dimanche 25 février 2018

Jeûner, se remettre à l'écoute de son corps


Pendant le carême, Christophe André nous livre sa chronique sur la vie intérieure. Cette semaine, il nous explique comment, en s’abstenant de manger, on peut redécouvrir le plaisir de se nourrir.





« Jésus jeûna 40 jours et 40 nuits, après quoi il eut faim », nous raconte saint Matthieu dans son Évangile (4, 2). Mais cette fois, ce n’est pas un miracle : la plupart des êtres humains peuvent survivre à 40 jours de jeûne (à l’expresse condition de boire suffisamment). Toutes les traditions religieuses ont recommandé des périodes de jeûne. Et le jeûne est récemment revenu à la mode, à la fois pour des raisons médicales (il semble être bénéfique pour la santé) et psychologiques (dans nos sociétés de pléthore, il est un acte de résistance libérateur).
Le temps du carême est souvent associé à l’idée de jeûne. Mais de quel type de jeûne parle-t-on ? Et surtout dans quel esprit ? Le jeûne ne doit pas consister seulement en une restriction et une privation, mais doit plutôt représenter une manière de développer un nouveau rapport à la nourriture. Il ne s’agit pas, ou pas seulement, de se priver mais aussi de se recentrer, de moins manger, peut-être, mais surtout de mieux manger : savourer le bonheur que représente le pain quotidien, s’émerveiller et rendre grâce. On se propose alors d’habiter nos gestes différemment. Par exemple en prenant ses repas en pleine conscience, c’est-à-dire en se rendant vraiment présent à notre nourriture.
Souvent, nous ne ­nous mettons pas à table parce que nous avons vraiment faim, mais parce que c’est l’heure, parce que ça sent bon, parce qu’on s’ennuie...
Cela consiste à ne rien faire d’autre que se consacrer à son repas : ne pas lire, ni regarder la télé, ni écouter la radio, mais se centrer sur ce que nous mangeons. Bien mâcher, savourer, finir chaque bouchée avant de remplir à nouveau sa cuillère, prendre le temps d’écouter le message de notre estomac : “Stop” ou “encore” ? En prenant cette habitude, nous allons découvrir des tas de choses dans notre rapport à l’alimentation : souvent, nous ne ­nous mettons pas à table parce que nous avons vraiment faim, mais parce que c’est l’heure, parce que ça sent bon, parce qu’on s’ennuie, parce que cela nous permet de retrouver les autres... Nous pouvons aussi mieux comprendre pourquoi nous ingérons parfois trop : c’est le cas si nous prêtons trop attention au contenu de notre assiette (parce que c’est très bon ou parce qu’on se dit qu’il faut tout finir) et pas suffisamment à ce que ressent notre corps (il nous signale souvent qu’il est rassasié mais nous ne l’écoutons pas). Bien sûr, nous ne pouvons pas prendre tous nos repas ainsi… mais nous pouvons, de temps à autres, nous apercevoir que nous ingurgitons des quantités sans même nous en rendre compte.
Du coup, nous pouvons décider de régulièrement déguster un aliment, un plat ou tout un repas en pleine conscience : bouchée après bouchée, seul, sans distractions, sans discussion, en silence… Juste ressentir le goût des mets et aussi l’état de faim ou de satiété de notre corps, au fur et à mesure que le repas avance… C’est toute la différence qui existe entre simplement manger – avaler des aliments – et se nourrir : prendre conscience de toutes les grâces présentes derrière chacun des aliments qui nous sont offerts à chacun de nos repas.
En procédant ainsi, chaque jour du carême, ou lors de certains d’entre eux, nous allons redécouvrir le plaisir lié à la nourriture, redécouvrir la grâce que représentent le fait d’en disposer et le fait de se nourrir. Redécouvrir, finalement, les fondements simples pressentis par l’Ecclésiaste (9, 7) : « Va, mange ton pain dans la joie, et bois de bon cœur ton vin… »
Comment faire ?
Sur un plan « technique », il existe toutes sortes de jeûnes. Le jeûne total, dans lequel on ne mange rien, et l’on ne fait que boire des liquides, est réalisable par tout le monde, par exemple un jour par semaine. Le jeûne partiel consiste à manger moins, à s’assurer que l’on sort de table avec le sentiment qu’on aurait pu manger davantage : il s’avère plus adapté aux personnes inexpérimentées en la matière, et il peut être mené sur une durée plus longue. Enfin, le jeûne sélectif consiste en l’exclusion de certains aliments (viande, desserts, vin) : il peut être mis en place pour un temps plus long, par exemple le carême.
Sans danger pour la santé, au contraire, chacun de ces types de jeûne présente un intérêt sur le plan personnel et spirituel : on se débarrasse de certaines mauvaises habitudes liées à la nourriture (trop manger, trop vite), on retrouve une forme de liberté qui nous permet d’orienter nos pensées et nos énergies vers d’autres actions que les repas (les dialogues, le don, la prière).
source : La Vie
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