dimanche 4 avril 2021

Faites une fleur à votre cerveau

 Leurs odeurs et leurs couleurs stimulent notre cerveau et déclenchent le circuit de la récompense. Les fleurs nous rendent heureux, c'est ce que de nombreux scientifiques mettent en avant pour expliquer notre attrait pour ces végétaux.

Pourquoi aimons-nous tant les fleurs ? Pourquoi nous séduisent-elles ? Dahlias et hémérocalles, roses et narcisses n’ont pas vraiment d’utilité. Elles ne se mangent pas (enfin, pas toutes…) et ne durent parfois que le temps d’une journée. Et pourtant, nous les cultivons depuis 5 000 ans ! Une absurdité du point de vue de l’évolution. Quoique…

Un vrai « sourire de Duchenne »


Et si les fleurs nous apportaient bien davantage que ce que nous pensons ? Et si elles nous rendaient tout simplement… heureux ? C’est ce qu’a démontré l’expérience de la professeure de psychologie Jeannette Haviland-Jones (en anglais) de l’université de Rutgers dans le New Jersey.

En 2005, avec son équipe, la chercheuse a envoyé un cadeau différent à 147 femmes pour les remercier d’avoir participé à une enquête pour son université. Celles-ci recevaient une bougie, une corbeille de fruits ou… un bouquet de fleurs. Mais l’enquête n’était qu’un prétexte : le livreur de cadeaux, complice, avait pour mission de décrire précisément l’expression du visage de la personne recevant le présent.

Résultat : toutes les femmes ayant reçu le bouquet de fleurs ont souri ! Attention, il ne s’agissait pas d’une simple expression de politesse mais d’une réaction spontanée. Un sourire dit « de Duchenne », du nom de ce psychologue qui a décrit le sourire authentique : lorsque les yeux deviennent pétillants et étroits et que les pommettes se soulèvent.

« Des effets immédiats sur l’humeur »

Intriguée, la psychologue a alors mené une autre étude, mais cette fois-ci avec un public mixte, hommes et femmes, avec lesquels elle a testé d’autres comportements sociaux. Elle les a conviés à un rendez-vous fictif à un étage élevé d’une tour. Dans l’ascenseur qui les conduisait à cet endroit se trouvait une personne inconnue avec un cadeau : une fleur, un stylo ou… rien du tout.

Résultat : hommes et femmes ont réagi de la même manière (quel que soit le genre de la personne face à eux) : ils ont davantage souri lorsque la personne leur a offert une fleur qu’un stylo. Surtout, ils se sont tenus plus proches d’elle (à une distance dite sociale plutôt qu’impersonnelle) et ont eu davantage tendance à engager la conversation. « Les fleurs ont des effets immédiats et à long terme sur les réactions émotionnelles, l’humeur, les comportements sociaux et même la mémoire », constate la chercheuse.

Un shoot de dopamine et de sérotonine

Mais pourquoi nous font-elles tant d’effet ? Cela a sans doute un lien avec notre évolution. Notre amour des fleurs pourrait bien être un vestige comportemental. Selon le célèbre biologiste américain Edward Osborne Wilson, nous l’aurions hérité de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Une plante en fleurs était pour eux une promesse de festin à venir. Celui qui, par exemple, repérait que le pommier à côté de sa caverne était en fleurs avant tout le monde avait davantage de chances d’être le premier sur les lieux le mois suivant pour en récolter les fruits.

Peu à peu, au cours de l’évolution, leur vue, leurs parfums ont installé en nous un automatisme : les fleurs déclenchent en nous un shoot de dopamine, le neurotransmetteur du circuit de la récompense. Et même de sérotonine, l’hormone du lien, lorsque nous les offrons à la personne que nous aimons ! Sans doute parce qu’en faisant cela, nous inscrivons cette relation dans la durée…

Une expérience mentale dynamisante


Ce n’est pas tout. Leur beauté agit littéralement sur notre cerveau. Une étude israélienne (en anglais) a ainsi montré que leurs couleurs vives et l’arrangement harmonieux de leurs pétales nous offrent une expérience mentale dynamisante. Un massif ou un bouquet mêlent ainsi des éléments familiers et nouveaux qui stimulent le cerveau et nous procurent le ­sentiment de pouvoir donner un sens au monde.

Surtout, les fleurs ont une arme fatale pour nous plaire : le parfum. Dans une étude plus récente, ­Jeannette Haviland-Jones a ainsi montré que des fragrances naturelles de rose diffusées dans l’air à un niveau assez bas pour ne pas être détectées consciemment provoquaient des changements de comportement : les personnes testées utilisaient alors davantage de mots décrivant des émotions positives dans leurs propos.

Et elles avaient tendance, comme dans l’expérience de l’ascenseur, à réduire la distance entre leurs interlocuteurs et elles. Plus étonnant : ce n’était pas le cas lorsque le parfum diffusé était artificiel.

Des mécanismes complexes

Et si tout ceci n’était que sortilèges pour susciter chez les humains des émotions bienfaisantes ? Et si nous étions pour les roses et les pivoines les outils de leur propre survie, un peu comme de simples bourdons ? Cela vous semble tiré par les pistils ? Pas du tout, si on adopte le point de vue de la plante ! Imaginez que vous soyez incapable de vous mouvoir, planté là où on vous a mis…

« Si vous y réfléchissez, l’enracinement est une énorme contrainte évolutive », explique ainsi le généticien américain Daniel Chamovitz dans son livre la Plante et ses sens (Buchet / Chastel). « Cela signifie que les plantes ne peuvent pas échapper à un mauvais environnement ni migrer à la recherche de nourriture ou d’un compagnon. Les plantes ont donc dû développer des mécanismes sensoriels incroyablement sensibles et complexes qui leur permettent de survivre dans des environnements en constante évolution. »

Les fleurs utilisent ainsi une gamme étonnante de dispositifs – visuels, olfactifs et tactiles – pour attirer l’attention d’insectes et d’oiseaux spécifiques et même de certains mammifères ! Les fleurs de datura, une plante très toxique, produisent, par exemple, une potion hallucinogène, dont sont friands les papillons faucons.

Certaines espèces d’orchidées appâtent leurs pollinisateurs avec des parfums dont ces derniers se servent comme attractifs sexuels. Pourquoi les fleurs n’en feraient-elles pas de même pour attirer les humains ?


Un système « gagnant-gagnant »

Beaucoup de scientifiques considèrent ainsi aujourd’hui que fleurs et humains ont évolué ensemble. C’est ce qu’ils nomment la « coévolution » : lorsque deux espèces (ou davantage) évoluent en réponse aux changements de l’autre. Un système « gagnant-­gagnant » en quelque sorte.

Nous avons offert aux fleurs un moyen de se multiplier en les cultivant dans nos jardins. En échange, celles-ci nous ont offert… le plaisir ! Les fleurs se sont peu à peu transformées en des « super stimulus » pour notre cerveau, combinant au cours de l’évolution toutes les propriétés citées plus haut : parfum, beauté et promesse d’agapes.

Dans un seul objectif : nous plaire afin que nous continuions à les chérir, les soigner et les cultiver. Une histoire d’amour en perpétuelle floraison.


Source : La Vie

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