mardi 14 avril 2015

Mon cancer de l’âme, une intention divine

Entre vie et mort?
Ce que Dieu veut et non ce que je veux !
Vivre pour deux au lieu de mourir à deux !


Ces deux phrases résonnent en moi. Les dire est une chose et pourtant il n’est pas si simple de les vivre. Entre dire et vivre : un monde !
Je vais tenter de partager avec vous 15 jours, 15 jours au cours desquels j’ai cru que mon mari allait mourir. Et je n’étais pas encore prête à son départ.
Tout d’abord je dois vous confier que je me suis rebellée quand il m’a annoncé ce cancer. Après un accident de moto, un cancer. Alors là, Dieu exagère ! Et puis ces phrases montent en moi : « Pourquoi accuser Dieu ? As-tu envie de souffrir avec le cancer de ton mari ? N’as-tu rien d’autre à faire que de te rebeller ? »
Une certitude vient de mon cœur : tout est juste, que vais-je apprendre ?

Une nuit, alors que mon mari était dans le cirage, assise à son chevet et cependant face à moi-même, je me suis posé des questions sur ce qui nous arrivait. De question en question, j’ai compris que nous étions tous les deux malades, pas seulement mon mari mais moi aussi : lui dans son corps et moi dans mon âme. J’ai compris que ce cancer était dans notre couple et que je voulais vraiment profiter de sa maladie au lieu de la subir. En moi j’entendais : « Il a besoin de tes rayons ». Quels seront mes rayons ?

Il est amaigri, 20 kilos en moins...
J’ai commencé à m’occuper de lui avec une infinie tendresse en le massant. Un corps alité aime tellement qu’on le touche, qu’on le masse... Tous les jours, à chaque instant où il avait mal quelque part, je le massais. Par ces massages je me suis rééduquée à une plus grande tendresse, tant envers moi qu’envers lui.
Et même encore plus.
Oui encore plus, car après 40 ans de vie commune j’avais oublié que je pouvais lui dire « je t’aime ».
Oui encore plus, car des souvenirs me revenaient où j’avais été en pétard contre lui, des instants où je m’étais emportée contre lui. Ce fut le moment de lui dire « pardon, je n'ai pas su t’aimer ». Comme cette miséricorde m’a soulagée et rendue plus légère. Ce cancer était là pour me faire grandir en amour et rendre encore plus juste ma vie. Ce cancer fut vraiment une « intention divine ». Une journée, une nuit : est-ce la fin ???

Difficile pour moi de saisir tout ce qui se passe chez lui.
Je sais qu’il a accepté cette chimio et pourtant son corps la refuse. Et son corps se révolte. Il est dans le cirage. Il a de fortes fièvres. Il est pris de tremblements et claque des dents. Il me dit : «Je suis perdu, je ne sais plus où j’en suis ». Alors je m’occupe de son corps. Je mets mes mains sur son ventre. Incroyable ce qui passe dans mes mains. Tout mon corps respire dans mes mains tellement je suis totalement tournée vers lui et vers le meilleur de moi-même... 
Petit à petit, les tremblements s’estompent. Je lui lis un passage des Dialogues avec l’ange - notre livre de chevet à tous les deux. Les médecins lui changent ses antibiotiques pour essayer d’enrayer cette fièvre qui est toujours là. Toute la journée je me suis occupée de son corps. Nous ne nous sommes pas dit grand-chose. Le soir arrive : que fais-je ? Est-ce que je reste avec lui toute la nuit ? Il est encore si mal !


Alors je n’ai plus qu’un seul refuge : prier. Je commence par une prière que je connais : le Notre Père. Et je la répète. Je continue avec celle du Père Charles de Foucauld « Je m’abandonne à toi »... Un sentiment m’envahit tout à coup. Et la question surgit : es-tu sûre de t’abandonner ? La nuque droite je m’entends dire : tu es sur terre pour LE servir. Uniquement pour Le servir. Ta vie ne t’appartient plus, comme la sienne.
Cette réponse me prend. C’est fort et pourtant je ne suis pas certaine de TOUT avoir compris. Cela me donne une intime conviction : je ne resterai pas au bord de son lit.
Alors Christian me murmure : « Dieu est juste avec moi. Il est en train de m’apprendre pour la suite ».

Je l’ai embrassé, et je suis partie. Une évidence s’imposait : tout est juste, nous sommes tous les deux à la place où Il nous a mis.
Le lendemain matin lorsque j’arrive à son chevet : un sourire illumine son visage. Il me dit : « J’ai encore à être utile sur terre ».
Au cours de ces quinze jours, j’ai réalisé combien il était important de prendre soin de moi et non pas de m’oublier dans un activisme à ses côtés. En prenant soin de moi. je prenais également soin de lui. En étant à ma juste place, je l’aidais aussi à vivre... 
Là étaient mes nouveaux rayons.

Thérèse
(source :revue Reflets n°15)