vendredi 15 octobre 2021

Partage d'un chemin

 

“Well the image is one thing, and human being is another”
Elvis Presley
REQUIEM POUR UN FOU : LA CAGE DES ENSEIGNANTS SPIRITUELS

En tant qu’enseignants spirituels, nous nous trouvons bien souvent confrontés à nombre de projections. Il n’est pas simple de s’en extraire, mais il est indispensable d’essayer, et si possible, de réussir. Bien entendu, dans un monde idéal, ce devrait être un des critères principaux d’évaluation d’un enseignant spirituel. Oui mais voilà, nous ne sommes pas dans un rêve, ni dans un monde idéal. Nous devons donc nous confronter à l’épreuve du réel.
Je ne veux pas parler ici pour d’autres, mais juste de mon expérience.
J’ai commencé à enseigner très tôt, à l’âge de 22 ans. J’avais été un enfant et un ado très vite parentifié, et j’ai toujours été, aussi loin que je m’en souvienne, l’élément stable de ma famille, et plus tard, des différents lieux où je me suis trouvé. En Ba Zi, dans mon pilier professionnel, j’ai un bois Yang dans les troncs célestes. Comme il s’agit d’un élément facile à découvrir quand il est en surface, j’ai très vite incarné ce chêne stable sous lequel tout le monde vient se protéger en cas de besoin.
J’ai donc commencé à enseigner tôt, beaucoup trop tôt. Et déjà, tant de projections sur moi. Aurais-je dû être parfait ? Peut-être, mais je ne l’étais pas. Je suis un instinctif profond, j’ai besoin d’expérimenter pour comprendre. Il m’est impossible d’élaborer ou de sentir les choses à distance. J’ai donc fait passablement d’expériences pour me trouver et pour trouver une voie qui me permette de m’épanouir tout en étant au service des autres et du plus grand que moi.
Que d’erreurs en chemin, que d’essais approximatifs, que de baffes, de réussites parfois, que de choses dont je ne suis pas fier mais que je sens en même temps aujourd’hui comme inéluctables dans une trajectoire humaine, si humaine. Mais j’emmagasinais de l’expérience, j’ai toujours voulu approfondir les choses et comprendre, bouger, sentir, essayer encore. J’ai besoin d’être au cœur des choses.
Plus tard, j’ai visé l’éveil, des stages de 12h par jour, des week-ends entiers à méditer, des retraites, des lectures. Et j’ai vécu plusieurs fois des choses que d’autres décrivent comme des états d’éveil. Je me suis toujours refusé à essayer de nommer cet état, ni à essayer de le figer. Il ne change rien, de toute façon. Les montagnes restent des montagnes.
Mais l’avoir vécu m’a guéri pour toujours de vouloir en faire un concept, qqch de figé. Et j’ai surtout compris qu’il ne nous rendait pas meilleurs, pas plus humains, pas plus matures dans certaines de nos blessures. L’éveil ? Une chimère de plus, un gros piège pour l’ego, un mirage et un miroir dans lequel tant se perdent à se contempler.
Cela n’a jamais changé depuis. Je sais où je vais, mais je veux y aller par le véhicule d’une humanité entière, totalement imparfaite, et pourtant parfaite dans sa majestueuse imperfection.
Je veux pouvoir être en colère, et en rire ensuite. Et pouvoir m’excuser. Je veux pouvoir aimer, mal ou maladroitement, ou pour un temps, mais aimer en toute imperfection. Je veux pouvoir raisonner de biais parfois, et droitement souvent. Je veux pouvoir me tromper, tomber, recommencer.
Être une merde et un diamant. En blessant le moins possible, mais en sachant que c’est inévitable parfois, et en aimant le plus possible, en sachant que ce ne sera jamais suffisant. Je veux pouvoir être sous l’eau, me noyer, remonter, et appeler à la résurrection. Je veux même bien être crucifié, mais gentiment, avec des clous de pacotille, juste pour croire que je suis courageux.
Surtout, je veux pouvoir créer, me planter, recommencer, encore et encore. Et je veux inspirer, non pas pour que quiconque me ressemble, mais pour que l’autre s’approche de lui-même ou d’elle-même et se permette la même folie d’être parfaitement imparfait.
Ceci est ma voie spirituelle, mon chemin vers le divin. Je veux l’or dans la boue, Elvis quand il faudrait aimer Dylan, le sacré dans le bordel, le divin dans Bill Gates, la 5G dans le Buddha et les nanoparticules dans le bœuf de Lao Zi.
Tout ceci est une farce, de tout façon, un grand jeu cosmique, que nos minables égos essaient de rendre lisse, beau, ataraxique, sûr, et chiant au possible. Ce n’est pas ma voie. J’emmerde le concept de la non-dualité tout autant que n’importe quel système qui semble parfait de loin. Je crois à l’interstice, au vide médian, au mouvement, à la faille d’où tout peut sortir.

Alors, amis qui me suivez, qui détestez, adorez, feignez l’indifférence ou pire, vous positionnez sur votre montagne de parangon, je le sais : je ne suis pas parfait, et j’offre volontiers mon corps non pas à la science (pas encore), mais à toutes les étiquettes.
« Personne ne connaît personne » disait Prajnanpad. Je le rejoins. Ce que vous projetez sur moi, en positif comme en négatif vous appartient. Et je prends volontiers les deux pour ce qu’ils sont : les projections tellement humaines d’êtres en chemin prétendant qu’ils ne projettent rien. Exactement comme moi. En cela, nous sommes frères et sœurs humains, chacun jouant son propre jeu savant ou pas, et essayant avec plus ou moins de réussite de donner du sens aux mouvements du temps et de nos merveilleuses et improbables interactions.
Amie, ami, si c’est moi que tu veux rencontrer, rencontre-moi là où je suis : entièrement imparfait, paradoxal, mais au cœur de la spirale. C’est là que je veux apprendre avec toi, et là que je peux t’aider aussi. Mais seul.e toi peut enlever tes lunettes et me voir où je suis. Il paraît qu’aucune n’origine n’est belle. Que la beauté véritable est au terme des choses. Rejoins-moi au terme, pas à l’origine.
Malgré tout ça, je suis enseignant spirituel, et je n’usurpe rien. Je continuerai jusqu’à mon dernier souffle, qui très probablement, ne sera pas émis en 432Hz. Et meeeerde !
Fabrice

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