dimanche 9 octobre 2022

« De la chenille au papillon »

En dépit de toutes les nouvelles anxiogènes qui nous parviennent, nous avons le pouvoir de transformer le monde. Paule Amblard, historienne de l’art, nous présente une autre perspective, fondée sur l'Évangile et semblable au travail de l'alchimiste : notre devoir est de nous métamorphoser.

Ce jour-là, assombrie par la lecture des journaux qui dressent un bilan peu réjouissant de ce qui nous attend, je rejoins un groupe d’enfants pour retrouver ma nièce. Ils jouent, déguisés en magiciens avec de grands chapeaux pointus et des capes sur lesquelles sont collées des étoiles, des fleurs et de drôles de planètes explosant de couleurs. De grandes baguettes argentées en mains, ils se poursuivent jusqu’à ce que l’un d’entre eux parvienne à toucher l’autre. À cet instant, ils prononcent la formule : « Immobilos, Lumos, Expelliarmus, Oubliettes », autant de mots qui ont les pouvoirs de transformer ceux qu’ils touchent. Je me fais expliquer qu’« Immobilios » rend l’adversaire incapable de mouvement, « Lumos » projette sur lui un rayon de lumière, « Expelliarmus » le désarme, et « Oubliettes » l’envoie ailleurs.

Transformer le monde


Loin de me faire oublier les prévisions sinistres des économistes, des écologistes, des biologistes et autres spécialistes, leur jeu me fait réfléchir. N’avons-nous pas dans ce monde un pouvoir de transformation ? Au Moyen Âge, on pense que tout est mouvement, rien n’est figé et qu’il appartient à l’homme d’être le gardien de l’ordre naturel, mais aussi d’œuvrer pour le rendre meilleur. L’être a le devoir de se métamorphoser sur cette terre, de trouver ses ailes comme la chenille qui devient papillon. D’ailleurs, sans hasard possible, on voit souvent leurs ailes représentées sur les sarcophages chrétiens.

La parabole des talents

L’homme est à l’image de ces éphémères, c’est un voyageur, un passant qui doit faire fructifier ses capacités. C’est l’enseignement de la parabole des talents dans l’Évangile de saint Matthieu (25,14-30). Un maître sur le départ confie à ses serviteurs différentes sommes d’argent. Lorsqu’il revient, il constate avec satisfaction que ceux à qui il a donné le plus ont su faire prospérer son héritage. Seul le serviteur qui avait le moins est devenu peureux, a enfoui son trésor dans le sol et l’a oublié. J’ai longtemps trouvé très injuste cette histoire car il est dit : « On donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. »

Mais si l’on entre dans une compréhension symbolique du récit, considérant la richesse des serviteurs comme une marque de leurs capacités intérieures, alors la clarté se fait et l’on plaint l’homme qui n’a rien fait de sa nature, même modeste. Il n’a pas créé de vie, il s’est enterré. Dans son existence terrestre, il était comme mort !

Découvrir un au-delà de nous

On voit bien aujourd’hui que face à l’incertitude des jours et aux mauvaises prospectives, notre unique moyen de résistance est d’aller chercher des ressources en nous-mêmes, de les révéler en apprenant à nous connaître et d’aller découvrir un au-delà en nous. Cet inconnu est autrement plus réjouissant. Contrairement aux événements tragiques de la planète, nous avons dans ce domaine une capacité d’action et, selon l’évangéliste ­Matthieu, une raison vitale d’accomplir ce travail intérieur.

Il paraît que nous sommes des fils de Dieu, des « coupes d’or dans la main du souverain ». Il y a eu quelques coulées de boues pour recouvrir l’or ! Jadis, les alchimistes désiraient transmuter la matière. Dans leurs creusets passés au feu, ils recueillaient une quintessence. La matière brute, l’œuvre au noir, purifiée, devenait blanche, puis rouge, signe de l’or spirituel illuminant la matière. Que l’on soit jardinier pour cultiver son jardin ou alchimiste pour faire de l’or, cet accomplissement ne sera jamais perdu, même si le monde l’est. Il nous reste à devenir de bons serviteurs !

Paule Amblard

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