samedi 2 octobre 2021

« Une petite boutique spécialisée dans une denrée encore rare »



Au cours d’un voyage au Japon (1980), Sôkô Morinaga Roshi, abbé du Temple Daishu-in à Kyoto, ayant appris que j’anime un centre de méditation en France me questionne : où ? quoi ? pourquoi ? comment ?

Suite à l’énoncé de mes réponses il me dit : « Si je comprends bien, vous avez en charge une petite boutique spécialisée dans une denrée encore rare aujourd’hui, l’expérience spirituelle ».

Quarante ans après son inauguration par Graf Dürckheim, présenter le Centre Dürckheim comme étant — une petite boutique spécialisée dans une denrée rare — étaie sa destinée.

Je trouve cette dénomination d’autant plus justifiée et appropriée que nous vivons dans une société qui n’arrête pas d’implanter des supermarchés, des hypermarchés, des grandes surfaces.

Morinaga Roshi ajoutait : « Nous vivons une époque au cours de laquelle, en Occident comme en Orient, les grandes institutions qui se réfèrent à la vie spirituelle vont perdre leur influence au profit de petites communautés qui rassemblent des personnes attirées par — l’exercice spirituel et l’expérience spirituelle — ».

L’exercice spirituel ?

J’avais 17 ans lorsque j’ai lu l’ouvrage de Herrigel : Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc. La première phrase que j’ai soulignée et qui m’accompagne encore quotidiennement est que « Pour bien tirer à l’arc il ne faut pas viser la cible mais porter son attention sur l’action, sur les gestes qui permettent d’encocher la flèche pour ensuite la décocher ! »

La pratique de zazen m’a appris qu’il en est de même lorsqu’on désire bien vivre. Il importe de prêter attention à l’action dans laquelle nous sommes engagés à l’instant.

Que ce soit être assis, être debout, être allongé ou en train de marcher. Le maître zen voit ces différentes actions comme étant des attitudes dignes de notre attention. Elles le sont d’autant plus qu’elles révèlent la part d’infaisable qui compose notre vitalité.

Voici ce qu’écrit Graf Dürckheim au sujet du cheminement spirituel : « Il y a au Japon les exercices spécifiques propres au domaine artistique, au domaine artisanal ou martial. Le fruit attendu de la pratique d’un exercice n’est pas un acquis ou une performance extérieure mais la transformation de la personne qui le pratique. Il s’agit de l’éveil à notre nature essentielle. Ce qui se traduit par une certaine atmosphère intérieure. Compte ce que ressent, ce qu’éprouve celui, celle qui s’exerce. Le principe fondamental sur lequel reposent ces pratiques est la mort du moi qui fait les choses afin de rendre libre, afin de libérer la voie qui ouvre sur un soi plus profond, notre propre essence. L’exercice bien compris est un chemin à tracer par l’homme lui-même qui lui permet d’accéder, étape après étape, à la voie par laquelle il libère son être véritable ».

Libérer son être véritable ! C’est le but de la Voie tracée par Graf Dürckheim ; une Voie spirituelle qui n’est pas confessionnelle. Un exercice proposé par un maître zen vise à l’accouchement de l’être, du Soi véritable.

Voici un texte éclairant que nous devons à Shohaku Okumura Roshi, qui enseigne zazen aux États-Unis : 


« Laisser se révéler notre être-nu »

« Nous portons des vêtements de métiers tels que médecin, avocate, mécanicien, prêtre, élève, enseignante. Mais quand nous sommes assis face au mur et abandonnons la pensée, la comparaison à autrui, nous enlevons toutes ces tenues.

En zazen, je ne suis pas prêtre bouddhiste japonais, je ne suis ni japonais ni américain. En zazen, nous ne sommes ni riches ni pauvres, ni bouddhistes, ni chrétiens. Les termes : japonais, américain, chrétien, bouddhiste, homme et femme, sont pertinents uniquement lorsque nous nous comparons aux autres. Quand je me compare aux américains, je suis japonais, mais avant que je sache qu'il existe des personnes qui ne sont pas japonaises, je ne savais pas que j'étais japonais. Lorsque nous sommes simplement assis en zazen face au mur, nous ne sommes ni des êtres vivants illusionnés ni des bouddhas éveillés, nous ne sommes ni vivants ni morts mais simplement tels que nous sommes. C'est tout. En zazen nous retirons tous nos vêtements et devenons le soi nu. »

Jacques Castermane

Lettre N° 96 – Octobre 2021 

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