dimanche 24 mars 2019

Fragile liberté

 Écrivain et poète, chroniqueur dans La Vie depuis bien des années, Philippe Mac Leod est décédé le 25 février. Nous lui rendons hommage en publiant ce texte inédit.
 Le dépressif pourrait dire : « Je ne désire rien, mais j'ai besoin de tout. » Le jouissif ne cesse de clamer : « Je n'ai besoin de rien mais je désire tout. » Le sage, d'un ton plus bas : « Je ne désire qu'à la mesure de mes besoins. » Le mystique : « Je n'ai qu'un seul besoin : désirer. » Désirer, brûler d'une flamme toujours plus haute. Là où n'est pas le désir, la vie n'est pas là non plus, ni celui qui la donne. Le Vivant ne peut se communiquer que par notre vie et c'est par le désir qu'il y entre, ce désir qui fait notre béance, notre vivance.

On parle sans doute trop de volonté en matière de spiritualité, trop de cette prétendue liberté qui ferait de nous des êtres clairvoyants maîtres de tous leurs choix. Je ne pense pas qu'on puisse croire en Dieu par choix. On ne décide pas d'aimer ou de ne pas aimer. L'espérance ne sera jamais une question de préférences. On n'avance à la suite du Christ que par le désir ardent de s'approcher davantage de lui et de mieux le connaître, parce qu'un jour on a fait une rencontre qui ne nous laisse aucun repos. Le désir devient alors notre souffle et l'Esprit saint s'y engouffre avec bonheur.
Il y a d'ailleurs toujours un peu de suffisance à croire l'homme libre de ses choix. En ignorant en chaque individu la force et la complexité d'une histoire qui le possède en même temps qu'elle le modèle, on risque de se tromper sur l'adversaire, qui n'est autre que lui-même. Dieu n'a pas créé l'homme libre. Nous sortons à peine de l'animalité, captifs d'un moi obscur, au fonctionnement incroyablement confus, et façonné par une histoire qu'on n'a pas choisie, pas plus qu'on ne choisit ses impuissances, ses infirmités.
Incapable d'aimer comme je le devrais, comme je le pourrais, comment croire en ma liberté ? Dieu n'a pas créé l'homme libre : il l'a voulu libre - il le veut libre - il nous conduit à la liberté. Il nous fait sortir de la maison d'esclavage. Pas de liberté, donc, seulement une succession de libérations toujours à reprendre ou à porter plus loin. La liberté dessine notre horizon. Elle nous oriente, et c'est toujours de nous-mêmes que nous sommes délivrés, sauvés. La liberté que nous invoquons tant n'existe qu'en Dieu, elle nomme l'infini de sa vie à laquelle nous aspirons.
Aussi n'est-il pas très juste de se référer au respect de Dieu à l'égard de notre prétendue liberté. C'est notre nature qu'il respecte, simplement, la lenteur de nos apprentissages, de nos assimilations. L'homme en son libre arbitre sait combien sa liberté est mince, entravé par ses faiblesses, ses pesanteurs, retenu par tout ce qui de sa nature est caduc et lui colle encore à l'âme. Libre, il ne l'est pas, mais investi de tant de possibles que le ciel tout entier lui semble promis. Il n'est de liberté qu'infinie, dans le dépassement, l'arrachement, dans la découverte d'un plus grand que soi. Ce n'est pas en choisissant que je suis libre, mais en me laissant porter toujours plus avant, et le plus souvent où je ne voudrais pas.
« Tu m'as saisi et je me suis laissé saisir », s'écrie le prophète. Dieu a créé l'homme ouvert : non point libre, mais ouvert, la seule créature qui soit perfectible, essentiellement vouée au changement, à la métamorphose. Et c'est bien là que je puise le souffle, l'élan me donnant ce sentiment de liberté qui n'apparaît que dans l'espace que m'ouvre la grâce, vaste comme un fiat, un oui spacieux, lumineux. Oui, Seigneur : ne me lâche pas, sois ma liberté et ne m'abandonne pas à la pauvre illusion de la mienne.
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