mercredi 3 février 2016

Les cieux de Marie-Elise Larène


Peintre et pastelliste, elle crée, depuis près de 30 ans, des ciels. À leur contact, elle a découvert la dimension spirituelle qui l'habitait et qui ne demandait qu'à éclore. ...


Ma dimension spirituelle a mis du temps à émerger. Son fil conducteur était logé en moi, depuis toujours. J'ai été une petite fille fervente, entourée par des parents pieux. Mon père a d'ailleurs voué sa vie à la Vierge par son art. J'ai un souvenir très fort de ma confirmation qui m'a bouleversée. Avec le recul, je considère cet événement comme une expérience de Dieu. Assez jeune, j'avais troqué la pratique religieuse contre la visite de lieux de cultes où je trouvais de quoi épancher ma soif : à l'église Saint-Julien-le-Pauvre (Paris Ve), séduite par la liturgie orientale d'une grande beauté, à Saint-Georges (Paris XIXe), bercée par les chants orthodoxes... Ces rites étrangers me transportaient dans un doux voyage poétique. Ma vie spirituelle s'est créée comme j'ai fait mes dessins : elle a puisé sa source dans mes expériences, mes épreuves, et dans mon coeur. Jusqu'à la cinquantaine, j'en avais une idée très floue. Dans mes tableaux, elle se manifestait sur un plan poétique, mystique, onirique. Ces composantes, retrouvées dans les ciels, m'ont peu à peu permis de rejoindre une sphère bien plus profonde, au goût d'éternité.

L'éternité est dans un écrin qu'il nous appartient à tous d'ouvrir, à tout moment. Il est comme un flocon de neige porté par le vent. Mes toiles fixent cette dimension qui m'habite, avant, pendant, et après l'acte créateur. Le temps est alors comme suspendu, arrêté. L'éternité est ce présent vécu avec intensité, non pas dans l'intelligence, mais dans le cœur. Lorsque je peins, je fais fi de tout le reste. Cette plénitude, je la retrouve dans la méditation, le matin. Descendue dans mon ciel intérieur, j'embrasse alors un peu de cette béatitude dans laquelle j'espère être plongée après ma mort. Nous en avons tellement peur, et si peu de belles choses sont dites à son propos ! Nous ne pouvons certes qu'esquisser une image de l'au-delà. Mais je n'ai aucun doute sur son existence. Je crois que nous sommes un esprit divin dans un corps physique, et que notre enveloppe s'éteint, disparaît, le passage franchi. Je vois la vie comme un terrain d'expériences, d'apprentissages précieux permettant à chacun de se découvrir en vérité et en plénitude. Pour, au final, retourner à un état de perfection, semblable à celui du nourrisson, qui n'a rien d'autre à donner et à recevoir que de l'amour. Mon but est de mourir au plus proche de cet état de confiance et de pureté. Je vois la mort comme les retrouvailles d'un lieu d'accueil fabuleux. Retrouvailles avec le Père éternel et tous ceux que nous aurons aimés. Le ciel sera ma récompense. C'est sur terre que la vie est sans concession !

J'ai fini par comprendre à quel point je l'aimais, cette vie. Il m'a fallu 32 ans. Mes toiles contiennent toujours un horizon de terre car je me refuse à être en apesanteur, suspendue au-dessus du vide : je veux témoigner de la beauté du ciel sur la terre, en tant qu'être humain, à ma hauteur d'1,63 m. J'offre à voir quelque chose auquel les gens ne donnent que peu de temps et d'attention. Or, nous nous rejoignons tous quand il s'agit de beauté, d'équilibre et d'harmonie. L'artiste a pour vocation de proposer d'autres chemins de vie, de visions et de conscience des choses. Depuis peu, je dessine, et brode certaines de mes œuvres au fil d'or, des anges. Par ces créations, je voudrais que chacun prenne conscience qu'un ange veille sur lui à chaque instant. Loin d'être une fuite, le ciel est un tremplin pour aller plus loin, plus haut. Mes tableaux traduisent cet idéal, mais ils sont aussi le reflet de mon état d'être profond, le témoin de ma foi et de mon idéal. Accordé à mon tempérament passionné, le pastel, qui est fait avec des pigments purs, sert mes toiles d'une intensité vibrante.

Le ciel, qui n'est qu'inconstance de par ses mouvements et ses couleurs changeantes, m'a appris à accepter l'impermanence de la vie, sans me sentir pour autant en insécurité. C'est d'ailleurs lorsque j'ai perdu la sécurité matérielle et connu la précarité que j'ai dû apprendre à me forger intérieurement pour gagner ma liberté. Les sécurités que je cherchais à l'extérieur étaient en fait des chaînes. On ne gagne jamais autant sa liberté que lorsqu'on en a manqué : 18 ans durant, j'ai peint des ciels dans une cave. Manquer de lumière me poussait à la désirer ardemment, et donc à la créer.

Je ne demande ni assurances, ni preuves, ni garanties. Je ne cherche pas de réponses, mais des épousailles avec le mystère qui me comble et me remplit. Je crois qu'un dessein divin nous conduit. Et souvent, j'ai été surprise de mon propre chemin. Comment être pessimiste puisque je ne sais rien de l'avenir ? Je fais ce que j'ai à faire pour aider. Je sais que je suis là pour ça.



source : La Vie
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