peut pas vous tromper. Il ne prendra le pouvoir que si vous omettez de rester attentif aux pensées qui surviennent. 

  Q : C'est assez facile d'empêcher un voleur de s'introduire dans une maison. Il suffit de fermer la porte. Mais dans ce cas particulier, le voleur est déjà dedans. Il nous faut d'abord l'attraper et le jeter dehors. Ce n'est qu'alors que nous pourrons fermer la porte sans danger.

A.S. : Croire que ce voleur est quelque chose de réel, quelque chose qui doit être combattu et attrapé, c'est comme croire que votre ombre est une sorte d'intrus à combattre et à expulser. Si vous essayez de lever la main pour frapper votre ombre, elle va elle aussi lever la main pour vous frapper. Vous ne pouvez pas gagner un combat contre votre mental parce que dans tous vos combats vous ne ferez que boxer votre ombre. Vous ne pouvez pas mettre K.O. votre ombre en la frappant parce que vous frappez dans le vide. L'ombre va continuer à danser dans tous les sens aussi longtemps que vous continuerez à danser dans tous les sens en essayant de la frapper. Il n'y a pas de vainqueurs dans des combats de ce genre, seulement des perdants frustrés. Si vous partez de l'hypothèse que le mental est réel et que vous devez le combattre et le contrôler en agissant sur vos pensées d'une certaine façon, le mental ne s'affaiblira pas mais se renforcera. Si une sâdhanâ présuppose que le mental est réel, la pratique de cette sâdhanâ perpétue le mental au lieu de l'éliminer. L'ego est tout à fait comme un esprit. Il n'a pas de véritable forme propre. Si vous voyez ce qu'est réellement l'ego par l'investigation : « Qui suis-je ? » il s'enfuit sans demander son reste. Le mental n'a ni substance ni forme. Il n'existe que dans l'imagination. Si vous voulez vous débarrasser de quelque chose qui est imaginaire, tout ce que vous avez à faire c'est cesser de l'imaginer. Ou bien, si vous pouvez être continuellement conscient que le mental et toutes ses créations n'existent que dans votre imagination, elles cesseront de vous tromper et vous cesserez d'être importuné par elles. Par exemple, si un magicien crée un tigre, vous n'avez pas besoin d'en avoir peur parce que vous savez qu'il essaye seulement de vous faire croire que le tigre est réel et dangereux. Si vous ne croyez pas que le tigre est réel ou dangereux, vous n'avez pas peur. Quand le cinéma fut introduit ici, certains villageois prenaient peur quand ils voyaient des choses telles que du feu sur l'écran. Ils s'enfuyaient parce qu'ils croyaient que le feu allait se répandre et détruire la salle. Quand vous savez que tout ce qui se passe ne fait qu'apparaître sur l'écran de la conscience, et que vous êtes vous-même l'écran sur lequel tout cela apparaît, rien ne peut vous toucher, vous blesser ou vous effrayer. Les gens qui croient à la réalité du monde ne valent pas mieux que ceux qui construisent des barrages pour retenir l'eau qu'ils voient dans un mirage.

Q : Parfois tout est si clair et paisible. Il y a des fois où il est facile de regarder les mécanismes du mental et de voir que ce que dit Swâmî est vrai. À d'autres moments, en dépit de nos efforts, il n'y a pas moyen de produire la moindre impression sur notre mental chaotique. 
 A.S. : Chaque fois que vous êtes dans un état méditatif, tout est clair. Puis les vâsanas qui étaient d'abord cachées dans le mental font leur apparition et recouvrent cette clarté. Il n'y a pas de solution facile à ce problème. Il vous faut continuer tout le temps l'investigation « À qui cela arrive-t-il ? » Si vous avez des difficultés, rappelez-vous : « Ceci se passe uniquement à la surface de mon mental. Je ne suis pas ce mental, ni les pensées errantes. » Puis retournez à l'investigation « Qui suis-je ? » En le faisant, vous pénétrez de plus en plus profondément et vous vous-détachez du mental. Ceci n'arrivera qu'une fois que vous aurez fait un intense effort. Si vous avez déjà un peu de clarté et de paix, quand vous faites l'investigation « Qui suis-je », le mental s'enfonce dans le Soi et se dissout, ne laissant derrière lui que la conscience subjective « Je-Je ». Bhagavan m'a expliqué tout cela en grand détail quand j'allais pour son darshan entre 1938 et 1942.

Annamalai Swami

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vendredi 23 novembre 2018

Les racines du Ciel !




Pour que nos feuilles puissent atteindre le ciel, nos racines doivent descendre jusqu’en enfer ...
Sans émotions, il est impossible de transformer les ténèbres en lumière et l'apathie en mouvement .
Carl Gustav Jung.

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mercredi 21 novembre 2018

« Lâcher prise pour créer »



« J'adore prendre le train, regarder le paysage défiler par la fenêtre, rêvasser... Souvent, les idées surgissent durant ces moments-là, quand on ne cherche pas à contrôler ses pensées. Ces idées naissent de l'imprévu, comme lorsque l'on dessine en téléphonant, sans trop réfléchir, et que c'est la main qui crée... Je suis toujours étonnée de constater que les voyageurs des transports en commun se plongent dans leurs écrans d'ordinateurs, de téléphones, comme s'ils refusaient coûte que coûte de se laisser aller ou de s'ennuyer. Je pense qu'il n'est pas indispensable de vouloir remplir les vides... Il faut oser s'accorder cette possibilité de lâcher prise. J'ai une fille de 10 ans, et j'ai envie de lui transmettre cette capacité à rêver et à créer, à regarder le monde qui l'entoure avec émerveillement. » 

Marie Leonetti, créatrice de bijoux

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mardi 20 novembre 2018

« Comme une respiration, une bulle d'oxygène »

« Je m'accorde des temps de rêverie pour laisser émerger des visions, des pensées fugaces. C'est comme une respiration, une bulle d'oxygène. Dans un monde où tout va très vite, où les individus sont malgré eux saturés d'images à chaque instant, il faut s'autoriser ces pauses, ces temps d'accalmie pour rêvasser ou s'ennuyer. L'ennui est un bel espace où les rêveries s'imposent naturellement, entraînant avec elles la venue d'idées inattendues. Selon moi, il faut défendre absolument le silence, la lenteur, la contemplation, la rêverie... Ce sont des formes de résistance poétique au monde chaotique, en perte de sens, dans lequel nous vivons. Nous sommes immergés dans une époque de doutes profonds et d'immenses violences, économiques, sociales, politiques. Offrir aux gens la possibilité de rêver et de créer me semble absolument vital. »

Pascal Colrat, illustrateur et photographe

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Les songes de l'illustrateur
Déjà auteur de deux recueils de « rêveries illustrées », L'homme qui... et Pleine Lune, Pascal Colrat travaille pour plusieurs grandes institutions culturelles et expose régulièrement en France et à l'étranger.
Les Animals, de Pascal Colrat, Riveneuve Éditions, 15 €. À paraître le 22 novembre.


lundi 19 novembre 2018

A la source de l'instant avec Thibault de Montalembert


Quelque chose à l'intérieur de moi me disait de faire confiance à mon « instinct spirituel ». De ne pas avoir peur de m'aventurer sur de nouvelles voies, quitte à me tromper. Je ne voulais pas embrasser une autre religion ni rejoindre une autre église – je n'en ai jamais eu la tentation –, mais partir en quête du vivant. De la Vie. Je me suis alors tourné vers différentes traditions spirituelles : hindouisme, bouddhisme, ou taoïsme, orthodoxie russe et plus tard soufisme et même physique quantique. Quand je lisais les écrits du starets Silouane, de Maître Eckhart, de Lao Tseu, Rumi ou la Bhagavad-Gita, j'étais bouleversé de voir que tous ces écrits mystiques se rejoignaient dans une expérience unique.

Au-delà des formes, des rituels ou des croyances, des époques ou des cultures, il y avait la même illumination intérieure. J'ai donc continué à chercher dans cette direction-là. Et ce n'est que peu à peu, à la faveur de rencontres et de lectures, grâce aussi à mon métier de comédien, que j'ai pu approcher et verbaliser l'intuition spirituelle qu'enfant je portais déjà. Je crois que l'homme est appelé à une véritable « conversion chimique ». Sa vocation, sa raison d'être est de faire descendre l'esprit dans la matière et de faire monter la matière dans l'esprit. Autrement dit, de transformer la matière en ce qu'elle est vraiment : une pure lumière ! Chemin d'incarnation où la personne doit se vider d'elle-même pour se laisser envahir par l'Au-delà de tout.

À 19 ans, pétri de certitudes, je croyais pouvoir dire qui était Dieu. Aujourd'hui, je suis incapable de le définir. Par contre, j'en ai beaucoup plus l'expérience. Et pour preuve : ce vide à l'intérieur, cette inquiétude existentielle qui, pendant de longues années, a pu me jeter dans des abîmes de solitude et d'angoisse, oui, cette absence est devenue une présence qui me remplit et m'élargit. Qui m'illumine. Fort de cette lumière qui m'habite, de cette Source à laquelle je m'abreuve à chaque instant, je crois pouvoir être, en tant que comédien, un vecteur du Vivant.

Thibault de Montalembert 
(source : La Vie)


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vendredi 16 novembre 2018

La méditation enseignée au Centre Dürckheim ?


C’est l’exercice désigné au Japon par le Kanji zazen.

Quel est son but ? L’éveil de l’être humain à sa vraie nature ; l’expérience de notre état de santé fondamental dont les symptômes sont ces qualités d’être qui manquent le plus à l’homme contemporain : le calme intérieur, la sérénité, la confiance, vivre l’âme en paix.
Lorsque l’homme vit dans l’ignorance de sa vraie nature il tombe dans l’angoisse et les états qui l’accompagnent : état d’être soucieux, inquiétude latente, peur souterraine et un cortège de symptômes parmi lesquels l’agitation intérieure, le stress, la dépression ou le burn-out.


Zazen. Est-ce un moyen pour atteindre ce but ?
Oui. A condition de ne pas pratiquer zazen pour après, pour plus tard. Ne pratiquez pas en vous appuyant sur une illusion du genre : « Si je pratique bien, alors, dans trois ans je pourrai enfin vivre l’âme en paix ! ». La spécificité des exercices proposés dans le monde du zen est de pratiquer un exercice maintenant pour maintenant. Ce faisant, toute personne qui pratique zazen découvre que pratiquer sans autre but que celui de pratiquer - sans but -  n’est pas sans effet.
Que signifie l’expression japonaise zazen ?
Za — signifie s’asseoir (non pas être assis pendant 25 minutes dans une posture fabriquée et maintenue). S’asseoir est une action engagée par le tout corps vivant dans son unité ; le corps que l’homme est (Leib). Za, c’est s’asseoir selon les intentions du corps-vivant ; en évitant les contre-actions (crispation / dissolution) qui entravent le vouloir de l’être.
Zen — c’est l’action d’accueillir ce qui se présente à travers les sens. N’est-il pas avéré que tout ce qui se présente à l’être humain - comme à l’animal - se présente à travers les sens, la sensation pure (et pas la pensée). L’expérience de la sensation pure est ce qu’on appelle la contemplation : sentir (voir, entendre) ce qui est senti sans examen de ce qui est senti à travers les processus mentaux.
Zazen est donc un exercice indissociablement corporel et spirituel.
Comme l’écrit, très justement, André Comte-Sponville dans son dictionnaire philosophique : « Zazen c’est jouer le “corps” contre l’ego, la “respiration” contre le mental, “l’immobilité” contre l’agitation, “l’attention” contre l’emportement ». (1)
Le corps ! Il ne s’agit pas du corps objectivé dans le domaine des sciences ; il s’agit du tout corps-vivant (Leib) dans son unité, le corps que l’homme “est”.
La respiration ! Il ne sagit pas de se concentrer sur quelque chose : la respiration. Il s’agit de sentir que, en ce moment et pour ce moment : « Je inspire … Je expire … ».
L’immobilité ! L’absolue immobilité du tout corps-vivant que je suis est une action qui permet de voir ce qui ne peut être vu que dans la parfaite immobilité.
L’attention ! Ce processus du tout-corps vivant ne doit pas être assimilé au processus mental qu’est la conscience “de”. Il s’agit ici de l’attention ouverte, inclusive, qui coule, d’instant en instant, comme le souffle coule.
Zazen n’est donc pas un exercice de développement personnel qui aurait pour but ce qu’on appelle curieusement aujourd’hui : l’homme augmenté (un ego augmenté ?).
Zazen c’est, au contraire, faire marche arrière, revenir à ce que nous sommes au commencement, à l’origine de notre existence : un être de nature.
Zazen est une rupture avec notre manière d’être habituelle, notre manière de faire habituelle et cette singulière croyance : « Moi je suis ce que je pense que je suis ! »
Zazen n’a pas pour but un « + » pour l’ego.


Questionnant Graf Dürckheim sur son immersion – pendant une dizaine d’années (1938-1947) – dans le monde du zen, il me dit : « Au début de mon séjour au Japon j’étais, comment dire, désorienté ! C’est paradoxal, n’est-ce pas. J’étais sincèrement décontenancé, parce que ce qu’on appelle les chemins de la sagesse en Orient et en Extême-Orient sont absolument étrangers à notre approche philosophique, psychanalytique et scientifique en Occident ».

La tentation actuelle de vouloir remplacer la méditation ancestrale (zazen) par une méditation dite moderne (parce que laïque et scientifique) trahit le refus de l’homme occidental d’accepter d’être désorienté, décontenancé, dérangé dans son approche du réel qu’est l’entendement ; un mot qui désigne la faculté intellectuelle de comprendre, de concevoir, de saisir ce qui est intelligible. Zazen est le domaine de la connaissance sensorielle et intuitive.
« La méditation zazen est la rencontre avec soi-même d’une façon jusqu’alors refoulée ou inconnue » (K.G. Dürckheim).


Jacques Castermane
(1) Dictionnaire philosophique –André Comte-Sponville — puf — page 620
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jeudi 15 novembre 2018

Entrer en contact avec personne grâce au camphrier.


Maintenant, mets-toi debout avec moi. Essaie d'enlacer cet arbre et pose ton oreille contre son écorce. Qu’est-ce que tu entends ?

Je t’ai regardé tes yeux écarquillés.

Rien, je n’entends rien du tout.

Repose ton oreille quelques instants contre son écorce et prête bien attention.

J'ai alors souri et repris avec enthousiasme :

J’entends comme le murmure d’une source. Qu’est-ce que c’est ?

Ce que tu viens de percevoir, c’est le flux et le reflux de la vie. Bientôt tu ne feras plus de différence entre ton souffle et celui de l’arbre. C’est aussi un des fruits du camphrier : non seulement il rend visible l’invisible toi et moi resterons toujours ensemble mais il a également le pouvoir d’effacer les limites entre l’intérieur et l’extérieur. L’intérieur devient l’extérieur et vice versa. Il n’y aura bientôt plus de limites entre toi et l’arbre, tout comme il n’y en a jamais eu entre toi et l’univers.

Et comme il n’y en a jamais eu entre vous et moi.

Exactement, Anastasia. Ordinairement, il y a un sujet et un objet, ou un sujet en face d’un autre sujet, et cela entraîne séparation et souffrance, il faut simplement se délivrer de tous nos conditionnements pour faire l’expérience primordiale de l’absence de personne. Mon nom est personne : c’est la seule, l’unique vérité qui nous fonde et que très souvent nous avons oubliée...


Extrait du livre de Catherine Davau : Grandir avec les arbres (conte spirituel)

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mercredi 14 novembre 2018

Grandir avec les arbres de Catherine Davau


Marie de Hennezel qui a préfacé ce livre écrit que ce récit lui a fait du bien. 

Je dirai qu'il m'en a fait également.

A travers ce tendre et doux conte qui nous apprend à nous rapprocher des arbres, on peut sentir battre cette vie primordiale où l'on peut se guérir en se connaissant mieux.

Douze enseignements nous sont proposés pour nous élancer tel un arbre dans l'élan vertical. 



Ce voyage arboricole jusqu'à l'arbre cosmique nous offre à chaque étape une pause bienfaisante et une leçon de vie.




Voici déjà un extrait avec le début du livre...



A suivre...

mardi 13 novembre 2018

L'écharde d'une attente...


Ah, cesse, cesse d'être ce pantin balloté entre espoir et désespoir ! Fais halte !
L'inutile tornade de l'urgence n'a pas de fruit. Seule la patience donne du fruit, seule la durée.
Un cheveu sépare la chute de la grâce.
Quand sont bues la colère et l'indignation devant les dérives du monde, quand est bue aussi la complaisance à s'accommoder du trou qu'on s'est creusé en terre d'exil, alors quelque chose peut commencer.
Le scénario sordide qui nous jette hors de nous, hors de toute mémoire, qui désagrège l'unité sacrée se trouve alors suspendu...
Être plein d'espoir au cœur d'un désespoir total, appréhender l'unité parfaite de l'espoir et du désespoir !
Même la séparation que tu vis est inévitable, elle n'est pas pour autant l'unique réalité.
Quand tu espères, tu es la part du monde qui espère, et quand tu désespères, tu es la part du monde qui désespère !
C'est tout ! 

Aujourd'hui, en regardant, assise devant ma maison, le vent dans le grand tilleul, j'ai compris que tout est déjà parfait, mieux : que rien n'est pas encore tout à fait parfait, que l'imperfection est le produit de mon esprit, l'écharde d'une attente, d'une espérance vaine dans la chair glorieuse de la Création.

- Christiane Singer
(Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?)

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lundi 12 novembre 2018

Que signifie avoir une pratique ?


Qu'est-ce que cela signifie d'avoir une pratique? Cela signifie que nous avons la capacité de nous refaire. Nous n'avons pas besoin d'être définis par d'autres, ni par accident, ni même par richesse et opportunité. Nous avons une méthode et nous l'utilisons. Nous faisons ce que peu de gens sont disposés à faire: faire chaque jour de petits gestes qui entraînent des changements considérables. C’est ainsi que nous protégeons notre santé et notre santé mentale.


Calligraphie : Lian, la pratique
Qu'est-ce que cela signifie d'avoir une pratique? Cela signifie que nous comprenons qu'il n'y a pas de changements rapides. Que le seul moyen d'avoir une chance de bouger avec les saisons, avec les circonstances et avec le vieillissement, est de faire de nombreuses modifications graduelles. Cela demande de la patience et de la persévérance. Cet effort constant est tout ce dont nous avons vraiment besoin.

Qu'est-ce que cela signifie d'avoir une pratique? Cela signifie que nous éclaircissons notre esprit, que nous participons chaque jour et que nous nous adaptons rapidement et avec joie à tous les changements de notre vie, que nous parvenons à continuer notre pratique tout en respectant toutes nos autres obligations.

Qu'est-ce que cela signifie d'avoir une pratique? Cela signifie que nous sommes pleinement centrés en nous-mêmes. Nous sommes rarement submergés ou choqués, car nous écoutons l’infime et dialoguons avec lui avant qu'il ne devienne tempête.

Via Deng Ming Dao

samedi 10 novembre 2018

Poésie du week-end



Sur les coteaux, un clocher s’élance au milieu des arbres.
Il pleut. La route grise fend le vert sombre des prairies,
le frisson des nappes de colza, les villages enfouis
sous les toits roses et luisants. Je cherche le lien,
le passage étroit entre les songes qui m’absorbent
et la pâleur d’un jour obstinément lointain.

L’éternité par intermittence – à travers nos sommeils –
derrière la pluie, comme une lueur étrangère
les airs tendus différemment. Et ce chant d’oiseau
- dans la cour en arrivant – tard les soir, seul, haut,
résonnant dans un ailleurs soudain si proche.

Le Pacte de lumière
Le Castor Astral, éditeur, 2007

Philippe Mac Leod

vendredi 9 novembre 2018

Interview d'Eric-Emmanuel Schmitt (5)


Pensez-vous que l’humanité peut s’améliorer ?

Individuellement, pas collectivement. Rien n’est automatique dans le progrès humain. Penser que l’humanité progresse quoi qu’il arrive ? Quand on vient de voir le XXe siècle qui a fait une deuxième guerre mondiale avec 52 millions de morts, avec des camps d’extermination d’efficacité insoupçonnée et qui finit par l’invention de la bombe atomique, ensuite de la bombe H. On sait que l’humanité a les moyens de se détruire et de détruire toute vie sur terre. Je ne vois pas où est le progrès. Je ne vois pas comment l’humanité s’améliorerait. L’humanité ne peut s’améliorer qu’en réformant son cœur. Et malheureusement, cela ne se fait qu’individu par individu. Je crois au pouvoir des livres. Le pouvoir des livres ne peut pas changer la masse, mais un livre peut changer un humain, un individu. Donc, je crois qu’il peut y avoir une amélioration de soi. Cela, c’est possible. C’est entre les mains d’un individu. Rien d’automatique ne se ferait sans les hommes et malgré eux. Tous les optimismes historiques à la Marx me semblent des aberrations. Mon optimisme porte uniquement sur la capacité qu’a l’individu de progresser. Je ne crois pas au progrès de l’humanité, je crois au progrès de chaque individu.


Quelle est votre définition de l’amour, la vôtre ?

La mienne ? C’est penser que quelqu’un a plus d’importance que soi et son bonheur. Quand j’aime, l’autre a plus d’importance que moi, que mon bien-être et mon bonheur. Pour moi, d’ailleurs, aimer absolument, ce n’est pas choisir le bonheur, c’est choisir l’amour. Si pour aimer absolument il faut que je souffre du comportement de l’autre, de ceci, de cela, je vais accepter de souffrir parce que ce qui compte, c’est l’amour.

L’amour n’a rien à voir avec le bien-être. Il se trouve souvent qu’il y a des moments de bien-être dans l’amour et qu’il y a des moments de bonheur. L’amour n’est pas la recherche du bonheur. C’est complètement différent.
L’amour commence quand la passion s’arrête

Et puis, l’amour, il faut le faire exister. Il n’existe pas sans nous. C’est à nous de prouver que cela existe. Les gens attendent quelque chose de l’amour. Mais c’est l’amour qui attend quelque chose de nous.


Le bonheur, un leurre ?

Pas forcément, mais pour moi, cela ne peut pas être le but d’une vie. Il y a des valeurs plus importantes. Qu’est-ce que le bonheur ? C’est le bien-être. Comme disait le philosophe Kant, le bonheur, c’est un idéal de l’imagination et personne n’a le même. Et est-ce que cela peut être l’idéal d’une vie ? Je trouve qu’une vie juste ou une vie bonne ou une vie sous le signe de l’amour, c’est préférable. C’est plus tenable que le bonheur. Les moments les plus intéressants de ma vie ne sont pas forcément les moments où j’ai été heureux. Ce sont les moments où je me suis battu pour ce à quoi je crois. Et dans la relation amoureuse, si on choisit le bonheur, on aime un temps, puis après on cesse d’aimer, puis on recommence avec quelqu’un d’autre, les mêmes illusions. C’est une vie d’aventures au pluriel, mais c’est une vie en série. Tandis qu’aimer vraiment, c'est ne pas cesser d’aimer. C’est avoir des traversées du désert. Ce n’est pas de vouloir le bonheur de l’autre, évidemment. L’amour est pour moi un idéal, c’est-à-dire la cessation de l’égoïsme et penser que quelqu’un a plus d’importance que soi. C’est le salut. Pour moi, le salut est hors de l’égoïsme. Je ne sais plus dans quelle histoire j’avais écrit que l’amour commence après la passion. La passion, c’est l’illusion, la recherche de l’extase, du bonheur, de ceci, de cela. L’amour commence après, quand la passion s’arrête. Enfin, les choses vont devenir précises. Je suis à la fois un amoureux et un chrétien. Autant vous dire que l’amour est ma valeur.

Et après l’existence, est-ce un aspect qui vous occupe ?

La pire des choses qui pourrait arriver à la question « qu’est-ce que la mort ? », c’est une réponse. Je ne sais pas et je suis très heureux de ne pas le savoir, parce que j’ai confiance dans le mystère. Donc, la mort ne peut être qu’une bonne surprise. ■


La trahison d’Einstein
Albin Michel

Le dernier ouvrage d’Eric-Emmanuel Schmitt chez Albin Michel.

jeudi 8 novembre 2018

Interview d'Eric-Emmanuel Schmitt (4)


Votre regard tendre sur l’humanité, d’où vient-il ?

Je recherche ce qu’il y a de grand dans les petits êtres que nous sommes. Je déteste les gens qui cherchent ce qu’il y a de petit. En plus, je ne vois que ça. Aujourd’hui, avec le sarcasme, un certain humour, une ironie constante, une dépréciation absolue, une critique permanente, c’est le règne de la grimace et du sarcasme, c’est le règne du crachat. Je trouve que le monde médiatique est encombré par les crachats. Soit le cirage de pompes indécent, soit, pour avoir l’air intelligent, le crachat. C’est plus intelligent d’admirer que de cracher.

Je cherche toujours ce qui s’ouvre à un être. Je n’arrive pas à réduire un être à un seul de ses actes. C’est cela, le pardon. Pardonner, c’est dire : non, la personne que j’ai en face de moi ne se réduit pas à cet acte mauvais qu’elle a fait un jour. Dans sa vie, il y a d’autres éléments. L’étoffe est plus riche que ce que j’en ai vu à un moment et qui a pu scandaliser ou choquer, ou faire du mal.
Maintenant j’ai pris conscience que c’était aller contre le courant dominant. Il y a dix ans, à l’époque où j’ai parlé de mon optimisme, je me suis pris une volée de bois vert du milieu « intellectuel » autodéclamé. Ils sont moins diplômés que moi, mais bon, ce sont eux les intellectuels, si ça leur fait plaisir. Là, je me suis aperçu qu’il y avait un combat. Je me suis dit : « Eh bien, ce sera l’un des miens ! ».
J’étais en profonde résonance, en profond accord, en disant : plutôt cultiver la joie que la tristesse. Il faut plutôt aller chercher ce qu’il y a de grand dans ce qu’il y a de petit que ce qu’il y a de petit dans ce qu’il y a de grand. Tout d’un coup, quand je vois que cette position est inaudible pour beaucoup de gens, je me dis : « Alors, cela doit être un combat ». Ce sera un combat. À ce moment-là, les choses deviennent plus claires.


C’est ce qui explique votre discrétion par rapport aux '' people '', vous n’y êtes jamais, c’est de l’humilité ?

Non, j’ai la chance que les télévisions, les radios m’aiment bien, puisqu’on dit que je suis un bon client. Mais je n’y vais jamais sans avoir à délivrer un contenu, parce que je ne vais pas me mettre à faire partie d’un jeu télévisuel ou à aller à une émission sans fond. Si j’y vais, c’est toujours pour apporter un contenu, relatif au dernier livre que j’ai écrit ou à la pièce. Jouer le V.I.P., la very impossible personne - je bénéficie d’un traitement de V.I.P. parce que j’ai vendu des millions de livres et parce que je fais partie du paysage culturel -, en tant que tel, cela ne m’intéresse pas. Être connu ne m’a jamais intéressé. Ce que je veux, c’est qu’on me lise, qu’on voie mes pièces. J’ai toujours refusé de servir aux médias un personnage ; parce que souvent ils veulent un personnage pour faire le show. J’ai toujours pensé que
c’est par le contenu que je devais être présent quelque part. Alors, avec le temps, cela finit par rendre. Et puis, la discrétion dont vous parlez, c’est aussi tout simplement une impossibilité, parce que j’ai une carrière dans 50 pays. Vous imaginez donc, pour qu’on me voie un petit peu partout, j’en fais beaucoup. À l’arrivée, vous en voyez peu parce qu’il y a plein de pays. Je dois garder du temps pour ma vie privée, pour le ressourcement intérieur et pour l’écriture car j’écris beaucoup.

 
Avez-vous un objectif avant la fin de votre vie ? Intérieur peut-être ?

Forcément, des volontés de perfectionnement intérieur, bien sûr. J’aimerais, avec le temps, devenir plus contemplatif qu’actif. Je me demande si j’ai raison de vouloir cela. C’est quelque chose que je cultive en me disant : « Ce serait bien de rendre cet hommage à la nature, au monde, à la vie, d’être un peu plus contemplatif ». Je suis un suractif. Parfois cette suractivité m’effraie, mais pas longtemps. Autrement, j’ai des projets intellectuels et artistiques. Je pense d’ailleurs très naïvement que ma vie sera calibrée à ces projets, c’est-à-dire aussi longue que mes projets me porteront. Je pense vraiment que quand mes projets ne me porteront plus, cela voudra dire que mon temps sera fait. J’ai cette conception-là. Le temps, pour moi, c’est le pouvoir de faire. Je n’ai pas du tout une conception passive du temps comme étant ce qu’on subit. Le temps, c’est notre action, c’est notre pouvoir d’agir. Avoir du temps, c’est pouvoir faire ceci ou cela. J’ai une conception positive : je conçois le temps comme un feu, comme un feu qui brûle, pas un feu qui me consume, mais un feu qui produit de l’énergie, un feu qui produit des objets, un feu qui réchauffe, un feu qui cuit, un feu qui construit.

C’est une conception active du temps, du temps comme un pouvoir et pas une conception passive du temps, qu’on subit.


La contemplation n’est-elle pas une activité, active d’une autre manière ?

La contemplation, c’est une autre façon d’habiter le temps. Ce n’est pas le subir non plus. C’est chercher l’éternité dans le présent. C’est chercher l’éternel qu’il peut y avoir sur l’éphémère, donc c’est encore autre chose. C’est se connecter à quelque chose d’important. Quand je dis : « J’aimerais être plus contemplatif », c’est cela, parce que cela ne m’arrive que par éclairs.

N’est-ce pas le propre de la vieillesse ?

Non, parce que je me souviens qu’enfant j’étais comme ça. Ce n’est pas une question d’âge. Dans ma vie adulte, j’ai des moments comme ça, mais ils sont assez peu nombreux parce que je ne leur laisse pas la place d’arriver. Ces moments-là me prennent par surprise.


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mercredi 7 novembre 2018

Interview d'Eric-Emmanuel Schmitt (3)


Quelle est la part du philosophe et du croyant aujourd’hui ?

Je dirais qu’on ne passe jamais de l’un à l’autre, ils coexistent. Si vous me demandez aujourd’hui : « Est-ce que Dieu existe ? » Le philosophe vous répond : « Je ne sais pas ». Le croyant va ajouter : « Je ne sais pas, mais je crois que oui ». Si vous demandez la même chose à mon ami André Comte-Sponville qui est athée, il va vous répondre : « Je ne sais pas, mais je crois que non». Et puis, il y a une autre solution : « Je ne sais pas et je m’en moque ». C’est l’indifférent. Il y a donc trois façons d’être : le croyant, l’incroyant et l’indifférent. Mais qu’ont-ils tous en commun ? L’ignorance. Nous sommes tous frères en ignorance. On ne sait pas, on ne peut pas affirmer.

Plus on crée, plus on devient créateur

On peut juste témoigner d’une façon d’habiter le mystère, d’habiter le monde, en disant :
« Je fais confiance au monde », c’est le croyant. « Je ne fais pas confiance au monde », c’est l’incroyant. « Je suis indifférent à l’essence du monde et je fais mon chemin tout seul », et c’est l’indifférent. En fait, le croyant n’a pas succédé au philosophe, les deux existent ensemble en disant des choses différentes, mais qui ne s’excluent pas. Le philosophe reste agnostique, car c’est la seule position du philosophe. Si l’existence ou la non-existence de Dieu se décidait philosophiquement, cela ferait longtemps qu’on le saurait. Il y a des arguments en faveur de Dieu et des arguments en faveur de la non-existence de Dieu. Dans le champ de la raison, dans le champ du savoir, on n’arrive pas à décider. Donc, le philosophe reste agnostique. Et joint à lui, l’homme dit : « Je crois que oui, je crois que non ou je m’en moque ». Au fond, il s’agit de ce que j’ai appris par la croyance : ne pas réduire la vie de l’esprit à ma vie intellectuelle. La vie de mon esprit ne se réduit pas à ma vie intellectuelle. Il doit s’y ajouter une vie spirituelle. Et maintenant, cette vie spirituelle est complètement interpénétrée avec l’autre, mais la pensée spirituelle et la pensée intellectuelle sont deux registres de pensées différents.

Votre extraordinaire créativité, d’où la tenez-vous ? On est toujours dans le mystère.

Et j’allais dire : « Cela empire docteur ! ». J’ai la passion des autres. J’ai la passion des êtres humains. Ce sont les autres qui m’inspirent. Les êtres sont complexes, les êtres sont intéressants. Je ne connais pas d’êtres simples. Je ne connais pas d’êtres qui n’aient pas des complications. Malgré tout, je me régale. J’allais dire une chose bête : « J’aime les êtres humains ». Attention, il y en a qui me font souffrir. Il y a des comportements que je trouve injustifiés. Je pleure parfois en regardant les actualités. Des scandales me pénètrent jusqu’au plus profond. Mais, il n’y a rien à faire, je reste passionné par l’être humain parce que l’être humain est capable du pire comme du meilleur. Oui le meilleur. Donc, les êtres m’inspirent.

  • Nous avons une seule liberté : reconnaître notre destin et le suivre

J’ai eu une grande chance dans mon existence : être reconnu comme un écrivain, peut-être avant même d’y croire moi-même. Je veux dire ceci : dès l’enfance, les proches, les profs, les instits m’ont diagnostiqué écrivain, avec une facilité incroyable. Et j’écrivais comme je respirais, je ne me rendais même pas compte que j’écrivais. J’ai écrit mon premier roman à onze ans, une première adaptation théâtrale à onze ans - Les Lettres de mon moulin - que j’ai faite pour mon collège. Ma première pièce quand j’avais seize ans. Je ne me rendais même pas compte que je n’étais pas normal et qu’un gamin ne fait pas ça. C’était tellement naturel ! En plus, je ne rêvais même pas de littérature. Je lisais énormément, mais je rêvais de musique. Donc, j’ai été diagnostiqué écrivain par les autres. Ensuite, le premier texte que j’ai écrit était La Nuit de Valognes. Après, Le Visiteur. Cette rencontre entre Sigmund Freud et Dieu peut-être, a été un triomphe au théâtre dans le monde entier. C’est une pièce sur la croyance. Dès que j’ai pris la plume, on m’a aussitôt reconnu écrivain. J’ai dû quitter l’Éducation Nationale. Immédiatement, j’ai gagné ma vie de ma plume et j’ai eu une carrière internationale sans avoir rien demandé. 

Les autres m’ont vu là où je ne me voyais pas et m’ont reconnu là où j’étais en train de chercher. J’ai peut-être eu la bêtise ou la naïveté de croire qu’ils avaient raison et j’ai consacré ma vie à la création. Évidemment, plus on crée, plus on devient créateur : un créateur qui se nourrit de sa passion et de la passion des autres. J’étais un créa-
teur autocentré. Ce n’est pas un jugement moral parce que cela peut donner, comme Montaigne, des choses absolument magnifiques. Ce qui fait le renouvellement constant de ma créativité, c’est que le nombre de thèmes que je n’ai pas abordés m’apparaît encore vertigineux. La diversité, la pluralité humaine, sont vraiment pour moi des sujets que je ne suis pas prêt d’épuiser.

 
La créativité n’est-t-elle pas une part du divin en vous ?

Très sincèrement, je ne pense pas. Je pense que c’est mon destin : c’est un grand aveu.
À mon avis, nous avons une seule liberté dans la vie : reconnaître notre destin et le suivre. Autrement, on peut passer à côté. C’est la seule liberté qu’on a : la liberté d’être soi ou de se rater. J’ai eu la chance qu’on m’aide à ne pas me rater, à me repérer. Après, j’ai consenti à mon destin qui est un destin créateur. Je deviens de plus en plus créateur avec les années, parce que j’ai de plus en plus confiance aussi dans mes capacités créatrices. C’est vraiment cela qui change entre 30 et 50 ans. Autant pour un sportif, l’âge est une catastrophe puisque les performances baissent, autant pour un artiste, un intellectuel, c’est une montée en puissance parce qu’il se fait plus confiance. On fait plus confiance à son cerveau, parce qu’on a fait beaucoup d’erreurs, donc on en évite parce qu’on a appris des choses. On connaît ses limites, donc on essaie de les dépasser, mais sans se brusquer, sans se faire mal. Quand on est jeune, on cherche la performance en se faisant mal. Je trouve qu’avec l’âge, on cherche la performance en se faisant du bien ou en évitant de se blesser, en étant aussi endurant, opiniâtre parce qu’il y a aussi la confiance dans la durée que prennent les choses. Je trouve que 50 ans, c’est merveilleux pour ça. J’estime avoir un pouvoir créateur bien supérieur à 50 ans qu’à 30 ou 40 ans, même si je revendique totalement ce que j’ai fait à 30 ou à 40 ans.


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mardi 6 novembre 2018

Interview d'Eric-Emmanuel Schmitt (2)


Ce fut le point de départ de votre ouverture aux différentes religions ?

Oui, parce que si j’avais vraiment été élevé dans une religion et que je n’avais pas eu la foi ou que je l’avais perdue, j’aurais immédiatement pensé reconnaître le Dieu de la religion qu’on m’avait inculquée. Mais comme on ne m’en avait pas inculquée, ce n’était le Dieu d’aucune religion. Cela a créé cette curiosité de toutes les grandes religions, comme les spiritualités orientales qui n’ont pas un dieu transcendant, le bouddhisme par exemple. Mais dans le bouddhisme, il y a aussi des expériences mystiques, il y a des passages mystiques. Cette voie de contrebande qu’est le mysticisme, est détestée en général par les religions officielles. On n’aime pas les mystiques, ce sont des anarchistes. Ce sont des gens sans dogme ni institution, ils sont à part. Donc, par la contrebande, je pouvais rentrer dans le jardin de toutes les religions. Cela a créé cette grande curiosité qui se manifeste dans mes livres.

Vous êtes entré dans l’esprit de chaque religion ?

Oui, par la vibration mystique.

Y en a-t-il une qui vous attire plus qu’une autre ?

Évidemment, quand je suis rentré, j’étais croyant, mais je restais snob comme un pot de chambre à cause de mon milieu, de ma formation, Normale Sup, l’agrégation, le doctorat, donc un milieu d’hyper intellectuels. Je me suis d’abord intéressé aux religions qui étaient les plus lointaines. Il ne fallait pas que je m’intéresse à celles qui étaient sur mon sol. J’ai commencé par les religions orientales. Ensuite, je me suis rapproché, avec l’islam puis le judaïsme. Et un jour, j’ai lu les quatre évangiles. Un jour, ou plutôt une nuit, encore une fois. C’est très vite lu, c’est court. J’ai lu les quatre à la suite. Cette lecture m’a profondément ébranlé parce qu’il y avait quelque chose de nouveau, là, qui n’était pas dans ma nuit mystique. 

Ce n’était pas que je retrouvais quelque chose, je trouvais quelque chose en plus : la promotion de l’amour, la mise en avant de l’amour comme la valeur fondamentale. Cela, je ne l’avais pas dans ma nuit mystique. Ma nuit mystique, c’était une nuit sur le sens où, tout d’un coup, j’avais la certitude que les choses avaient un sens. J’avais la certitude qu’il y avait une architecture souterraine, que lorsque je ne comprenais pas, je touchais mes limites et pas les limites du monde. Les limites de ma compréhension étaient les limites de mon esprit, pas les limites de l’univers. Donc, tout d’un coup, une crise d’humilité bénéfique qui faisait que, ayant la foi, je faisais crédit au mystère. Parce que, quand on n’a pas la foi, on ne fait pas crédit au mystère, on dit : « C’est absurde, les choses n’ont pas de sens ».
  • Ce que je crois n’est pas ce que je sais.

Pour moi, la foi, c’est la confiance dans le mystère : quand je ne comprends pas, c’est que je n’arrive pas à comprendre, ce n’est pas qu’il n’y a rien à comprendre. Donc, c’est cela ma nuit mystique. Avec la lecture des quatre évangiles, quelque chose s’ajoute, qui est nouveau : la mise en avant de l’amour avec le trajet du Christ. Et cela me bouleverse. À partir de là, je me mets à réfléchir, à lire, à méditer... Au bout de quelques années, cela m’amène à cette conclusion que oui, je suis chrétien. Mais il reste cette curiosité et ce respect des autres spiritualités. Et en plus, cela me paraît essentiel de dire : « Oui, je suis chrétien, mais je m’intéresse à la vie spirituelle d’un bouddhiste, d’un hindouiste, d’un japonais zen, d’un tibétain, d’un musulman, d’un juif et d’un athée parce qu’il y a aussi une vie spirituelle des athées ». Ce n’est pas la même chose un trajet intellectuel et un trajet spirituel. C’est très important pour moi de dire : « Attention, il faut distinguer croire et savoir ». Ce que je crois n’est pas ce que je sais. Ce que je crois, ce en quoi je crois, cela relève d’une adhésion, mais pas une adhésion rationnelle à partir d’arguments ou de raisonnement, c’est une adhésion. Il ne faut pas confondre ce qu’on croit avec ce qu’on sait. Donc, une foi n’est pas une certitude. En tant qu’être de foi, je respecte la foi des autres, c’est-à-dire d’autres façons de croire. Parce que le fait que j’ai une foi ne signifie pas que ma foi est la vérité. Cela signifie simplement que ma foi est mon choix ou ma nature, ou me correspond. Mais je ne suis pas possesseur de la vérité en ayant une foi plutôt qu’une autre. Donc, je dis : « Je suis chrétien et je m’intéresse aux autres religions. Je suis d’une maison, mais je respecte et m’intéresse à la maison des autres ».

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