Nous avons tous en tête des ultra solutions qui nous assurent d’échouer
Paul Watzlawick est un thérapeute américain, figure majeure de l’école de Palo Alto. Dans son livre Comment réussir à échouer, il nous invite à identifier et à nous méfier de ce qu’il nomme les ultra solutions. Une ultra solution est une solution qui se débarrasse non seulement du problème mais aussi de tout le reste (en dernier ressort, de la vie). Watzlawick nomme quelques ultras solutions auxquelles nous avons tous plus ou moins recours dans nos vies :
Chercher la sécurité à tout prix
Watzlawick remarque que, plus on essaye de se protéger, plus on ressent un besoin de protection. Plus on ressent un besoin de protection, plus on évite les situations potentiellement à risque et plus on se méfie des gens… alimentant la suspicion à l’égard du monde extérieur.
Chercher la sécurité à tout prix peut, par exemple, conduire à une fois inébranlable dans les horoscopes. Or, dans une phénomène de prophétie auto réalisatrice, les prédictions négatives se vérifient quasiment systématiquement. Si une personne qui cherche la sécurité à tout prix lit dans son horoscope matinal qu’elle doit être prudente aujourd’hui, elle risque de modifier ses actes et à se mettre en quête des éléments validant la prédiction… si bien que la prédiction va se réaliser, confirmant nécessairement la fiabilité des prédictions ! Par exemple, cette personne peut éviter les ascenseurs parce qu’ils sont plus risqués que les escaliers mais va aussi éviter la treizième marche qui porte malheur. Elle peut alors sauter pour l’éviter et mal se réceptionner : l’horoscope avait bel et bien raison !
Faire deux fois plus d’une solution efficace pour avoir deux fois mieux
Watzlawick remarque que nous sommes tous tentés de faire deux fois plus d’une même solution pour avoir deux fois mieux. Or deux fois plus d’une même chose se transforme en quelque chose d’autre (et pas en plus de la même chose avec deux fois plus d’efficacité).
Watzlawick prend l’exemple des tankers transportant du pétrole. Des tankers deux fois plus grands ne permettent pas de transporter deux fois plus de pétrole dans les mêmes conditions. Au delà d’un certain tonnage, ces tankers géants se comportent d’une autre manière que les plus petits. Des qualités propres à la nouvelle situation émergent et, si elles ne sont pas prises en compte, créent des problèmes nouveaux là où des solutions étaient supposées émerger.
Si quelque chose est mal, son contraire doit nécessairement être bien
Watzlawick nous appelle à la méfiance envers la vision binaire du monde : bien/ mal, sage/ ignorant, correct/ faux, j’ai raison/ vous avez tort. Cette vision du monde conduit les personnes qui l’adopte à penser que leur vision du monde est la seule juste (et vraie) et qu’elles ont la mission d’en convaincre les autres pour les rendre sages et heureux.
Or les personnes convaincues de cette idée selon laquelle elles possèdent la sagesse et que les autres sont au mieux ignorants, au pire obtus risquent de basculer dans une ultra solution : à force de ne jamais rencontrer de gens assez raisonnables et éveillés pour les écouter et comprendre la force de leurs idées, elles vont se penser “contraintes” de passer à une action plus violente sous une forme ou une autre pour convaincre les autres (en gros, leur faire du mal pour leur – supposé – bien…).
Les jeux à somme nulle
Watzlawick définit les jeux à somme nulle comme le fait qu’il n’existe que deux solutions : perdre ou gagner. Les personnes qui adoptent cette vision du monde sont amenées à avoir constamment peur soit de perdre, soit d’être abusées (qu’un autre profite d’elles). Elles vivent alors dans un perpétuel état d’alerte et de stress.
Par ailleurs, leurs attitudes agressives ou défensives engendrent les situations contre lesquelles elles voulaient précisément se protéger, confirmant la conception qu’elles avaient de la vie : celle d’une bataille permanente.
Être convaincu de savoir exactement ce que l’autre pense
Watzlawick alerte sur le fait d’être convaincu de savoir ce que pense l’autre, menant à ne pas l’écouter vraiment et donc à ne pas le comprendre si bien que tout compromis est entravé.
Beaucoup de gens ont en effet une chose en commun : leur incapacité à comprendre que l’autre n’a pas nécessairement tort mais qu’il pense juste différemment. Watzlawick rappelle toutefois que l’on peut très bien comprendre le point de vue de l’autre sans pour autant l’accepter.
Eviter les ultras solutions pour augmenter les chances de réussir. Une troisième voie
Paul Watzlawick nous invite donc à considérer des “troisièmes voies” (le “tertium”). Il est par exemple possible de choisir le courage quand on a le choix entre la lâcheté et l’imprudence.
Le thérapeute insiste sur l’idée selon laquelle il existe quelque chose de plus dans une interaction que la somme des personnes qui en sont parties (deux fois plus ne produit pas deux fois pareil).
ll fait référence aux batailles de la Première Guerre Mondiale en Flandre. Aucun des deux camps n’avait réellement envie de perdre la vie dans des batailles. Des rituels de non agression spécifiques apparurent progressivement dans une perspective gagnants/ gagnants (“vivre et laisser vivre”). Mais la hiérarchie militaire a instauré des sanctions contre les soldats du terrain qui avaient recours à des stratégies d’évitement des combats, voire de fraternité avec les “ennemis”. Les soldats du terrain, toujours dans une optique “vivre et laisser vivre”, trouvèrent de nouvelles troisièmes voies : obéir à l’ordre de tirer mais éviter soigneusement de toucher l’ennemi qui, reconnaissant, fait de même !
Reformuler ce que pense l’autre (plutôt que l’écouter ou ne pas l’écouter)
Watzlawick suggère de nous efforcer à reformuler les pensées de l’autre et de lui laisser la possibilité de confirmer si cette formulation reflète en effet ce qu’il pense.
Certains thérapeutes utilisent cette approche en invitant une partie A à exposer le plus complètement possible le point de vue de B jusqu’à ce que B soit satisfait de la définition de A. Puis c’est le tour de B d’exposer le point de vue de A sur le problème jusqu’à ce que A trouve que son point de vue a été correctement présenté par B.
Le recours à une tierce personne qui connaît bien les deux parties peut également être efficace pour comprendre les dynamiques de la relation (par exemple, demander à un enfant de décrire la relation entre deux membres de sa famille).
Enclencher des réactions en chaîne de gentillesse
Watzlawick nous invite également à créer des réactions en chaîne de gentillesse pour monter aux personnes convaincues que les jeux sont forcément à somme nulle peuvent être différents (il se peut que tous les joueurs gagnent). Se monter gentils avec ces personnes leur impose de nouvelles règles du jeu parce qu’elles ont fait une expérience émotionnelle différente.
Accepter que l’ordre et le désordre sont complémentaire et utiles
Paul Watzlawick estime que le plus important à garder en tête est que toute relation est plus que, et différente de, la somme de tous les ingrédients que les entités impliquées apportent dans la relation : il y a toujours une qualité émergente.
Quand nous aurons pleinement pris conscience de l’existence de ces qualités émergentes, nous apprécierons combien elles sont décisives pour nos vies. Mais c’est aussi là que tout cela devient inacceptable pour les perfectionnistes et les manichéens. Car il devient évident que ces nouvelles formes d’ordre ne peuvent émerger que là où existe un certain désordre.
Ainsi, nous servons mieux la vie quand nous comprenons et acceptons l’idée que l’ordre, sans un certain degré de désordre, devient hostile à la vie. Pour Watzlawick, l’ordre est justement une ultra solution. Une interaction entre ordre et désordre est indispensable dans cette perspective.
Le changement est synonyme de l’émergence d’une nouvelle qualité; cette qualité émergente présuppose, et à son tour crée, un certain degré de désordre. Voilà une pilule difficile à avaler pour beaucoup car il est bien plus facile de dénigrer les méfaits du désordre que ceux de l’ordre.
Paul Watzlawick
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