vendredi 22 avril 2016

Préface du livre de Christophe Massin par Fabrice Midal


 La notion de confiance est très peu questionnée pour une raison toute simple : nous ne savons pas vraiment la penser. Nous connaissons celles d’estime de soi, d'optimisme, de bonté ou de gentillesse, mais pas celle-ci. En effet, elle est d'un tout autre ordre. À la rigueur nous pouvons penser à la « confiance en soi », ou « dans les autres », mais la notion de confiance intrinsèque nous échappe. Or celle-ci est par principe primordiale. Si bien que certains qui réprouvent ne s’en rendent pas compte, et que ceux qui en manquent au point d’en être meurtris ne discernent pas que là réside la source de leurs difficultés, de leurs angoisses et de leurs souffrances.

L’ouvrage de Christophe Massin éclaire avec brio le nœud du problème. En effet, explique-t-il, seule une approche « spirituelle » peut nous permettre d’aborder la cause réelle de notre souffrance et les moyens de nous en délivrer. Notre manque d’assurance ne vient pas d’abord d'un problème lié à notre éducation ou à notre environnement social, mais au fait que nous soyons des êtres humains. Tout être humain est ainsi pris par la peur et le doute qui le séparent de l'ampleur de la réalité, de l'ampleur de la vie. C'est donc un travail sur notre propre existence en tant qu'être humain qu'il faut faire. Retrouver confiance, c'est réapprendre à mieux coexister avec la réalité, au lieu de nous en séparer. Et un tel travail est l'œuvre la plus profondément humaine.

Le poète Rainer Maria Rilke a le plus souverainement fait l'épreuve de la déchirure qui, au cœur de nos existences, nous prive de toute confiance. Comparant l'homme à la fleur, il écrit ainsi : « Nous, les violents, nous durons plus longtemps. Mais quand, dans laquelle de toutes nos vies, sommes-nous enfin des êtres qui s'ouvre lit pour accueillir ? » Pour lui, ce qui nous sépare de la vie, c'est cette conscience qui interprète, examine et commente. Elle nous conduit à nous séparer de ce qui est, nous fait nous retourner sur ce qui a eu lieu, nous privant ainsi d'une ouverture réelle au présent.

La grande méprise est de croire que la confiance viendrait d'une forme d'assurance qui nous serait octroyée par un tiers. Nous cherchons tous à être rassurés et nous croyons que si nous l'étions comme nous le voulons, alors tout irait bien. En réalité, ce souci d'être rassuré est précisément ce qui empêche toute confiance. Attendre que quelque chose d'extérieur vienne nous apporter ce qui nous manque est une manière de creuser notre propre malheur. Or tant au niveau social qu’individuel, nos sociétés favorisent une telle méprise. Elles nous éloignent de la source de vie.

Nous ne pouvons trouver l'assurance qu'en abandonnant toute recherche d'une confirmation extérieure et en nous ouvrant sans condition à la réalité telle qu'elle est. Le geste de la méditation rejoint l'intuition de Rilke car il invite à ne rien faire, absolument rien. Cesser de chercher à comprendre, à analyser, à essayer de trouver des solutions.

Regagner ainsi la confiance n'est donc pas du tout un geste convenu pour se rassurer mais au contraire une ouverture profonde. C’est même là un mouvement radical. Voilà au fond, une excellente manière d'approcher le sens de tout chemin authentique spirituel : nullement chercher une sorte de cocon protecteur où tout serait apaisé, serein, mais aller à la racine de notre humanité, à la racine de ce qui la brime. Malheureusement, la compréhension habituelle de la spiritualité est trompeuse puisqu'on croit qu'il s’agit d'une forme d’élévation, de supplément d’âme alors qu'il s'agit tout au contraire d'un risque assumé nous exposant à la réalité nue. Non un refus du plus concret, mais la seule manière de lui rendre toute sa densité.

La véritable spiritualité, si peu connue aujourd'hui, si souvent confondue avec son contraire qu'est le divertissement, vise tout simplement à nous éveiller à ce qui est, là, maintenant. Autrement dit alors que pour la plupart des gens la spiritualité est une sorte de vague promesse, de consolation, elle est, tout au contraire, comme le montre Christophe Massin, l'analyse la plus lucide et convaincante des raisons de notre emprisonnement, des raisons de notre peur d'aimer et d'être aimé.

Cet ouvrage va vous permettre ainsi de découvrir ce qui vous empêche d'être vraiment ce que vous avez à être. Mais il contient aussi un autre apport décisif. La voie de la confiance n'est pas une voie qui passe par-delà nos difficultés et épreuves, mais qui au contraire nous invite à les rencontrer. Mouvement radical, poignant, souvent difficile et courageux : Christophe Massin vous invite à aller embrasser ce qui vous fait peur, ce qui vous blesse, ce qui vous inquiète car là, et là seulement, une forme de libération peut apparaître.

La question de la confiance ne cesse de me hanter depuis des années. Enseignant la méditation, je suis frappé de constater encore et encore que c'est elle qui fait le plus souvent défaut et empêche à nombre de gens d’entrer dans la pratique. Sans elle, en effet, la pratique de la présence attentive (Mindfullness) et la pratique de l'amour bienveillant restent pauvres, à la lisière de l'essentiel. Des sortes de techniques pour se protéger du monde, pour se protéger de soi, pour ne pas vivre. C'est pourquoi à présent, j’enseigne souvent les pratiques de confiance que j’ai reçues, voyant mieux au fur et à mesure de mon travail, leur importance décisive, leur force libératrice.

Puisse ce livre que vous tenez dans vos mains permettre à la confiance d’irradier, à notre monde de trouver enfin le souffle lui donnant la force de faire face aux défis nombreux qui aujourd’hui le menacent et de ne pas se laisser aller à la peur et au découragement.

Fabrice Midal



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