jeudi 6 août 2015

Rencontre avec Minh Tri Vô (2)


Un palais orné de joyaux. Telle fut mon impression visuelle lorsque je m'ouvris au monde de la pleine conscience. Avant, je ne goûtais pas, je restais dans le mental. Accompagnée par mon maître, très visionnaire et pédagogue, j'ai tout réappris, tel un enfant s'ouvrant à la vie : à marcher, à manger, à me tenir... Dans toutes les écoles bouddhistes, la méditation, voie d'unification entre le corps et l'esprit, est pratiquée, mais chaque tradition l'adapte différemment. Au Village des Pruniers, nous l'orientons vers la pleine conscience. En prenant le temps, en donnant de l'espace, de la profondeur, à chaque geste, chaque réaction, chaque parole, notre existence prend une tout autre dimension.

Nous ne sommes pas des morceaux de pierre. Le bouddhisme zen n'a pas pour but de supprimer nos affects ni nos émotions, mais de les accueillir. Il m'arrive bien sûr de surréagir à la moindre phrase de travers de mon mari, alors que je sors tout juste de retraite ! Mais je dois reconnaître qu'avec le temps je suis moins tributaire de mes passions. Plutôt que de me laisser emporter par la frustration, l'agressivité, la colère, je donne un temps à ma réaction : je regarde d'abord cette énergie négative, respire profondément, l'accueille, et lui souris. Le fait même de prendre conscience de son existence lui fait perdre en intensité. Or, si elle perd en intensité, elle m'affecte moins. Longtemps j'ai ressenti de la colère envers mon père. Marquée par une éducation à la confucéenne, je la gardais enfouie. En outre, le bouddhisme nous inculque la reconnaissance envers nos parents, vecteurs de vie. C'est grâce à la pratique, aux entraînements et aux retraites, que mon regard a changé sur cette énergie négative. Le jour où le Vénérable Thich Nhat Hanh nous a expliqué que les gens malheureux faisaient souffrir, j'ai eu comme un flash intérieur : c'était le cas de mon père. Dès lors, je suis entrée dans la compassion.

L'avidité, l'ignorance, et la colère sont trois poisons dans le bouddhisme. Le zen nous fait travailler notre terrain qui n'est pas toujours sain : nous ôtons les mauvaises herbes, bêchons la terre, et y faisons pousser les fleurs. Ce travail passe par la connaissance de soi, elle-même menant à la compassion. Plus je me connais, plus je comprends les autres. Plus je souffre, plus je fais souffrir les autres. C'est ce que nous appelons « interdépendance ». Je ne suis pas un moi séparé mais un avec mon environnement : mon identité unique existe mais évolue, au gré du temps, des rencontres, et des événements de ma vie. Pour la représentation, oui, j'ai une carte d'identité, un passeport. Deux dimensions existent : l'une horizontale, historique : je suis née en 1949 à Dalat. Je suis vice-présidente de l'Union bouddhiste de France. L'autre dimension est appelée « ultime », et est le prolongement de mon cheminement de vie. La Minh Tri d'aujourd'hui est-elle la même qu'il y a 20 ans ou même deux jours ? Oui et non. Celle d'il y a 50 ans n'a pas la France en elle. Et celle d'aujourd'hui ne cesse d'évoluer au fil des jours. L'éthique de vie dans le bouddhisme est fondamentale : nous devons veiller à notre Karma, grande loi de causes à effets : toutes nos actions, pensées, paroles, ont des conséquences sur notre être et, par résonance, sur les autres, dans une temporalité nous dépassant. En en prenant conscience, nous contribuons à une énergie collective positive.




Rencontre avec Minh Tri Vô (1)


Je n'oublierai jamais ma rencontre avec le vénérable Thich Nhat Hanh. Elle eut lieu en 1994, au Village des Pruniers (Lot-et-Garonne). En présence de ce maître zen, j'ai instantanément senti une nouvelle naissance germer en moi. Naissance tournée vers un éveil au miracle de la vie. Vie qui, jusqu'alors, était dirigée en pilote automatique et guidée selon un objectif : réussir dans les affaires. Je vivais en France depuis près de 15 ans. Deux mariages, la naissance d'une petite fille, la création de deux entreprises... Mon existence s'accordait au rythme d'une locomotive trépidante. Quatre ans avant ma rencontre avec Thich Nhât Hanh, j'étais retournée dans mon pays, le Vietnam. Quel choc ! La jeune ambitieuse que j'étais se voyait tout à coup comme telle, face à une population encore enlisée dans la souffrance. À mon retour en France, une seule chose m'est apparue clairement : je me devais de calmer ma vie, de poser vraiment mes valises.

Le bouddhisme de mes parents me paraissait bien poussiéreux à cette époque. Peu à peu, je l'avais délaissé. Petite, j'accompagnais ma mère, héritière de la branche Terre pure, école Mahayana - laquelle comporte une branche zen -dans les pagodes. Et tous les mois, nous ne manquions pas de manger végétarien les jours de pleine lune et demi-lune. Très rapidement, je fus outrée par ses récitations effrénées de soutras, alors qu'elle ne les comprenait pas. Outrée aussi de la voir se réfugier dans les prières plutôt que de se révolter contre son mari incompréhensif et brutal.. Mon regard a changé depuis : cette pratique assidue l'immergeait dans un éphémère oasis de paix. Malgré un climat de guerre, mon enfance, passée dans les hauts plateaux du centre du Vietnam, fut paisible et insouciante avec mes six frères et soeurs. Jusqu'à l'âge de 18 ans, j'ai été scolarisée au lycée français, puis je suis partie en Belgique étudier les sciences économiques. Petit à petit, une soif s'est ouverte en moi, et m'a conduite vers des lectures philosophiques et spirituelles. Mais les affaires ont enseveli cette aspiration dormante, jusqu'à mon retour au Vietnam, et la prise de conscience qui s'en est suivie. Quatre ans plus tard, je rencontrai enfin celui qui allait être mon maître.

L'appel fut si fort que j'ai envisagé de devenir nonne. Au final, j'ai réalisé que pratique et vie laïque n'étaient pas incompatibles. Deux ans après ma rencontre avec Thich Nhat Hanh, je me suis ainsi engagée dans l'ordre de l'Inter-Être, communauté de moines et de laïcs, et ai prononcé le voeu de réciter, suivre et pratiquer les quatorze entraînements à la pleine conscience tous les mois. Le jour où je ne pratique plus, mon engagement perd de son sens. J'ai besoin de me retirer régulièrement à la maison de l'Inspir, un monastère en région parisienne, et directement lié à celui du Village des Pruniers. Besoin de ces coupures où je ne fais rien d'autre que pratiquer la pleine conscience. Puis, retournée dans ma vie quotidienne, je tente de poursuivre cette pratique du lever au coucher du soleil. Tout est une question d'énergie et d'habitude...