vendredi 1 mars 2019

La mort est un Rêve ?


Pleudaniel (Côtes d'Armor), le 27 février 2019

Nous avons la douleur de vous faire part du décès de :
Monsieur Philippe MAC LEOD
survenu à l'âge de 64 ans.
La cérémonie aura lieu le vendredi 01 mars 2019 à 11h00 en l'Église Saint Jean Baptiste de Lézardrieux (22740).

Voici la dernière chronique de Philippe dans le magazine La Vie 
Seul à nouveau, dans le silence j'écoute le murmure d'une vie qui ruisselle entre mes membres, à l'intérieur d'un corps devenu immense, avec celle du monde à l'entour, celle de tous mes semblables, qui circule d'un même flux dans mes veines. Loin, paisible toujours, étrangère aux événements, que cette pluie me soit lumière, Seigneur, qu'elle devienne tout mon esprit, la substance de mes pensées, la couleur de mes sentiments les plus ordinaires. Fais-moi déborder de cette eau pure, chantante, traversée de reflets, afin que les hommes d'aujourd'hui reconnaissent en elle l'éclat de ton nom.
Le monde semblait se liquéfier ou s'évaporer en s'allégeant : les mers et les plaines, toute l'étendue du ciel, et moi-même, dans mes yeux fermés, comme une vapeur qui se déliait en s'élevant. Tout avait disparu : dissous, atomisé en fines particules découvrant un espace toujours plus vaste et plus lumineux. Dans un creux profond de ma chair, je recueillis la poignée de cristaux brillants que la prière avait laissés. Je les mis sur ma langue : sans me brûler, je goûtai le sel de la terre, vif, mordant comme l'étincelle.
Que je me lève ou que je m'endorme, le Seigneur est là, dans cette vie qui est la lumière du monde, et le monde ne l'a pas connue, la chair qui la porte ne s'est jamais risquée à s'embraser à son contact : elle serait devenue tout entière une torche, un phare pour éclairer loin, un grand brasier nourri des riens qui l'encombrent.
Des oiseaux me réveillent, des oiseaux qui ne sont pas un rêve et qui m'éveillent à une vie du monde. L'obscurité trouée d'une lueur intérieure à mon sommeil. À nous qui ne vivons que d'images, qui n'habitons que l'écorce des choses, comme un anneau qui nous sépare à la fois du monde et de nous-mêmes, tout cela peut paraître sans grande importance : le mince fil d'or d'un chant d'oiseau dans le silence. J'entends, j'écoute, immobile dans la grande pièce au parquet luisant, comme un cristal en équilibre. 
C'est bien toi, mon Dieu, dans la mandorle de mon cœur battant, dans ce sanctuaire intérieur que nous obscurcissons de notre seule personne. Cœur de mon cœur, tu demeures une présence sensible : au-dedans de moi, je puis t'atteindre. Plus rien désormais ne saurait te limiter, aucune forme, aucun visage : tu nous contiens et nous habites à la fois. Nous oublions que c'est toi qui appuies parfois, tout contre notre cœur, mais nous nous tournons si rarement de ce côté-là.
Je voudrais sans cesse te sentir tout contre moi, en dedans, de sorte que pour ceux qui m'approchent plus rien ne fasse obstacle à ta ressemblance, sans autre titre, sans autre signe de reconnaissance que la clarté d'un regard où ton nom puisse se lire en filigrane. Que nos visages, désormais, se découpent sur cette seule transparence. Fais de chacun de nous, Seigneur, l'éclat mystérieux d'un lointain toujours proche, qu'on peut voir, entendre, toucher, notre face comme une couronne, l'auréole d'une parole plus intérieure.
Apprends-nous à aimer le dépouillement silencieux de ta croix, au pied de laquelle, comme jadis, se rencontrent les moqueurs et les amis. Fais-nous la grâce de persévérer dans la faiblesse, dans la pauvreté des moyens que tu nous laisses. Ne permets pas que nous succombions à la tentation de la revanche, du triomphe, mais pousse-nous, pousse-nous toujours plus loin en ce monde, avec pour seul étendard la nudité de ton visage.



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