jeudi 3 janvier 2013

André Comte-Sponville, un philosophe qui pratique la méditation zazen


Depuis combien de temps méditez-vous ?
Six ou sept ans. J'ai commencé au centre Dürckheim, à Mirmande, dans la Drôme, chez mon ami Jacques Castermane. Il m'invitait régulièrement à donner des conférences de philosophie. Mais son "coeur de métier", c'est la méditation assise, silencieuse et sans objet — dans la tradition du zazen, comme on dit en japonais (ce qui signifie simplement le zen assis), mais quelque peu occidentalisée. A force d'entendre Jacques en parler, j'ai eu envie d'essayer.

Pratiquez-vous chaque jour ? Et où ?
La question du lieu commande, pour moi, celle du rythme. A Paris, je manque de temps et d'espace, sans doute aussi de disponibilité, de calme, de solitude... Bref. j'ai pris l'habitude de ne méditer que dans ma résidence secondaire, en Normandie. J'y passe quatre ou cinq mois par an et, là-bas, je fais zazen tous les matins. Dans l'enthousiasme du néophyte, j'avais commencé par des séances de 25 minutes, une durée idéale. Mais cela fait 25 minutes de moins consacrées à l'écriture, aux heures pour moi les plus efficaces, les plus rares, celles du début de matinée. J'ai sensiblement réduit : mon minuteur est fixé à 12 minutes 30.

Que vous a apporté la méditation ?
C'est difficile à dire. Le plus précieux est la méditation elle-même. Tant qu'on en attend quelque chose d'autre (la sérénité, la santé, la sagesse, l'illumination...), on est à côté de la plaque : on n'est plus dans l'attention mais dans l'attente. Méditer, c'est d'abord s'offrir quelques minutes de présent pur et donc d'éternité, puisque le présent ne cesse jamais d'être présent. Cela, que la philosophie m'avait aidé à comprendre (c'est le thème de mon livre 'L'Etre-temps', écrit bien avant mon premier zazen), la méditation l'a rendu plus vivant, plus incarné. Elle m'a aussi rendu plus sensible au corps que je suis (et non au corps que j'ai), à sa posture. à sa respiration, à ses sensations... Méditer, c'est faire en soi une espèce de vide qui ne serait rempli, dans les meilleurs moments, que par le corps et le monde. Spirituellement, cela fait du bien. Physiquement aussi : je
n'ai plus que très rarement mal au dos.

Comment avez-vous intégré cette pratique à vos réflexions ?
La méditation a rendu plus concrets des thèmes qui étaient déjà les miens : l'idée que seul le présent existe qu'il n'y a pas d'autre esprit que le corps vivant, pas d'autre réalité que le monde, d'autre éternité que le devenir, d'autre liberté que la nécessité en acte...
Mais d'autres philosophes en tireront d'autres leçons. La méditation n'est pas une doctrine, et c'est tant mieux. Méditer et philosopher sont deux pratiques a peu près opposées. La philosophie est une pratique intellectuelle, conceptuelle ; la méditation, une pratique corporelle, physique. La philosophie cherche la vérité, la méditation ne cherche rien : elle observe, contemple. La philosophie est une réflexion (quand on cherche) ou une argumentation (quand on croit avoir trouvé) ; la méditation est une attention, une ouverture. La philosophie est un combat ; la méditation, une paix. La philosophie est un travail ; la méditation - c'est son paradoxe - est à la fois un exercice et un repos. Bref, philosopher et méditer sont deux activités différentes qu'il est d'ailleurs impossible de pratiquer en même temps. C'est pourquoi elles se complètent si bien.

Et quelle est la différence entre méditation et prière ?
La encore, ce sont deux activités très différentes. La prière au sens traditionnel, se fait avec des mots, s'adresse à quelqu'un (celui qu'on prie) dont on espère quelque chose. La méditation ne s'adresse à personne, n'espère rien. Vous connaissez la belle formule de Simone Weil : "L'attention absolument pure est prière." Cela ne me paraît pas toujours vrai des prières traditionnelles, mais conviendrait à la méditation. pour l'athée que je suis, c'est la "seule prière" qui vaille : celle qui ne demande rien à personne.


André Comte-Sponville
(source : Clés)