mercredi 4 mai 2016

Be happy, Arnaud... et Denise

Arnaud de Saint Simon
édito de Psychologies magazine de mai 2016


Après Arnaud, son ex-mari, Denise Desjardins, une autre grande figure de la spiritualité, vient de nous quitter. 
 Autant Arnaud était un « maître » qui a beaucoup écrit et a fédéré toute une communauté de pratiquants autour de son magnifique lieu, Hauteville, autant Denise était une figure singulière, presque solitaire, elle aussi pleinement engagée dans la transformation qui libère. 

J’ai eu la chance de la côtoyer (un peu), de l’apprécier (beaucoup), de même que les enseignants d’Hauteville, un endroit unique qui propose une expérience occidentalisée de la relation maître-disciple, encore méconnue aujourd’hui. 
Alors que la thérapie fait désormais presque partie de nos vies, cette voie alternative est riche : mieux se connaître, s’accepter et dépasser son ego, vivre dans l’instant présent, s’ouvrir à une dimension spirituelle et partager cette expérience avec les autres. 

L’accompagnement humain est central - nul ne peut se connaître, se libérer de ses souffrances ou de ses illusions seul. Le maître, ou l’enseignant, chemine, tel un grand frère, avec le disciple, transmettant son expérience dans une relation sans réserve, à travers des lectures, causeries, échanges de lettres, etc. Se pose bien entendu le problème de la bonne distance et de la « gouroutisation ». Arnaud Desjardins, qui a beaucoup écrit sur cet « ami spirituel », nous déclarait : « Le guru, en hindi, c’est à la fois “celui qui a de l’expérience” et “celui qui disperse les ténèbres” [...].
Il existe dans toutes les civilisations sous des noms différents : c’est le cheik en arabe, le pir en persan, le maître spirituel à qui l’on s’adresse dans toutes les traditions pour recevoir une éducation émotionnelle et spirituelle. » 
Le philosophe Alexandre Jollien raconte volontiers son expérience auprès du père Bernard, jésuite canadien et maître zen « devenu le médecin de [s]on âme4 », qu’il est parti rejoindre en Corée. Le disciple peut être fasciné par le maître, ce sera alors l’occasion de s’interroger, et de grandir en se rappelant la célèbre phrase du bouddhisme zen : « Si tu vois Bouddha, tue-le. » De son côté, le maître devra rester vigilant sur les questions du pouvoir, de la notoriété... et de la séduction, trois écueils dont Arnaud Desjardins a témoigné dans ses livres.

Autre garde-fou, le maître s’inscrit dans une lignée : il a hérité, il transmet. Pour Arnaud et Denise, c’était le fameux Svâmi Prajnânpad, un subtil maître bengali pétri de culture occidentale et de psychanalyse. Le maître enseigne, confronte et s’engage. C’est une ressource personnelle, ou symbolique s’il est décédé. C’est son amour pour Mâ Ananda Moyî, une autre grande figure de l’hindouisme, qui a porté Denise dans ses derniers instants.

Des maîtres inspirants, aidants... et facétieux. Face à l’insistance de son disciple, Prajnânpad avait promis qu’un jour il conclurait son enseignement en quelques mots. « Be happy, Arnaud.»
Pour nous, Français, nourris de concepts et d’esprit critique, c’est là la grande force des maîtres asiatiques : spiritualité = simplicité.


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