dimanche 24 mai 2020

Méditation taoïste : la culture de soi et ses enzymes traditionnelles


La méditation taoïste est une méthode permettant de modifier la qualité de son énergie et de sa fréquence vibratoire. L’idée générale est de passer de l’état Yin, proche de la matière et de l’incarnation, à un état Yang, proche du réel ultime source de toute manifestation, jusqu’à fusionner avec lui. De là se dégage l’idée de trouver la partie « immortelle » en nous, étant donné qu’au stade de fusion avec le réel ultime (le Vide selon la terminologie taoïste), le temps et l’espace n’existent pas encore. Nous retrouvons ainsi notre « corps de gloire », ou notre esprit originel, selon la terminologie que l’on veut adopter.
Ceci est donc le projet global et la spiritualité taoïste a développé une méthode, précise, pour arriver à ce résultat. Cette méthode constitue l’axe principal du travail.
Cependant, la tradition lui ajoute deux éléments majeurs dont on entend très peu parler en Occident et qui rappellent l’idée de « culture », au sens de cultiver. En anglais, on parle souvent de « Self-cultivation », un terme qui s’applique merveilleusement bien à la méditation taoïste, mais qui sonne moins bien en français, quand on veut le traduire.
Ici, « cultivation », ou culture, réfère non pas à la culture telle qu’on la conçoit habituellement en Occident. Il ne s’agit pas d’un ensemble de connaissances livresques ou intellectuelles servant à débattre entre gens de bonne compagnie. Non, il s’agit ici d’un terme de jardinage. Qui se poursuit ensuite assez naturellement dans des termes issus de la cuisine. Comme on le voit, ce sont deux champs très expérientiels, sensitifs, faits avant tout d’un savoir transmis souvent de génération en génération et « incorporé ».
La méditation taoïste, même si elle est appuyée sur un certain nombre de concepts, techniques et méthodes, n’est pas une construction intellectuelle. Elle est au contraire une expérience sensorielle, subtile, dont la méthodologie suit une logique analogique basée sur une fine observation de la nature et de ses processus.
Pour cette raison, sa méthode principale utilise conjointement et intelligemment des connaissances issues d’autres champs du savoir métaphysique taoïste, pour optimiser son processus, un peu comme on utilise des enzymes pour favoriser certaines réactions chimiques qui prendraient un temps infiniment plus long sans cette aide.
Quels sont ces ingrédients ? Ils sont principalement de deux catégories.
La première est l’aide du Xuan Xue 玄学, c’est-à-dire la science (ou proto-science) des Talismans (Fu), mudras, mantras et parfois certaines marches sacrées spécifiques, qui utilisent très souvent des successions de pas liées à des constellations.
A quoi sert cette première catégorie d’enzymes ? A trois choses différentes.
1) Dans les processus initiaux, cette aide permet d’une part de protéger la pratique, et d’autre part « d’arrêter les saignements », c’est-à-dire, métaphoriquement, toutes les pertes d’énergie. Précisons que dans les arts du mystère chinois, « saignement » réfère à toute perte vitale, mais pas seulement sur un plan purement biologique. Au sens symbolique, toute perte significative récurrente est un saignement : perte d’argent, perte d’objets, pertes de relations ou de partenaires, de jobs, perte d’énergie sur problèmes émotionnels récurrents, etc..
Tout cela constitue un « saignement » qui empêche le calme du Cœur nécessaire à la pratique. Rappelons ici que le Cœur est justement nourri par le Sang, et si celui-ci fait défaut, que ce soit au sens propre ou figuré, ses fonctions ne pourront pas se stabiliser et les instances psychiques ou universelles qui lui sont liées, comme le Shen (Esprit), demeureront instables. Cet arrêt du « saignement » est donc primordial, et va bien au-delà du simple contrôle de l’éjaculation ou de l’arrêt des règles (décapiter le Dragon Rouge) que l’on voit cités dans tous les manuels, mais qui ne sont que des aspects spécifiques et matérialistes de l’étape de « L’arrêt du saignement ».
Dans cette première étape, donc, les Fu utilisés et consommés selon un mode précis visent essentiellement à aider le pratiquant à arrêter de « saigner » et à le protéger.
2) Une fois que les pertes sont arrêtées et que l’énergie du pratiquant s’est stabilisée et a retrouvé un degré d’intensité au moins normal (aidé parfois par des pratiques corporelles que je ne détaille pas ici), on peut alors commencer un travail spécifique sur le changement qualitatif, et plus uniquement quantitatif, de notre énergie. A ce stade, on utilise beaucoup les mantras ou incantations, de pair avec les talismans, qui visent à purifier les énergies et à nous débarrasser des « impressions » du passé. Non pas que l’on veuille effacer nos souvenirs, mais le travail vise à enlever tout ce qui pourrait constituer un blocage d’énergie et une entrave à sa libre circulation. A ce stade, la nature des talismans change et on utilise d’autres « jeux », de manière cyclique.
3) Enfin, dans un stade ultérieur, on utilise conjointement marches, mudras, mantras et Fu qui sont alors plutôt utilisés pour amener quelque chose que l’on pourrait qualifier de « lumière » dans le corps du pratiquant, mais constitue également un lien, un canal avec le divin ou le réel ultime. Ce sont des Fu qualifiés de pur Yang dans la tradition. Dans cette phase, la qualité vibratoire du pratiquant est très élevée et très subtile, et comme sa fréquence et sa « longueur d’onde » s’est rapprochée suffisamment du divin, par résonance, des messages peuvent passer d’un plan à l’autre, du divin à l’humain ou de l’humain au divin.
Précisons peut-être pour finir cette première partie enzymatique, que ces trois étapes sont découpées ici pour des raisons didactiques, mais qu’en réalité, les choses sont plus subtiles que ça et que c’est le maître ou l’enseignant spirituel en charge de la personne qui observe et donne les aides au bon moment. Ou ne les donne pas, s’il ou elle estime que le pratiquant n’a pas fait son job de son côté.
Passons maintenant à la deuxième catégorie d’aide : il s’agit de l’aide des sciences métaphysiques qui calculent la spatio-temporalité. En alchimie interne (méditation taoïste), celle que l’on utilise spécifiquement est le Qi Men Dun Jia, une méthode de stratégie qui calcule comment poser la bonne action au bon moment pour un pratiquant en particulier. Ces calculs découlent en effet en partie de la date et du lieu de naissance du pratiquant, c’est-à-dire du « flash » énergétique qui l’a imprégné au moment de son arrivée dans le monde et qui a influencé la constitution de sa trame énergétique.
Revenons un instant au jardinage : savoir que l’on veut planter des carottes ou des laitues et avoir les bonnes semences, le bon matériel et la bonne méthode d’ensemencement est une chose, mais si on ne respecte pas le bon endroit pour planter (son ensoleillement, par exemple) et le bon moment (automne, ou printemps), il y a de fortes chances que la récolte soit altérée voire même nulle. Il s’agit donc d’agir au bon moment et au bon endroit.
En pratique, on calcule donc un certain nombre de fenêtres temporelles, liées à un emplacement spécifique ou à une direction spécifique, propres au pratiquant et à lui seul, qu’on lui communique à intervalles réguliers. Il peut s’agir de fenêtre temporelle courtes mais fréquentes (souvent des intervalles de deux heures, présents plusieurs fois durant un mois) ou alors de périodes plus longues, annuelles, qui couvrent plusieurs jours de suite. Par exemple, cette année, mon maître m’avait communiqué une fenêtre temporelle de 5 jours au mois de mars pour aller pratiquer sous sa supervision. A cause du Covid, j’ai raté cette fenêtre, et la pratique spécifique est donc reportée d’un an.
Cette deuxième forme d’aide est donc très importante, car elle optimise nos efforts. En taoïsme, on évoque souvent les Trois Chances : la chance du Ciel, la chance de la Terre et la chance de l’Homme. La Chance de l’Homme, c’est-à-dire nos efforts personnels, le soin que nous prenons à pratiquer sincèrement, ne constitue que 1/3 de l’ensemble des circonstances produisant un résultat.
En utilisant conjointement ces autres aides, c’est comme si nous alignons simultanément les « Trois Chances » pour un seul objectif et cela favorise considérablement le processus de transformation global. On entend parfois dire, dans les cercles taoïstes, qu’une pratique de méditation de deux heures, au bon endroit au bon moment, permet de faire plus de progrès qu’une pratique de cent jours qui n’est pas orientée.
Comme on le voit, les termes liés au jardinage et à cette forme de la culture sont donc particulièrement appropriés quand on les applique à la méditation taoïste. L’art de la culture de la terre doit en effet tenir compte de la qualité du sol, des semences, de la technique et des instruments, mais également de protéger les récoltes et de planter les bonnes choses au bon endroit et au bon moment. Si nous ne prêtons pas attention à l’ensemble de ces facteurs, nos efforts seront moins optimisés et nous devrons mobiliser beaucoup plus de temps et d’énergie pour arriver au même résultat.
Pensons-y dans nos pratiques !

Fabrice Jordan