mardi 31 mai 2022

Interview de Gilles Farcet (2)

 Frédéric Blanc : Revenons à ton dernier livre. Dans quel genre littéraire le classerais-tu ?


Gilles Farcet : Je le classerais spontanément dans le genre de la confession. Précisons que je n’emploie pas ce mot dans son sens pénitentiel… Il ne s’agit pas d’un aveu mais d’un partage profond et intime. C’est en quelque sorte mon petit « coming-out mystique ».

Frédéric Blanc : J’aurais également parlé de poésie…

Gilles Farcet : Tout à fait. Même s’ils sont rédigés en prose, ces textes touchent à l’écriture poétique.

Frédéric Blanc : En France, les milieux littéraires et spirituels s’ignorent quand ils ne se méprisent pas. N’y a-t-il pas quelque risque à écrire un livre qui relève de ces deux genres antagonistes ?

Gilles Farcet : C’est un risque assumé mais finalement très relatif… Quelles que soient ses qualités littéraires, il est clair que ce texte s’adresse en premier lieu à des personnes sensibles à la dimension spirituelle. Je pense qu’un partage de ce genre est susceptible de nourrir leur aspiration… J’ignore sincèrement s’il pourrait intéresser un public purement littéraire… Mais comme ce n’est pas mon propos, je ne me pose pas vraiment la question. Dans la mesure où beaucoup de textes littéraires possèdent une dimension que l’on pourrait qualifier de spirituelle, on pourrait arguer que l’opposition entre ces deux univers a quelque chose de factice… Il n’en reste pas moins vrai que cet antagonisme existe et qu’il n’est pas près de disparaître… J’ai par exemple été très frappé par le fait que les éditions récentes du Mont Analogue de René Daumal, ne comportent plus la dédicace à Alexandre de Salzmann, son premier instructeur dans les groupes Gurdjieff… Puisque René Daumal est mort depuis longtemps, on se doute bien que ce n’est pas lui qui est à l’origine de cette suppression. Mais alors qui ? On pourrait certes affirmer qu’on a enlevé le nom d’Alexandre de Salzmann parce qu’il n’est pas connu du grand public. Beaucoup de livres d’écrivains célèbres sont dédiés à de parfaits inconnus ; cela n’empêche pas le nom de ces anonymes de continuer à figurer sur la page de garde. A tort ou à raison, je soupçonne que la disparition de cette dédicace est le signe d’une gêne, d’un malaise du milieu littéraire vis-à-vis d’un objet littéraire à la dimension spirituelle trop flagrante.

Frédéric Blanc : Ton livre n’est pas uniquement une création personnelle. Il comporte un grand nombre de photos de Christian Petit. La présence de ces belles images enrichit sa lecture…

Gilles Farcet : Yes ! Merci de le mentionner.

Frédéric Blanc : Pourquoi ce choix ?

Gilles Farcet : C’est une idée de l’éditeur. Lorsque je lui ai soumis le texte, il m’a proposé de le publier dans une collection illustrée. J’ai immédiatement pensé aux photos de mon ami Christian dont j’apprécie la finesse du travail. Je suis heureux qu’il ait accepté.

Frédéric Blanc : « L’être heureux est une personne » … Voilà qui sonne très chrétien…

Gilles Farcet : Absolument ! Plus j’avance en âge (et, espérons-le, en maturité), plus ma sensibilité spirituelle prend une coloration chrétienne. C’est d’autant plus paradoxal que je ne me suis jamais tellement intéressé à la religion en tant que telle… Je parle ici de toutes les religions : l’hindouisme ne captive pas plus que le christianisme, le bouddhisme ou le judaïsme. Enfant, j’étais touché par l’enseignement des Évangiles. Le quotidien d’un maître entouré de ses disciples me bouleversait… Le reste m’a très tôt paru bizarre et déroutant… Ce qui me passionne encore aujourd’hui, c’est la dimension verticale. On en trouve évidemment la trace fulgurante dans les Évangiles mais aussi dans une certaine mystique chrétienne. Je ne parle pas seulement de Maître Eckhart et autres mystiques subtils et sublimes qu’il est de bon ton de citer dans les milieux non-dualistes. Je suis tout aussi touché par des saints beaucoup moins ésotériques comme Saint Vincent de Paul ou le Curé d’Ars.


Frédéric Blanc : Qu’est-ce qui te touche dans la sensibilité chrétienne ?

Gilles Farcet : C’est peut-être l’insistance sur la notion de personne. De ce point de vue, la culture chrétienne est aux antipodes de l’hindouisme et du bouddhisme.

Frédéric Blanc : Venant de quelqu’un qui insiste sur la dimension impersonnelle de son livre, tu avoueras que c’est piquant…

Gilles Farcet : C’est sûr ! (Rires) Ce genre de paradoxe est cependant inévitable… Il est pour moi évident que même la dimension la plus impersonnelle ne peut être vécue que dans une forme c’est à dire par une personne. On se demande d’ailleurs bien comment il pourrait en être autrement… Ce vécu n’a rien à voir avec son histoire, sa psychologie, ses conditionnements divers et variés et pourtant… Et pourtant, c’est bien un être humain unique qui va vivre de manière subjective une expérience que l’on pourrait qualifier d’objective. A mon sens, on touche là au mystère de la personne. Qu’est-ce qu’une personne au sens chrétien du terme ? On dit que Dieu est une personne… Qu’est-ce que ça veut dire ? Il m’est d’autant plus impossible de répondre à cette question que je ne suis pas théologien… Ce dont je suis certain, c’est qu’il existe un mystère et une sacralité de la personne… Note que la dimension de la personne dépasse de loin notre personnalité psychologique… A quoi tient notre singularité ? Elle n’est pas seulement le fruit de notre histoire. Beaucoup d’histoires se ressemblent d’ailleurs… L’expérience d’un garçon traumatisé par la naissance d’un frère cadet s’apparente à celle de millions d’autres enfants. Et pourtant chacun de nous est radicalement unique. Cette énigme se laisse entrevoir dans les visages. Lorsque je passe par Londres, il m’arrive souvent de visiter la National Portrait Gallery. Cela me fascine. Les êtres humains sont façonnés selon un nombre limité de types physiques et psychologiques et pourtant, on ne rencontre jamais deux fois le même visage. Aucun regard ne ressemble tout à fait à un autre. Cette singularité radicale est désormais corroborée par la science. Nos empreintes digitales et notre ADN sont absolument uniques. C’est vertigineux quand on y pense ! [Silence] Autre paradoxe : même si elle insiste énormément sur la dimension de la personne, la sensibilité chrétienne ne met jamais l’individu en avant. Il serait inconcevable pour un saint chrétien de se vanter d’avoir atteint la sainteté. Le christianisme nous met inlassablement en garde contre l’orgueil spirituel. Il n’en va pas de même pour certains « éveillés » qui se réclament pourtant d’une tradition non dualiste…

Frédéric Blanc : Tu t’en prends à ce que tu appelles « leur version des faits ». Qui sont ces gens dont tu remets en cause la vision du monde ?

Gilles Farcet : C’est une bonne question… Je suis conscient qu’il y a un brin de paranoïa dans cette expression… Du coup nous abordons une thématique un peu plus personnelle… (sourire) « Leur version des faits », désigne cette conception pauvre et plate de la réalité qui de tout temps a tenu le haut du pavé... En quoi consiste-t-elle ? Cette vision des choses se caractérise par sa mesquinerie et son manque absolu de perspective : le réel est linéaire, prévisible… La vie se réduit à un morne combat qui se gagne à coup de calculs miteux… Je ne suis pas en train de nier l’évidence. Oui, il existe des lois physiques, sociales, psychologiques etc. A un certain niveau, on peut même dire qu’elles nous gouvernent de manière implacable… Si cet aspect des choses est loin d’être anecdotique, il n’en reste pas moins partiel. Quelque chose d’autre est à l’œuvre. Quelque chose d’infiniment plus mystérieux qui échappe à toute tentative de conceptualisation. Et pourtant, c’est cette dimension insaisissable qui régit et gouverne la réalité. Je ne récuse pas « Leur version de faits », j’en souligne simplement l’étroitesse.

Frédéric Blanc : A tes yeux, « leur version des faits » semble inclure des idéologies parfaitement incompatibles. Tu y inclus pêle-mêle : « Dieu, pas Dieu, le Parti, la Révolution, le Conservatisme, les Valeurs, l’Insoumission, l’Anarchisme, la Tradition etc. » J'imagine qu’un communiste orthodoxe rechignerait à admettre qu’il partage la même « version des faits » qu’un catholique intégriste ou un chantre de l’économie néo-libérale... Qu’est-ce qui les rapproche selon toi ?

Gilles Farcet : Ce qui les rapproche, c’est leur identification totale à une idéologie. Celle-ci peut être religieuse, comme le christianisme, politique et économique, comme le communisme ou le capitalisme libéral. Je ne prétends pas que ces idéologies soient entièrement néfastes ou inutiles… Si je ne suis pas marxiste, je ne considère pas non plus que le communisme se réduise à un tissu d’inepties. La lutte des classes n’est pas une invention de Marx ! De là à dire que ce soit l’unique moteur de l’histoire… Toute idéologie digne de ce nom, je ne parle ici pas des discours extrémistes dont j’ai une sainte horreur, est porteuse d’une part de vérité. Toutes entrevoient un aspect de la réalité. Les problèmes commencent à partir du moment où l’on prétend ériger une philosophie en dogme et où l’on s’imagine qu’elle est capable de rendre compte de la totalité du réel. Ce genre de réductionnisme est toujours l’expression d’une peur.

Frédéric Blanc : Est-il possible à un être humain de se libérer complètement de ses conditionnements idéologiques ? Un esprit mal tourné pourrait par exemple te faire remarquer que ton discours relève d’une idéologie spiritualiste…

Gilles Farcet : Tu as raison. J’ai un certain regard sur le monde que l’on peut qualifier de spiritualiste. Toute la question est alors de voir si mon « spiritualisme » m’empêche de comprendre, pourquoi pas d’apprécier pour leurs qualités, un matérialiste récusant toute dimension spirituelle, ou un militant qui ne voit de sens que dans l’engagement politique. En tant que forme, je ne crois pas que l’être humain puisse totalement échapper aux conditionnements. Être vivant équivaut toujours à être sous influence… Avancer qu’une forme pourrait être intégralement non conditionnée me paraît absurde. On affirme volontiers que les grands sages vivent libres de tout conditionnement. A un certain niveau, d’accord… Il n’empêche que de manière plus ordinaire, en tant que formes, c’est à dire en tant qu’êtres humains, ils demeurent dans une certaine mesure le produit de leur culture, de la société dans laquelle ils ont grandi et évoluent. Toute la différence, et elle change tout, réside dans la relation qu’ils entretiennent avec ces conditionnements relatifs. Pour le dire simplement en prenant un exemple que j’ai bien connu, Arnaud Desjardins n’était pas prisonnier d’une mentalité bourgeoise et protestante. Et cependant, il restait reconnaissable en tant qu’homme de sa génération issu d’un certain milieu.

.................................


lundi 30 mai 2022

Interview de Gilles Farcet (1)

 La Réalité est un concept à géométrie variable… Le titre est tellement bon que j’ai d’abord hésité à ouvrir le livre de peur que le reste ne soit pas à la hauteur. Homme de peu de foi ! Les textes de ce recueil tiennent évidemment leurs promesses et au-delà… Tout comme son auteur, le livre de Gilles Farcet séduit, déroute, enthousiasme et irrite. Au moment où je pense en avoir fait le tour, je m’y replonge de plus belle sans trop savoir pourquoi… Ayant renoncé à toute prétention littéraire, le Gilles de la maturité est plus écrivain que jamais. Libérée de ses préciosités, son écriture a gagné en candeur et en intensité. Pour employer le vocabulaire de Monsieur Gurdjieff, je dirais que ses derniers livres ne sont plus l’œuvre de sa « personnalité » mais celle de son « essence ».

Photo: Christian Petit

Frédéric Blanc : Ton nouveau livre est de toute évidence une œuvre profondément intime. J’ai donc été surpris de découvrir qu’il était rédigé à la troisième personne du singulier.

Gilles Farcet : Je comprends que cela t’étonne. Je n’ai malheureusement pas beaucoup d’explications à te donner à ce sujet… Dès le départ, ce « il » s’est imposé à moi comme une évidence. Il ne s’agit donc pas d’une décision raisonnée, encore moins d’une coquetterie de style.

Frédéric Blanc : Pourquoi et comment as-tu écrit ce livre ?

Gilles Farcet : Ce livre est un peu le fruit du hasard. Il a été rédigé durant le premier confinement… Quand j’ai commencé à travailler aux textes qui le composent, je n’avais pas du tout le projet d’en faire un livre… J’avais du temps devant moi et j’ai commencé à écrire au fil de la plume. Je n’avais aucun sujet particulier en tête et aucune idée de la manière dont je finirai ou non par valoriser ces textes. Comme je te le disais, le « il » s’est imposé dès le début… Au final, ce choix est moins paradoxal qu’il n’y paraît… Je cherche à évoquer ici des sentiments (j’emploie ici ce mot au sens que lui donne Swami Prajnanpad) d’une certaine qualité objective. Pour intimes qu’ils soient, ils n’ont pas grand-chose de personnel. Ce n’est pas parce qu’ils sont ressentis par moi, qu’ils m’appartiennent. J’aurais été très embarrassé d’employer la première personne du singulier… Un peu comme si je cherchais à m’approprier quelque chose qui me dépasse.

Frédéric Blanc : C’est pourtant ton nom qui figure sur la couverture du livre…

Gilles Farcet : C’est vrai. On touche ici à l’ambiguïté de l’écriture… et de la publication. Si encore j’avais enterré ces textes au fond d’un tiroir ! Mais à partir du moment où je fais la démarche de les rassembler et de les soumettre à un éditeur, on a beau jeu de m’objecter que je m’approprie quelque chose. Oui, c’est bien un livre de Gilles Farcet et non un livre anonyme comme il a en existé autrefois dans une certaine tradition mystique. Un moine écrivait un ouvrage de théologie et le signait « Un chartreux ». C’est le cas de certains grands textes médiévaux. Je ne compare évidemment pas mon texte à un chef d’œuvre mystique du moyen-âge. Je ne le compare à rien d’ailleurs… Tout ce que je dis, c’est que ces textes auraient pu être publiés de manière anonyme même si ce genre de démarche n’est plus vraiment concevable dans le contexte actuel. Je ne suis pas certain que mon éditeur se serait montré très compréhensif…

Frédéric Blanc : Tu affirmes avoir commencé à écrire sans avoir de projet éditorial. Quand et pourquoi as-tu changé d’avis ?

Gilles Farcet : Ces textes se sont donc écrits au fil de la plume… J’ai travaillé très rapidement. Leur rédaction s’étale sur quelques semaines… Je les ai ensuite mis de côté. Lorsque je les ai repris, je me suis contenté d’effectuer quelques légères corrections... Le premier jet était satisfaisant… J’avais dit ce que j’avais à dire… Selon mon habitude, j’ai alors posté un ou deux textes sur ma page Facebook dont je me sers comme d’une sorte de laboratoire… [Silence]... Moi qui suis souvent très critique à l’égard des réseaux sociaux, je dois avouer que le fait d’avoir une page d’auteur est assez génial. On peut y présenter un texte et en mesurer immédiatement l’impact. C’est exactement ce qui s’est passé pour ce livre. Les extraits que j’ai partagés sur Facebook ont reçu des retours si positifs que je me suis dit que cela valait la peine de le faire publier. C’est une question de tempérament aussi… L’écriture est à mes yeux une démarche de partage. Elle relève du dialogue, de la transmission. Je conçois mal d’écrire un texte dont je serais le seul lecteur… Il me serait par exemple impossible de tenir un journal intime. De ce point de vue, les réseaux sociaux m’ont été immensément utiles. Je me demande si mes derniers recueils de poèmes auraient vu le jour sans cette possibilité de partage immédiat… Je n’y avais jamais réfléchi mais sans Facebook, l’idée d’écrire de nouveaux poèmes ne me serait peut-être même pas venue à l’esprit… Tout cela est donc très circonstanciel. Parmi les autres événements déclencheurs, il faut évidemment citer ma rencontre avec Jonas Enders, le directeur des Éditions L’Originel Antoni. J’apprécie beaucoup son travail.

Frédéric Blanc : Ton texte, si précis dans la description de certains sentiments, reste flou sur certains autres aspects. Tu y évoques par exemple un certain nombre de figures qui ont marqué ta vie et ton parcours : Yvan Amar, Arnaud Desjardins, Lee Lozowick, Yogi Ramsuratkumar… Tu te gardes cependant bien de mentionner leurs noms.


Gilles Farcet : Effectivement… Là encore, c’est moins un parti pris qu’une évidence. Ça s’est tout simplement imposé comme ça… En y réfléchissant, je me dis que c’est cohérent par rapport à la démarche de l’écriture. Ces textes expriment des sentiments intimes mais impersonnels. Quand j’évoque par exemple mon ami spirituel, je n’évoque pas tant la personne, Arnaud Desjardins, que la fonction. A tort ou à raison, je me dis que ce texte aurait pu être écrit par un autre. Quelqu’un qui aurait suivi une voie analogue mais dans un autre contexte, sous la supervision d’un autre ami spirituel, aurait pu écrire quelque chose d’assez semblable. Peut-être pas dans la forme, mais certainement dans l’esprit…

Frédéric Blanc : Considères-tu que ton texte relève de la littérature ?

Gilles Farcet : Un texte relève de la littérature à partir du moment où il est l’œuvre d’un écrivain… Il est toujours délicat de s’attribuer à soi-même un tel titre. Cependant, comme il m’a été accordé par d’autres, j’assume. L’humilité est une belle valeur mais j’ai horreur de la fausse modestie. Accordons-nous donc sur le fait que ce texte n’a pas été écrit par un amateur qui partagerait son expérience de manière factuelle et descriptive mais est bien l’œuvre du professionnel de l’écriture que j’ai été et reste. Cela dit, mon but n’était pas de produire un chef d'œuvre littéraire. Il y a bien longtemps que j’ai cessé de nourrir ce genre d’ambitions. En serais-je d’ailleurs capable ? Ainsi que je te l’ai dit, je n’ai pas senti la nécessité de retravailler mon texte en profondeur.

Frédéric Blanc : J’ai bien compris que les coquetteries de style t’étaient à présent indifférentes… Il n’en reste pas moins que toute activité littéraire implique une préoccupation esthétique. Quels sont très critères en la matière ? Comment essaies-tu de travailler cet aspect-là de ton écriture ?

Gilles Farcet : Je ne le travaille plus. Le style a cessé d’être une préoccupation consciente. Je me contente désormais de mettre ma technique au service de ce qui me tient profondément à cœur. J’écris de manière très libre, très instinctive. Ça coule tout seul. C’est un jaillissement assez spontané, parfois mêlé d’images.

Frédéric Blanc : J’imagine que ce n’est pas ainsi que tu écris tes essais…

Gilles Farcet : Absolument pas.

Frédéric Blanc : Qu’est-ce qui change ?

Gilles Farcet : L’écriture d’un essai comme Une boussole dans le brouillard représente un travail totalement différent. C’est un manuel de pédagogie spirituelle dont le but est de clarifier les notions essentielles de la voie. Même s’il ne s’agit pas d’un ouvrage purement théorique, sa rédaction est tout de même un processus très cérébral. Il me serait impossible d’en improviser la rédaction. Chacun de ses chapitres est le fruit de jours, voire de semaines de réflexion. Pour le coup, je retravaille énormément. Pour être aussi clair et utile que possible, je passe des heures à structurer et condenser mon propos. Je dois dire que c’est un travail assez laborieux.

.......................................



dimanche 29 mai 2022

Bonne fête

 


" Les mères nourrissent leurs petits avec du lait et avec du songe.

Leur lait remonte des chairs profondes. Il sort du sein comme d'une blessure heureuse.

Leur songe remonte du plus secret de leur enfance. Il vient à leurs lèvres dans les berceuses, il enveloppe le nouveau-né d'une douceur infiniment pénétrante - comme un parfum qui ne s'éventerait jamais au long des ans. "

Le Très-Bas ~ Christian Bobin



********************


Les deux faces du réel



Il y a 2000 ans au moins que la pensée taoïste a eu l'immense intuition que le réel se présente sous deux formes radicalement différentes.

Ils les ont nommées Ciel antérieur et Ciel postérieur.

Antérieur et postérieur à quoi ? À la manifestation.

Dans le Ciel antérieur, un Vide plein, tout n'est que potentiel. Tous les états sont présents en même temps, de manière superposée, mais non manifestés.

Le Ciel postérieur abrite la manifestation, c'est à dire un des possibles issus du potentiel du Ciel antérieur. Entre deux, il y a eu "choix" et deuil de ce qui n'a pas été (encore ?) sélectionné.

Les éléments existants (les 10000 êtres) du ciel postérieur sont soumis obligatoirement au jeu de la dualité, et donc au temps. Le temps est un principe émergent provenant du passage du Ciel antérieur au Postérieur, mais il n'existe pas dans le fond du fond du réel, le Ciel Antérieur.

Que faut il pour que le passage du Ciel Antérieur au Postérieur advienne ?

De l'énergie et un focus de cette énergie vers une des variantes potentielles. Puis des interactions pour que l'émergeant puisse prendre place au sein de la grande toile des 10000 êtres. Autrement dit, de la RELATION. 

Dans le monde moderne, aucun modèle ne reflète cette intuition fondamentale mieux que la séparation entre monde quantique et physique classique. Que des humains sans aucun moyen technologique aient pu décrire un tel clivage fondamental du réel est très étonnant.

Néanmoins ils ne se sont pas contentés d'être descriptifs : ils nous ont légués des moyens habiles pour nous rendre à la frontière des deux mondes, frontière à laquelle ils ont donné différents noms mythiques. Long men, la Porte du Dragon. Ou Wujimen, la porte du Vide. Pour ne prendre que deux exemples.

Arrivés sur ce seuil, nous pouvons alors dialoguer avec le Mystère, sans jamais cependant pouvoir le saisir entièrement. Mais à ce stade nous émettons nos intentions presque à la même fréquence, finesse ou subtilité que le Ciel antérieur. Presque. C'est pourquoi notre efficacité à délivrer un message, à sélectionner une variante que nous souhaitons voir advenir, ou à entendre un message, augmente.

Mais deux conditions principales sont nécessaires : 1) Notre énergie de base doit être quantitativement restaurée. 2) La qualité de cette énergie doit avoir été rendue pure par différentes méthodes. Autrement dit le "Trouble" doit avoir laissé sa place au "Qing, le Clair et Limpide ".

Ce travail doit être quotidien, au même titre que l'on prend soin de son corps physique. 

À ces conditions, nous pouvons espérer aller dialoguer avec le Ciel en toute sécurité, et changer des patterns profondément implantés en nous.

Fabrice Jordan

-----------------


samedi 28 mai 2022

Une autre dimension

 


La sainte Paresse est un état d’abandon au flux de la vie.
Ceux qui savent regarder l’herbe pousser, contempler l’océan, se perdre dans les nuages ou le bleu du ciel, sont sur le chemin de la sainte Paresse.
Ils savent naturellement s’ouvrir à une autre dimension de la vie.
Cependant, la sainte Paresse, ce n’est pas regarder la télévision ou surfer sur internet.
Toutes les formes de distraction, de divertissement, participent pleinement de l’agitation générale et sont absolument contraire à cette attitude d’ouverture au monde.
La sainte Paresse est la capacité de « ne rien faire », de s’abstraire des multiples activités quotidiennes, de ne plus être possédé par la volonté d’agir.

Érik Sablé
"L'éloge de la sainte paresse" aux éditions Almora.

*******************

mercredi 25 mai 2022

Réél qui est...

 

" Lorsque viendra le printemps,

si je suis déjà mort,

les fleurs fleuriront de la même manière

et les arbres ne seront pas moins verts

qu’au printemps passé.

La réalité n’a pas besoin de moi.

J’éprouve une joie énorme

à la pensée que ma mort n’a aucune importance.

Si je savais que demain je dois mourir

et que le printemps est pour après-demain,


je serais content de ce qu’il soit pour après-demain.

Si c’est là son temps, quand viendrait-il sinon

en son temps ?

J’aime que tout soit réel et que tout soit précis ;

et je l’aime parce qu’il en serait ainsi, même

si je ne l’aimais pas.

C’est pourquoi, si je meurs sur-le-champ, je meurs content,

parce que tout est réel et tout est précis.

On peut, si l’on veut, prier en latin sur mon cercueil.

On peut, si l’on veut, danser et chanter tout autour.

Je n’ai pas de préférences pour un temps où je ne pourrai plus avoir de préférences.

Ce qui sera, quand cela sera, c’est cela qui sera ce qui est. " 

Fernando Pessoa / Extrait de:  1960, Le Gardeur de Troupeaux, (Gallimard)

lundi 23 mai 2022

Lumière encore vivante


 Il reste d’une personne aimée une matière très subtile, immatérielle qu’on nommait avant, faute de mieux, sa présence. Une note unique dont vous ne retrouverez jamais l’équivalent dans le monde. Une note cristalline, quelque chose qui vous donnait de la joie à penser à cette personne, à la voir venir vers vous. Comme la pépite d’or trouvée au fond du tamis, ce qui reste d’une personne est éclatant. Inaltérable désormais. 

C. Bobin


Le fameux Gingko Biloba du temple bouddhiste de Gu Guanyin, 1400 ans environ, et chaque année il met la vallée en feu

***************

vendredi 20 mai 2022

On se réveille...

 
ON SE RÉVEILLE POUR FAIRE FACE AU JOUR NOUVEAU, VOILÀ TOUT 

Il espérait, oui, il espérait servir encore.

Il espérait qu’il lui serait donné de faire son temps, tout son temps. Il espérait pouvoir goûter l’expérience de la vieillesse et, le moment venu, dire « au revoir tout le monde » avant de radicalement tourner le dos à cette existence au final tant aimée, pour s’éveiller du rêve de la vie, bien réel tant qu’il se déploie, évaporé dès qu’il cesse.

De plus en plus, quasiment chaque nuit, une lucidité s’invitait en ses songes, l’amenant, alors même qu’il sommeillait toujours, à laisser de côté les situations à résoudre dont il percevait qu’elles n’existeraient que le temps du rêve et se dissiperaient avec lui.

C’était dorénavant à peu près ainsi qu’il envisageait ce qu’ils appelaient « la mort » : une transition, fût-ce vers un « néant » - mais pour concevoir le néant il fallait bien quelque chose et quelqu’un, et aussi ce qu’ils appelaient « la vie » : il s’agissait de vivre, pleinement, complètement, sans réserve ni protection, tous les épisodes, situations, rebondissements, de les goûter à plein sens pour, venu le moment, mais juste à ce moment-là et pas avant même s’il y avait détachement progressif, s’en désintéresser radicalement et à jamais. Sans reniement aucun.

Pourquoi renier ses rêves de la nuit ? On se réveille pour faire face au jour nouveau, voilà tout.

Gilles Farcet

extrait du livre "La réalité est un concept à géométrie variable"

--------------------

jeudi 19 mai 2022

Consolation et bonheur


Anne-Dauphine Julliand : « Pleurer devant les autres, c’est déjà un appel à la consolation »

 On ne console l’autre que dans la relation que l’on tisse avec lui et dans l’amour qu’on a pour lui. La consolation, c’est un cœur à cœur.

Comment vaincre sa douleur ?

On ne la vainc pas. Si on se dit qu’on livre une bataille et qu’on va la gagner, on a perdu. Ce n’est pas de cette nature-là. Le plus beau combat, c’est d’arriver à accepter qu’elle fasse partie de notre vie, de pouvoir lui dire : « Ok, d’accord, tu as ta place ». Au début, on est submergé et elle va occuper tous les aspects de notre vie. Petit à petit, elle ne fait juste que partie de notre vie et elle n’interdit pas tout le reste, même si elle le complique, parfois. On peut aussi se dire : « Cette peine fait partie de ce que je suis, mais elle ne me définit pas. Il y a tout ce que j’aime, tout ce qui me constitue qui perdure malgré tout ». Au début, on est plongé dans le brouillard. Puis on peut l’écarter un peu pour découvrir qu’il y a encore des zones claires, de belles choses qui subsistent dans la vie.

Je crois que cela demande beaucoup de douceur avec soi-même. Parfois, la seule chose à faire quand on a mal, c’est pleurer et prendre le temps d’accueillir cette peine et de la vivre pleinement. Là ou l’on pourrait avoir tendance à se dire qu’il faut se ressaisir, je pense au contraire qu’il faut être d’une infinie douceur avec soi-même. On nous invite tellement à nous ressaisir ! Je reste convaincue que la seule façon d’arriver à vivre pleinement la joie, c’est d’avoir vécu auparavant pleinement sa peine, de s’être presque vidé le cœur et les yeux de cette douleur de l’instant, comme font les enfants qui pleurent profondément le temps que dure la peine et qui après recommencent à jouer.

On peut être heureux avec le malheur, avec la souffrance. C’est un paradoxe. Je suis une femme profondément heureuse et je pleure quasiment tous les jours la mort de mes filles. Ce n’est pas la souffrance et le bonheur qui sont incompatibles, c’est le bonheur et la peur. Le bonheur se situe à un autre niveau que la peine que l’on ressent. Ce n’est pas un instant, du ressenti ou un sentiment : c’est un fait. C’est quelque chose qui nous imprègne. On ne se sent pas heureux : on est heureux.

Source : Aleteia
*********

mercredi 18 mai 2022

mardi 17 mai 2022

Comment se fait-il que verser des larmes puisse faire beaucoup de bien

 Quand on plonge dans la vie des grands saints, on se rend compte qu'ils pleurent tous abondamment. Ils expliquent pourquoi laisser couler des larmes (ou pleurer un bon coup) est capital.


Ignace de Loyola, saint Dominique, le curé d’Ars, Charles de Foucauld… Au lieu de maîtriser leurs émotions, pourquoi, ces saints pleurent-ils abondamment, même plusieurs fois par jour et même en public ? Pleurent-ils comme chaque mortel de chagrin, de douleur ou de rire ? Oui, certainement. Mais surtout, ils pleurent leurs péchés parce qu’ils les éloignent de ce Dieu qu’ils aiment passionnément.

Pour Charles de Foucauld comme pour d’autres grandes figures de sainteté, les larmes signifient quelque chose de capital : elles sont un chemin vers Dieu, un lieu où le rencontrer.

S’inspirant de sainte Catherine de Sienne, Charles de Foucauld canonisé ce 15 mai, encourage ses proches à pleurer… trois fois par jour. Pour lui, les larmes sont des signes de pureté, d’amour envers Dieu. Elles sont accompagnées par la conscience d’avoir exposé son cœur à une souffrance infinie. Cependant, le souvenir des fautes, insiste-il dans ses écrits, ne doit jamais être plus fort que le courage de se relever des péchés. Pour lui comme pour d’autres grandes figures de sainteté, les larmes signifient quelque chose de capital : elles sont un chemin vers Dieu, un lieu où le rencontrer. Dans son ouvrage Des larmes, Anne Lécu dominicaine et médecin à la prison de Fleury-Mérogis décrit ainsi les saints qui pleurent : « Ils expriment ainsi leur désir immense de bonté auquel nous aspirons tous. »

Les larmes, la bénédiction de ceux qui aiment

Les larmes font du bien, mais elles aussi font le bien. L’écrivaine Jacqueline Kelen résume dans son Eloge des larmes, que « ceux qui versent des larmes, aiment ». Leurs larmes signifient avant tout l’amour. La béatitude « Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés » veut dire « Heureux ceux qui pleurent, car ils aiment et ils seront consolés. »

Par son incarnation, le Christ a embrassé la nature de l’homme ainsi que toutes les émotions humaines qui l’accompagnent. Les évangiles montrent clairement les moments où le Christ ressent de la joie, de la colère ou de la tristesse. Il pleure aussi. Et c’est là que la consolation promise commence : l’homme n’est pas seul à pleurer. Ses larmes rejoignent celles du Christ, en qui l’amour est plus fort que la mort. Les grands saints l’ont bien compris.

Marzena Devoud - publié le 15/05/22 sur Aleteia

*********

lundi 16 mai 2022

Sécheresse

 

Savoir s'appuyer sur les fées, rien que les fées !

**********


dimanche 15 mai 2022

Nature en contact



Il pousse au fond de moi mille rameaux secrets,

Mon âme de plein vent frissonne de feuillages,

J'ai le cœur foisonnant de fleurs, de fruits sauvages,

Et mon sang a le bruissement de la forêt.

Marc Alyn

**********




Le secret

Écoute mon enfant

les verts secrets des branches

et ceux de la sève

qui irrigue l’arbre

Regarde danser l’abeille

perce le secret de cet alchimiste

qui transforme en miel

la poudre d’or des fleurs

Mets ton oreille

contre la mousse du rocher

pour capter le grand secret

des pierres

Cours vite à la mer

et laisse-toi bercer

par le secret du chant

des vagues

Joseph Paul Schneider

******

samedi 14 mai 2022

Accueil perceptif

 


Faites de votre peur une perception réellement pure, laissez-la se déployer, sentez-la dans votre corps.

En un certain sens, il s'agit d'une énergie comprimée qui se dissipe en se déployant.

Elle ne peut se déployer qu'en l'absence d'un "je", qui est son complice naturel, qu'en présence d'une acceptation innocente, d'une écoute innocente, d'un regard innocent.

Vous ne pouvez comprendre cela qu'en expérimentant la perception pure.

Jean Klein -Transmettre la lumière

éditions le Relié


****************

vendredi 13 mai 2022

Civilisation aveugle


 " Cette civilisation moderne a conduit l'humanité à deux guerres mondiales, mais la leçon n'a servi à aucun politicien. La politique ne se préoccupe que des apparences et ne tient aucun compte des réalités profondes. Seule la conscience de leur nature spirituelle commune peut unir les hommes. Le sens de leur individualisme les condamne à l'égoïsme et aux conflits. C'est dans la vision même de l'homme et du sens de sa vie que se trouve la racine de tous les « problèmes ». Tant que l'aveuglement et l'ignorance prévaudront, tout problème résolu fera immédiatement place à un autre, dans un déséquilibre permanent. L'intérêt pour la politique tient aujourd'hui la place que tenait autrefois l' intérêt pour la religion. Moins les gens ont l'intention de se diriger et de se réformer eux-mêmes, plus ils se préoccupent de la façon dont il faudrait diriger ou réformer la société. En fait, les « problèmes » politiques, économiques et sociaux ne sont qu'une façade qui masque le véritable problème, lequel est spirituel et psychologique. Aucune mesure ne sauvera la situation, qui ne tiendra pas compte de la réalité spirituelle, de la vraie nature de l'Homme. Pour le moment, l'humanité tourne le dos à cette vérité fondamentale. L'existence devient sans cesse plus complexe à tous égards et interdit de plus en plus aux hommes et aux femmes toute velléité de vie intérieure. Le véritable bonheur ne peut se trouver que dans la « réalisation » ou la prise de conscience de la Nature profonde, du Soi, mais jeunes et vieux cherchent désespérément des plaisirs et des satisfactions qui ne peuvent pas durer. C'est, par excellence, le fruit de ce que tous les enseignements initiatiques ont appelé l' aveuglement et l' ignorance.

Arnaud Desjardins, Monde moderne et Sagesse ancienne ( 1973 )

------------------

jeudi 12 mai 2022

Lien mystère entre le fond et la forme

Le mystère entre la forme et le contenu, entre la conscience du monde et son appréhension directe...



Hexagramme 22 :
Pi / La Grâce

En haut Ken : L'Immobilisation, la Montagne.
En bas Li : Ce qui s'attache, le Feu.
L'hexagramme représente un feu qui sort des profondeurs secrètes de la terre et dont les flammes, en s'élevant, illuminent la montagne, la hauteur céleste, et la revêtent de beauté. La grâce, la beauté de la forme est indispensable à toute union pour la rendre harmonieuse et aimable, et non chaotique et désordonnée.


Dans le trigramme inférieur, le feu, un trait faible vient se mettre entre deux traits forts et les rend beaux; mais les traits forts sont l'essence, le trait faible est la forme qui embellit. Dans le trigramme supérieur, la montagne, le trait fort apparaît au sommet, à la place déterminante, si bien qu'ici encore il doit être regardé comme le facteur décisif. La nature nous montre dans le ciel la puissante lumière du soleil; c'est sur elle que repose la vie de l'univers. Mais cette clarté puissante, essentielle, est entourée de la lune et des étoiles qui alternent gracieusement avec elle. Dans la vie humaine, la beauté de la forme apparaît lorsque des traditions fermes comme des montagnes sont rendues agréables par une claire beauté. La contemplation des formes célestes confère la faculté de comprendre l'époque et ses exigences changeantes. La contemplation des formes dans la vie humaine confère la possibilité de modeler le monde.

 extrait de Le Livre des transformations de Richard Wilhelm

***********

mardi 10 mai 2022

S'émerveiller de tout

 



S'émerveiller, c'est résister. 

C'est d’une certaine façon désobéir. 

Christian Bobin 

Image par Simone Bramante










**************






lundi 9 mai 2022

Pensées corporelles


 "La pensée se manifeste par une parole, la parole se traduit par un acte, l'acte devient une habitude, et l'habitude se solidifie en un caractère. Alors, observe avec soin la pensée et ses méandres, et laisse-la jaillir de l'amour. Né du souci de tous les êtres...

De même que l'ombre suit le corps, tel on pense, tel on devient."

Bouddha. - (Via Matthieu Ricard )


*--*--*--*--*--*





dimanche 8 mai 2022

Le pissenlit, entre le jour et la nuit


Tatiana Kanevskaya.


 

Dans mon jardin

********************

Le mirage du moi

 Jean-Marc Mantel, Le Mirage du moi – Le spectacle et le spectateur, éditions Accarias-L’Originel de Jean-Louis Accarias, 2022.

Où qu’on ouvre un livre de Jean-Marc Mantel, on ne peut qu’être saisi par la clarté et la force des réponses qu’il apporte aux personnes qui le questionnent. Le Mirage du moi, nouvellement paru chez l’excellent éditeur Accarias-L’Originel, se compose de trois grandes parties, respectivement intitulées « La naissance du moi », « Les croyances du moi » et « Les souffrances du moi ». Au total, ce sont 44 chapitres qui se succèdent, chacun d’entre eux étant centré sur un thème précis. Par exemple : « La densité des pensées » (p. 82), « Croire que l’on peut aider  les autres » (p. 138), « Conscience et utilité de la souffrance » (p. 208), « Les obsessions du moi : le corps, la sexualité, la drogue » (p. 296)… Bien des réponses sont courtes et concises, même si certaines d’entre elles sont très développées. Jean-Marc Mantel emploie des phrases plutôt brèves, fermement affirmées et conclues par un point. A titre d’exemple, voici une de ses réponses : 

« Mon « je » simple et inconscient est-il différent du « Je » spirituel ?

Non. Il n’y a qu’un Je. Les autres « je » n’en sont que des reflets. Une seule bougie pour d’innombrables reflets dans des miroirs multiples. »

Je n’ai pas rencontré Jean-Marc Mantel mais, pour avoir entendu, de vive voix, différentes paroles d’êtres réalisés, je me sens, quand je le lis, en terrain connu, de ce point de vue : il me semble que les assertions de ce maître sont issues d’une expérience profonde, fondamentalement différente de celles qui peuvent être les nôtres. Médecin psychiatre de formation, il a suivi l’enseignement de Jean Klein. L’aisance avec laquelle il formule son propre enseignement me frappe et me donne toujours envie de le lire davantage. Cet ouvrage a été conçu et élaboré par Bernard Seghezzi dans une forme qui le rend extrêmement accessible et facile à consulter, si l’on cherche par exemple une réponse à propos d’un thème précis.

Extrait du chapitre 24 « Se dégager de la croyance par le questionnement, le raisonnement » :

« La reconnaissance de la totalité de ce que tu n’es pas, sans doute et sans condition, t’amène à l’extrême rebord de ce que tu es. Il n’y a plus alors place pour la moindre volition, ni pour un moi qui veut. L’absorption dans l’unité se fait ensuite d’elle-même, en temps voulu, lorsqu’il n’existe plus aucune saisie, ni retenue, tout comme la chaise qui bascule en arrière, lorsque la main, qui la maintient, lâche toute prise. » (p. 189)

Avis de lecture par Sabine Dewulf

---------------

samedi 7 mai 2022

Ta souffrance


Ta souffrance

est une maîtresse
exclusive
qui ne se laisse pas quitter
ni négliger
sans coup férir
fais tu mine de l’oublier
qu’elle produit ses dossiers
convoque ses affidés
elle te tient
tu lui es attaché
soumis en vérité
elle se rit
de tes velléités
d’émancipation
de tes résolutions
de liberté
voilà bien longtemps
qu’elle a pris ses quartiers
en ta demeure dévastée
prétendre l’en déloger
est osé
pas moins que présomptueux
elle en a vu défiler
des versions de toi
plus ou moins assurées
mais au final toutes
si peu armées
face à sa position
de reine
héréditaire
campée sur son bon droit
si sure d’elle
de ses lois
lui échapper
est malaisé
rare
inespéré
il y faut de l’innocence
de la pureté
et de la générosité
si par quelque grâce
tu viens à te sevrer
de sa passion triste
et féroce
tu n’en es pas pour autant
léger
comme plume au vent
il te reste la souffrance
plus la tienne, non
juste celle
du monde entier

Gilles Farcet

-----------

vendredi 6 mai 2022

Le but d'être sans but ?

 Le mot méditation est aujourd’hui sur toutes les lèvres.

En 1967, Il y a plus de cinquante ans, je demandais à Graf Dürckheim ce qu’il entendait par méditation ?

« Méditation ! C’est un concept. Si vous posez cette question à vingt personnes je suis persuadé que vous aurez vingt définitions différentes. On ne peut pas dire la méditation c’est ça ! On peut décrire ce que l’on comprend en pratiquant soi-même un exercice proposé sous ce nom. La méditation que je pratique et enseigne est désignée au Japon comme étant zazen. »

Le maître Zen Hirano Katsufumi Rôshi, que nous avons eu l'honneur et la chance de recevoir au Centre au cours des dix dernières années, a toujours souligné que « Il y a mille et une façons de méditer mais qu'il n’y a qu’une façon de pratiquer zazen ».


Pour Graf Dürckheim, la visée du Zen est la découverte et la libération de la vérité de soi-même. Qu'est-ce que la vérité?

Jinen San, Maître Zen qui enseigne au Japon et en Australie, répond que "La vérité est la vérité sans vérité ! C'est la vérité. Et il ajoute que "Lorsque nous disons ou mentionnons simplement la vérité, c'est habituellement la vérité dans le concept. Il y a donc une séparation entre la vérité et la vérité conceptuelle".

On ne pratique pas zazen avec le mental. A la question - Pourquoi est-il si difficile de faire l'expérience de la vérité ? Jinen San répond: "Si difficile ? Parce que nous pensons! C'est une sorte d'habitude, nous pensons qu'il faut tout penser... voilà le problème. Nous pensons que nous ne savons pas grand-chose sur les choses sans les conceptualiser, sans les approcher par la pensée. Ce qui est la cause de beaucoup de problèmes".

- Vous voulez dire que la clé qui ouvre sur la vérité est donc la MÉDITATION ?

« C'est la raison de la méditation. Mais lorsqu'on dit "méditation" il serait plus juste de dire ZAZEN. Lorsqu'on dit "méditation", c'est une pratique à travers le concept. Zazen est hors concept. On utilise la même position assise pour zazen ou pour méditer, mais la manière de pratiquer est très différente si on médite ou si on pratique zazen".

Parmi les promoteurs d'une pratique méditative dite moderne - la méditation de pleine conscience -nombreux sont les initiateurs qui font l'amalgame entre zazen et méditation. En affirmant un tel assemblage ils attestent d'une vérité : ils n'ont jamais encore pratiqué zazen. La plupart des personnes qui pratiquent "la méditation de pleine conscience" cherchent à obtenir quelque chose. La liste des CENT bienfaits associés et promis à celles et ceux qui pratiqueront cette méthode est en totale opposition avec l'exercice essentiel du Zen - ZaZen - qui est pratiqué SANS but.

Je ne pratique pas zazen en espérant atteindre un but prémédité. Je ne pratique pas zazen en cherchant à me faire une idée de la vérité qu'il me faudrait atteindre.

Pratiquer zazen en ayant un but, serait faire de zazen un moyen alors que zazen, par lui-même, est l'activation des qualités d'être qui sont à l'origine, au commencement de notre existence : la paix de l'âme (le calme intérieur), la paix de l'esprit (la sérénité) et la simple joie d'être qui en est l'expression.

Le Maître Zen Daigu Ryokan (1758-1831) écrit que " Zazen n'est pas un moyen ; zazen est une preuve".

Une preuve ? Oui, la confirmation à travers un vécu intérieur, de la libération de notre vraie nature d'être humain hors des chaînes d'un moi mondain - l'ego - qui est devenu le domaine de l'angoisse et des états qui l'accompagnent (soucis, inquiétude latente, peur souterraine). Expérience libératrice qui, même lorsqu'elle a la douceur d'un souffle, est bouleversante.

Zazen est l'exercice au cours duquel s'opère une véritable métamorphose. "Lorsqu'on pratique zazen, le corps prend la forme du calme !" (Hirano Roshi).

Zazen est un exercice indubitablement corporel et spirituel. 

Corporel ! Ici encore il nous faudra distinguer la vérité dans le concept et la vérité vraie. Ce qui exige d'avoir un regard nouveau sur ce qu'on appelle : le corps.

Passage de l'idée d'un corps que l'homme —A — à l'expérience du corps que l'homme —EST—. Au cours de la pratique de zazen s'éveille la conscience de ce que les japonais désignent comme étant le corps du Chemin". Cela ne concerne pas le corps que nous avons (Körper) mais le corps vivant dans sa globalité et son unité. (Leib).

C'est dans l'attention à l'acte de respirer que nous expérimentons la métamorphose de notre manière d'être au monde. " La respiration est davantage qu'une alimentation de l'homme en oxygène. L'acte de respirer est ce geste vital au cours duquel l'homme peut se donner lorsqu'il expire et se recueillir lorsqu'il inspire" (K.G. Dürckheim).


Lorsqu'on pratique zazen il faut donc éviter de se concentrer sur quelque chose : la respiration. Ce qui importe est l'attention portée au fait que en ce moment, pour ce moment, "Je Inspire"!

Il serait plus approprié d'écrire —JeInspire— sans intervalle entre le sujet et le verbe. Parce que, en vérité, il n'y a ni distance ni écart de temps entre ce que je nomme "Je" et ce que je nomme "inspire". "Je respire" est la vérité dans le concept. "JeInspire" est la vérité vraie.

Spirituel ! Lorsque la vie spirituelle devient une profession de foi et donc, une vérité dans le concept et un objet de réflexion mentale ; la personne se coupe de sa racine essentielle, de sa propre essence, de sa vérité vraie. Le Maître Zen - qui n'est pas un maître de vie mais un maître dans la pratique d'un exercice - nous propose une Voie d'éveil à notre nature spirituelle à travers un chemin d'expérience et d'exercice. Les grandes formules abstraites, les grandes idées laissent place à un engagement : "Le chemin est la technique ; la technique est le chemin".

Jacques Castermane

-----------------------