dimanche 11 juillet 2021

Apprécier notre humanité commune

 

Il est important de prendre conscience de l’interdépendance de tous les êtres et du monde qui nous entoure. Pour leur permettre de renforcer le sentiment d’être connecté au monde et à l’ensemble des êtres, le psychologue et thérapeute, Paul Gilbert, spécialiste de l’auto-compassion et de la compassion, propose à ses patients des visualisations comme celle-ci:

“Je vous invite à imaginer devant vous une mer d’un bleu superbe, chaude et calme, qui vient caresser une côte sablonneuse. Imaginez que vous vous tenez tout simplement debout avec de l’eau glissant agréablement sur vos pieds. Et maintenant, levant les yeux vers l’horizon, imaginez que cette mer est ici depuis des millions d’années, et qu’elle est, depuis, une source de vie. Elle a vu bien des choses dans l’histoire de la vie, et elle sait bien des choses. Maintenant, imaginez que cette mer vous accueille pleinement pour ce que vous êtes, qu’elle connaît vos combats et vos peines. Laissez s’établir entre vous et la mer, avec son pouvoir et sa sagesse, un lien privilégié, tout en acceptant pleinement ce que vous êtes.”

La compréhension de cette interdépendance universelle est la source même de l’altruisme le plus profond. En comprenant à quel point notre existence physique, notre survie, notre confort, notre santé, etc. dépendent des autres et de ce que nous fournit le monde extérieur –remèdes, nourriture, etc.–il devient facile de nous mettre à leur place, de vouloir leur bien-être, de respecter leurs aspirations et de nous sentir intimement concernés par l’accomplissement de ces aspirations.

Comment peut-on alors ne pas prendre soin des équilibres naturels qui se sont mis en place au fil des millénaires ? Il est nécessaire, aujourd’hui plus que jamais, de reconnaître l’incroyable richesse et la subtilité des liens d’interdépendance qui associent tous les acteurs et les forces dynamiques de la Nature.

Je souhaite vous partager un exemple très inspirant, que m’ont raconté mes amis de Karuna-Shechen, l'association humanitaire que j’ai co-fondée. Depuis cette année, Karuna étend ses programmes à une région très isolée du Népal, celle de la vallée de Ruby, nommée ainsi en référence à la pierre précieuse, car des gisements s’y trouveraient. Là-bas, des populations Tamang et Dalit cohabitent : c’est avec émerveillement que nos salariés sur le terrain ont rencontré ces familles de descendance tibétaine vivant en quasi autarcie. Éloignées des structures de santé et d’éducation, mais aussi des fournisseurs alimentaires, ils vivent nécessairement en harmonie avec leur environnement. Les animaux notamment y ont une place centrale : les locaux en rient eux-mêmes, disant que chez eux, il y a plus d’animaux que d’humains !

Ces populations ont ainsi une conscience accrue du lien qui les lie, eux les humains, avec tous les autres êtres vivants avec qui ils cohabitent. Ils cultivent la terre de manière durable et écologique, pour la préserver et leur garantir des vivres, pour eux mais aussi pour les générations futures. Ils élèvent et soignent leurs animaux, qui leur apportent du lait et leur permettent de cultiver les champs. Lorsqu’on demande à ces personnes si elles ne préfèreraient pas vivre dans un lieu plus proche de la ville, et de ses infrastructures, on répond : “pourquoi aller ailleurs, quand la terre ici nous apporte tout ce dont on a besoin ?”

Que peut-on retenir de personnes rencontrées dans la Ruby Vallée ? Il est indispensable de prendre conscience de l’interdépendance de toutes choses et d’assimiler cette vision du monde, de sorte que notre manière d’agir s’en trouve transformée. L’altruisme et la compassion sont intimement liés à cette compréhension de l’interdépendance, qui permet de mettre à bas le mur illusoire que nous dressons entre « moi » et «autrui », entre « je » et « nous », et nous rend responsables de notre terre et de ses habitants.

Comme l’explique le Dalaï-lama : Acquérir un sentiment de responsabilité universelle – percevoir la dimension universelle de chacun de nos actes et le droit de tous au bonheur et à la non-souffrance –, c’est acquérir une attitude d’esprit qui, quand nous voyons une occasion d’aider autrui, nous porte à la saisir plutôt que de nous soucier uniquement de nos petits intérêts personnels.


Matthieu Ricard
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