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Ainsi en est-il de l’âme, solidaire du corps, comme de l’esprit dans son rapport à l’âme. Ce ne sont pas des étages superposés, distincts au point de pouvoir les séparer, mais les étapes de croissance d’un même être, chaque degré se prolongeant en s’estompant dans le suivant, chaque vague naissant de celle qui s’efface. Rien n’est aboli parce que tout concourt au même accomplissement.
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Mais ce n’est pas tout. La plante n’est pas achevée. Le parfum vient en dernier. Il prolonge la couleur, qui par son éblouissement dépassait déjà la forme, la débordait dans une sorte de halo rayonnant. Le parfum s’en échappe, il s’élève dans l’invisible. Il est ce fruit ultime qu’on peut nommer l’esprit, tout ce qui émane de nous et qui ne se mesure pas, tout ce que nous avons d’insaisissable, de volatil, de plus délicat.
La joie est un parfum. Tout ce qui s’exhale et se dilate prend forme d’essence. La paix qu’un être respire se répand comme un arôme. L’amour est sans doute le plus subtil, le plus rare aussi, qui puisse s’épancher. Il naît de l’alchimie secrète du calice, du plus profond de l’âme accomplie, cette fine fleur toute défroissée, qui ne parvient à maturité que pour lâcher un souffle d’une légèreté inouïe.
Je te montre la jonquille, parce qu’elle dit la lumière et la joie, dans leur éclat et leur fragilité qui nous rejoignent au plus clair de ce que nous sommes. Elle resplendit comme un jour au milieu du jour, un jour intensifié, ramassé en un étroit évasement, un rai de lumière vive jailli du vert de la terre. Mais vois tout autour, vois le bleu de la violette, ses parterres en nuées, le firmament des ficaires, le jaune naïf du pissenlit dans sa prairie, la blancheur enfantine de la pâquerette, le teint de nourrisson de l’anémone, le rire clairsemé de la primevère dévalant les talus : c’est toute la coloration de l’âme qui s’égaille au long des chemins et des saisons, jusqu’aux rouges mûrs et veloutés des roses lourdes dans les brasiers d’automne.
Philippe Mac Leod est écrivain et a publié plusieurs recueils de poésie. Son dernier ouvrage, D’eau et de lumière, est paru aux éditions Ad Solem.
Source : La Vie (avril)