dimanche 31 janvier 2021

samedi 30 janvier 2021

Changement et lenteur

 


L’incertitude, ça n’est pas nouveau. Tout ce qui est vivant implique le changement. Que disait Darwin ? Que le monde vivant évolue. Pour les uns, c’est formidable. Pour d’autres, c’est la panique. Ils se disent : «Quoi ? Ce que je suis aujourd’hui, je ne le serai pas demain ? Ah mais vous m’angoissez avec votre incertitude !» Certains cherchent un sauveur, un esprit totalitaire qui leur assure : «Voilà d’où vient le mal.» Moi, je dirais plutôt qu’il faut avoir peur des certitudes qui figent, et qu’on a tort de craindre l’incertitude. Elle est créatrice, à condition de travailler sur soi, de se décentrer de soi pour essayer de se représenter le monde de l’autre.

Aujourd’hui, il nous faut naître autrement. C’est la définition de la résilience, qui consiste à garder une trace de la blessure pour inventer autre chose. Beaucoup parlent d’une crise. Selon moi, le mot juste pour qualifier ce qui nous arrive est «catastrophe», un mot qui étymologiquement dit coupure et virement, tournant. Il y en a eu beaucoup dans l’Histoire. Dans un premier temps, et on l’a vu avec le confinement, les violences familiales et conjugales explosent, car se pose la question : «Comment va-t-on vivre ensemble ?» Quand la violence et la brutalité sexuelle augmentent, c’est toujours le symptôme d’une défaillance socioculturelle. Il manque un cadre pour structurer la pulsion. Nous vivons dans un sprint consumériste qui a provoqué la dilution des liens, gommé les âmes et les saisons, provoqué une déritualisation culturelle. On ne pense qu’à la réussite sociale. Mais après la catastrophe, le traumatisme pousse toujours à emprunter un chemin nouveau. Nous devons prendre un virage, or trois voies s’offrent à nous désormais.

On peut repartir comme avant, ne rien changer à l’économie, à l’hyperdéplacement et à l’hyperconsommation, et un siècle d’épidémies nous attend, avec un nouveau virus dans trois ans. On peut voter pour un dictateur qui nous escroquera en faisant croire qu’il a la solution et la vérité, cela existe déjà ici ou là. On peut enfin opter pour une nouvelle naissance, c’est la voie à laquelle je rêve. Nos atouts pour une renaissance sont la (re)découverte de la lenteur, l’accès au savoir pour tous et de nouvelles ententes de couples, où chacun fait sa part d’effort.

Boris Cyrulnik
(source : Madame Figaro)

***********

vendredi 29 janvier 2021

Sécurité de l'instant

 


Malgré les difficultés que vous avez rencontrées
et que vous avez probablement enregistrées
dans la mémoire de votre corps,
rappelez-vous que vous avez aussi vécu
des centaines de milliers de secondes en toute sécurité.
*
Fermez les yeux, respirez profondément
et appréciez ce moment de sécurité ici et maintenant!
Recommencez autant de fois que nécessaire, reprogrammez-vous!
Vous en avez le POUVOIR!!!

(Auteur - inconnu)

***************

jeudi 28 janvier 2021

mercredi 27 janvier 2021

Le bonheur, ça se pratique.


Editrice au Seuil, auteur de vingt-cinq livres, Anne Ducrocq vient de publier "Le bonheur ça se pratique" (Ed. de la Martinière). L’auteur y parle de son intranquillité, une situation peu confortable mais féconde, qui suppose d’être sans cesse dans un travail. En effet, dans cette quête, rien n’est donné, rien n’est acquis. D’où l’idée du titre de cet ouvrage où la vision chrétienne du monde affleure : le bonheur, ça se pratique. Sur le plateau de KTO, elle évoque aussi sa joie d’animer des ateliers d’écriture où elle aide des personnes à se relever grâce à la rédaction.


**********

mardi 26 janvier 2021

Un coin net de pensées

 


L'"ami spirituel" que je suis tant bien que mal consacre chaque jour en moyenne une heure et demie à deux heures au courrier- courriel avec les élèves. Je partage avec les lecteurs de cette page une petite pépite reçue il y a quelques jours d'une personne fraichement sur la voie. Je la partage parce que la personne parvient à restituer dans ses propres mots un enseignement maintes fois transmis. L'esprit du débutant ...
"Je développe mes petites techniques. Quand je m’attaque à un problème intérieur, plutôt que de tâcher de nettoyer mon ressenti (trop lourd en certains domaines), je cherche un coin net de pensées et d’émotions, si minuscule soit-il ; je me positionne depuis ce coin et je tâche de grignoter sur le mental autour. Peu à peu, à force de n’être pas investi, le continent noir qui entoure ma planche de salut finit par sombrer, et quand je relève le nez au bout d’un moment je réalise qu’il a disparu. "

Gilles Farcet
(source : FB)
******

A l'aurore de la transformation

 


[...] je suis convaincu qu'avec un entraînement régulier il est tout à fait possible de transformer son esprit dans un sens positif, en cultivant les pensées, les attitudes et les tendances qui sont bénéfiques à nous-mêmes et aux autres, et en réduisant celles qui sont nuisibles.


Extrait résumé et adapté de Les Voies spirituelles du bonheur, Presses du Châtelet, Paris, 2002; Points Sagesse, Seuil, 2004.

FOURTEENTH DALAI LAMA, TENZIN GYATSO (B. 1936)

******

lundi 25 janvier 2021

A l'inverse ! Sortir de scène



Souvent, il est intéressant d'observer nos pensées et de les prendre à rebours. En faisant cela, on prend conscience de leur inconsistance. Et on fait, peu à peu ou immédiatement, tomber le voile qui nous empêche de voir qui nous sommes vraiment ! Sortons de nos scènes répétitives…

Tentons de repérer quelques pensées dans cette journée et de les inverser… et sourions de leur mise en scène.

--------------



Chaines You tube à suivre

 

Voici deux liens pour les personnes qui aiment les plantes.

La chaîne de François Couplan


La chaîne de Christophe de Hody

*******


samedi 23 janvier 2021

Entre se mettre en boule ou partir bille en tête...

 


La vésicule biliaire est mise à rude épreuve actuellement. Sa saison arrive bientôt, en février, et il sera alors temps de renforcer son énergie.

"Les troubles émotionnels liés à la Vésicule Biliaire :
Le Foie est souvent assimilé au chef des armées : responsable de la stratégie, il donne ses grandes lignes à la Vésicule biliaire qui prend les décisions et agit en fonction. C’est pourquoi on dit que cette dernière domine la décision. La prise de décision venant de cette viscère est dite juste, elle permet à l’Esprit (Shen) de se protéger contre les chocs émotionnels afin de maintenir l’harmonie entre le Qi et le Sang, ainsi que dans le fonctionnement des organes.
La Vésicule biliaire est souvent associée à la notion de courage. Est considéré comme courageux celui qui ose mettre en œuvre les stratégies décidées. Quand son Qi est affaibli, la personne sera craintive, manquera d’assurance, démontrera une trop grande sensibilité face aux événements, perdra le sommeil. Le vide de Qi de la Vésicule biliaire est souvent associé au vide de Qi du Cœur."
Source : blog des Laboratoires Bimont
******

vendredi 22 janvier 2021

Beauté immédiate.

 J'ouvre les yeux. Je suis devant ce qui n'est à personne, ne sera à personne. Je ne peux plus imaginer de barrières ni de murs. Je suis en contact avec l'air, je suis dans la beauté immédiate.(…)


La couleur m'emporte, m'abolit. Comme si j'étais né à cette instant même, sans père ni mère, mais réellement apparu devant la mer et le ciel, mais ce n'est pas moi qui nomme cela, qui utilise cela par mes paroles ou par mes rêves. Devant l'espace, je cesse et je disparais, et c'est la mer qui me donne ma vie, mon être. Les questions se taisent. Ce n'est pas la raison, ni le doute, ni même le désir de ne faire plus qu'un avec l'espace, qui me font comprendre la nécessité de cette disparition de ma personne... Ce que je dois savoir ne peut venir de moi vers le monde : mais au contraire, du monde vers moi, pourvu que je puisse rester les yeux ouverts. (…) 

Tant d'hommes, tant d'animaux ont vu cela, jour après jour. Mais leur regard n'a pas laissé de traces. Ils étaient seulement dans l'histoire de la vie, pour bouger, pour aimer, pour mourir. C'était cette beauté, ici même, nette et précise, la beauté que l'on voit et qui vous voit, la seule vérité dans la lumière qui ne peut s'éteindre… 

(...) Tout se rencontre et se touche. Le regard qui vient du monde trouve le regard de mes yeux, éclaire avec le soleil. Le regard n'est pas mon regard, il ne m'appartient pas. C'est un regard unique, où sont joints tous les regards du monde…


Et tout à coup on trouve dans la foule un homme (…) Il vous regarde en retour, si profondément qu'il va au delà de vos pensées, jusqu'à votre cœur, là où vibre votre propre clarté. Il vous regarde, ne vous juge pas, parce que le monde auquel il appartient est plus grand, plus durable que les appréciations des hommes.(...) Quelque chose vit dans le visage de cet homme. Quelqu'un y habite. Il est la personne même, l'invincible présence de la personne.(...)

La beauté est ailleurs. Elle est là, simplement, offerte aux sens, libre et sans limites comme le ciel, transparente aussi. Pour voir cela il n'est pas nécessaire d'être en ascèse ni en religion. Pour voir cette clarté, il suffit de regarder. Mais il faut que le regard se libère de ses habitudes, et que l'esprit s'ouvre vraiment, sans rien qui retienne ou protège (…)

Parfois on rencontre ceux qui sont simples. On voit leur lumière, on sent la pureté de leur souffle, la netteté de leur regard. Alors c'est comme si quelque chose cédait enfin dans ce réseau infini de protection et d'interdiction qui nous entoure, comme si une brèche s'ouvrait enfin dans ce mur compact qui nous isole...

Extraits d'un livre de Le Clézio -  "Un inconnu sur la terre".

******

jeudi 21 janvier 2021

Un fou rire ou un fou pleure...

 


Je me fiche que l’on me trouve bougon. Sourire ce n’est pas un acte banal. Je souris à ce qui me fait sourire. Celui qui me dit : « Vous faites toujours la gueule », je ne vais pas lui courir après dans la rue pour lui dire : « Attends, attends je ne suis pas bougon, je suis plus intéressant que ça. »
Vous aimez vous voir sur l’écran ?
Pas du tout… Je suis trop, trop déçu. Je ne regarde même plus mes films. D’abord, je me trouve très disgracieux physiquement. Je m’imagine beaucoup plus beau. Dans la glace, on se regarde de face et on fait une tête spéciale, toujours la même, qui nous plaît. A l’écran on se voit de tous les côtés. Mais surtout je vois un type qui ne sait pas jouer. Je me prends la tête à chaque fois. Je me croyais tellement plus impressionnant, tellement plus émouvant ! Mais où elle est l’émotion que j’avais mise ? C’est terrible ! Heureusement, souvent les autres vous renvoient une image élogieuse, alors vous retrouvez dans leur regard ce que vous pensiez être.
On pense souvent qu’on ne change jamais vraiment, vous êtes l’exemple contraire.
On peut toujours changer. On peut travailler sur soi beaucoup plus qu’on ne le croit. A ceux qui se plaignent de leur malheur et qui ne travaillent pas sur eux, j’ai envie de dire : « Tu as un gouvernement de toi-même très laxiste. Tu n’as pas de ministre de l’Intérieur. Elis quelqu’un d’autre, un autre toi-même. » On peut toujours travailler sur son bonheur et sa cohérence. Dire « c’est plus fort que moi » est une passivité coupable. On a toujours le choix, encore faut-il travailler sur soi et ne pas invoquer le destin ou la fatalité.
On peut invoquer le poids de l’enfance, de l’éducation…
D’accord. Mais je crois aussi que tout homme est responsable et ne peut pas invoquer toute sa vie une éducation douloureuse. C’est trop facile de se servir de la psychologie pour se dédouaner.
Vous pleurez dans la dernière image des “Sentiments”. Cela vous arrive dans la vie ?
Souvent. Un homme, ça pleure tout le temps si ça se laisse aller. C’est bon de pleurer. C’est comme rire. On retrouve d’ailleurs du rire dans les pleurs. Je viens de perdre un ami très proche et j’ai beaucoup pleuré. Je me regardais faire et je me disais : « C’est marrant, c’est comme si j’éclatais de rire. » Ça se rapproche beaucoup. [Il fait semblant de pleurer à gros sanglots]. En fait, si la bouche est comme ça, on rit et si elle est comme ça, on pleure, mais on sent bien que c’est la même chose. On peut avoir un fou rire ou un fou pleure.
Vous acceptez avec la même sérénité de vous sentir vieillir ?
J’y ai toujours vu des avantages. Comme je n’ai cessé de tenter de me perfectionner, vieillir m’a toujours paru riche de promesses. Mais ça commence à me plaire un peu moins… Accepter le délabrement, c’est quand même la grande aventure : accepter de devenir des pigeons dans le paysage. Agnès trouve que les vieux ressemblent à des pigeons, qu’ils se fondent dans le paysage. Vous voyez bien les vieux, on ne les distingue pas. On dit « un vieux ». J’imagine que quand j’aurai soixante-dix ans, je serai devenu un pigeon que personne ne remarquera. Je serai un peu vexé d’être devenu invisible, mais ce goût que j’ai pour le bonheur, je pense qu’il ne disparaîtra pas.
La mort ne vous fait pas peur ?
Non. Je m’en fous. On pense toujours la mort comme les enfants, on s’imagine se voyant ne plus y être. Mais quand on est mort, on ne le sait pas, on est seul à ne pas le savoir. Vous n’êtes pas témoin de votre mort. Ce qui est terrible, c’est avant. La maladie, la souffrance de bête de la maladie. Etre une petite bête traquée. C’est l’historien Henri Guillemin qui cite cette expression en parlant de Jeanne d’Arc. Il décrit l’arrestation de cette gamine de 17 ans. Elle a tenté de se suicider en sautant par la fenêtre, elle a été remise dans sa cellule, et il dit : « A ce moment-là, Jeanne, c’est une petite bête traquée. » Elle me fait pleurer cette phrase. Ça, ça me fait peur que la maladie fasse de moi une petite bête traquée. Mais à part ça, je n’ai peur de rien. Je vous le dis bien en face : de rien.
Jean-Pierre Bacri
(source : interview de Psychologies magazine, 2010)

*****


mercredi 20 janvier 2021

Petits miracles de l'hiver

 


Un paysage en noir et blanc : les champs, terre sombre avec ça et là des coulées de neige ; les sapins, de leur vert si foncé qu'ils semblent de noires silhouettes bordées de blanc sur le ciel gris : traits de fusain et hachures à l'encre. Comme un de ces dessins dans lequel le vide remplit davantage l'image que le plein, un vide dans lequel rien n'a disparu mais où tout se tient en-dessous, un peu caché, protégé des regards pour mieux se déployer plus tard. Ce vide n'est pas perte, mais au contraire un vide plein de promesses, un vide qui nous appelle à la patience et à l'espoir.

Un paysage épuré, réduit à l'essentiel : comme si la nature nous proposait l'espace lui-même comme sujet, nous rappelant que même nos lourdes maisons de pierre, nos toits de lauzes, ne sont pas grand-chose face à elle ; que nous sommes acceptés, certes, tant de générations se sont succédé ici, transformant la terre, traçant les limites et les sillons, construisant des abris, mais seulement aussi longtemps que nous lui laisserons la première place.

Corps détendus, cœurs paisibles

Les bruits aussi se sont effacés : les oiseaux sont partis vers le chaud, les arbres sans feuillage ne bruissent plus, même le petit ruisseau chantonne d'une voix toute frêle, comme s'il n'était plus qu'un souvenir de l'été... Dans la maison également le silence s'installe et les pièces en semblent moins encombrées ; au centre de ce calme, nous nous déplaçons plus doucement, comme si une grâce nouvelle nous emplissait.

Le bruit des pas diminue et pourtant nous avons l'impression de marcher sans effort particulier ; c'est un allègement, corps détendus et cœurs paisibles. Nous avançons dans nos journées avec une nouvelle aisance. L'espace du dehors s'invite au dedans : à l'aube et au crépuscule, la salle de méditation se déploie sans limites d'une respiration ample et profonde, la grande respiration de l'univers, que nous accompagnons sans même y penser. Nous sommes participants du monde, parties prenantes de cette nature qui nous entoure ; ici même, tout effort est aboli, nous sommes à notre juste place.


Sans heurts et sans bruits

Moi qui d'ordinaire remplis les murs de couleurs et de soleil, en ce creux de l'hiver, je me laisse flotter dans ce blanc, je me laisse porter par le silence. Nous n'avons pas besoin de parler, sans pourtant retenir nos paroles ; nous vivons en harmonie dans un espace familier et pourtant changé par l'hiver, par la brume, par cette grâce fragile et forte à la fois qui nous enveloppe et nous guide dans des journées pleines mais tranquilles.

« Soyez sans affaires », a dit un moine chinois, il y a longtemps : peut-être avait-il lui aussi contemplé cet espace sans trace où tout se fait sans heurts et sans bruits ; où aucune chose n'est plus séparée de nous, car nous ne sommes plus séparés du monde. Alors rentrer le bois, méditer, cuisiner ou marcher dans la forêt deviennent de petits miracles, tout en joie et en douceur.

Ces jours si larges, si spacieux

C'est vrai, cela ne durera pas : demain le monde nous bousculera, l'orage grondera, le poêle refusera de prendre et l'une de nous commencera à grommeler : c'est toujours moi qui... Le bruit, l'agitation, mais aussi les rires, l'odeur du plat qui cuit dans le four, les chants du matin empliront à nouveau le lieu. Ce sera différent, ce sera bien. Mais aujourd'hui, et tous ces jours passés si larges, si spacieux, nous auront apporté tous ces petits miracles que nous garderons dans nos cœurs aussi tranquilles que les grandes forêts, là-bas, dormant sous la neige.

Joshin Luce Bachoux

*****

mardi 19 janvier 2021

Souhaits !

 

"Puissé-je être assez réceptif pour me modifier et faire de réels progrès. Puissé-je être capable de développer la force et le courage de combattre les aspects illogiques de ma nature. Puisse ma volonté devenir plus forte pour intégrer les différents éléments d’une vie harmonieuse. Puisse mon caractère être celui de la sagesse, de la pureté et de la sainteté."

Swami Veetamohananda


******



D'où vient la déception ?

Un chat ne sourit pas quand il est en télétravail !


"La déception est juste l'action de votre cerveau qui se réajuste à la réalité après avoir découvert que les choses ne sont pas comme vous le pensiez."

-Brad Warner

*****

dimanche 17 janvier 2021

Comment ouvrir les yeux au quotidien

 


1. Respirer, s'arrêter

Quand je photographie, je suis ici et maintenant, présente à ce qui m'est donné de voir et de goûter. Il est bon de prendre des temps de respiration, de se préserver des moments dans la journée où l'on s'arrête. Même dans un quotidien surchargé, c'est possible. Dans une file d'attente, par exemple, on peut soit attendre passivement, soit regarder ce qu'il y a autour de soi. Cette présence au présent était pour moi un combat quand mes enfants étaient petits : en leur donnant le bain, j'avais envie d'être avant ou après, partout sauf là, devant la baignoire ! Mais c'est un combat qui mérite d'être mené.

2. Changer de lunettes

Reprenons l'exemple de la file d'attente : ce temps mort qui agace, comment peut-on le vivre autrement ? À quoi peut-on s'ouvrir dans cette situation qui ne nous convient pas ? Comment opérer cette bascule vitale ? Choisir de voir le verre à moitié plein, plutôt qu'à moitié vide, est un véritable choix qui demande de la volonté. Je sais de quoi je parle puisque je suis une râleuse née !


3. Convertir son regard

Finalement, c'est une question de conversion du regard. Tout l'enjeu est de voir au-delà de ce que l'on voit. Une poubelle, par exemple, est un objet qui est a priori moche et repoussant. Mais l'on peut repérer les couleurs, les lignes et les ombres. Ou une tache sur le sol : elle peut avoir une forme de coquillage ou de visage. Cette capacité d'émerveillement permet de trouver l'extraordinaire dans l'ordinaire. Voir le beau dans le quotidien, c'est aussi ne pas perdre la foi dans les temps d'épreuve, de souffrance et de difficultés. C'est une grâce à demander que de croire qu'il existe du beau et du bon dans chaque homme et dans chaque situation, que Dieu est toujours là, à nos côtés.

4. Se décentrer

Il est difficile, voire impossible, de voir la beauté autour de soi si nous restons centrés sur nous-même. Selon moi, il n'y a pas de meilleure école pour se décentrer que la louange, cette attitude qui consiste à s'émerveiller des merveilles de Dieu et des autres.

Marine de Villepin

(source : La Vie)

*****

samedi 16 janvier 2021

« Faites confiance à zazen »

 


A son retour du Japon, en 1947, Karlfried Graf Dürckheim propose à l’homme occidental ce

qu’il appelle : « la Voie de l’action ». Il s’agit d’une introduction à la connaissance du Zen.

Graf Dürckheim ne voit pas le zen comme étant un phénomène historique culturel asiatique. Il

voit le zen comme étant la source d’expériences universellement humaines.

La sobriété de la pratique de zazen, l’attention portée au corps que l’homme EST (IchLeib), lui

semblent particulièrement bénéfiques pour l’homme occidental.

Son premier ouvrage, Le Japon et la culture du silence (1), édité en 1947, a connu un succès

d’autant plus étonnant que l’Allemagne, comme la plupart des Etats européens, sortait à peine et

avec peine de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans cet ouvrage, qui résume son

expérience japonaise, l’expression le silence intérieur évoque un état d’être délié de l’inquiétude

latente, de la peur souterraine qui avaient gouverné le vécu intérieur de millions d’être humain

tout au long de ce conflit.

 

Si je rappelle cette tragédie c’est parce qu’aujourd’hui, la pandémie étendue sur la terre entière

plonge une multitude de personnes dans la même détresse intérieure : l’angoisse et les états qui

l’accompagnent. Et que, aujourd’hui, le Kanji « zen » a pris place dans la plupart des

dictionnaires (ce qui était loin d’être le cas dans les années 1950).

L’exercice appelé zazen ne doit pas être entendu comme pouvant prendre place dans l’ensemble

des thérapies pragmatiques dont le but est de guérir LE moi qui souffre. Par contre, zazen est un

exercice qui a pour but de guérir DU moi, de l’identification au seul niveau d’être qu’est l’EGO,

laquelle est la cause de bien des souffrances, physiques et psychiques, dont l’angoisse. La visée

centrale du zen est la découverte empirique de notre vraie nature en tant qu’être humain, notre

nature essentielle, laquelle n’est pas l’ego. Notre vraie nature est le domaine du calme, du silence

intérieur, de la paix intérieure que les représentants des écoles de sagesse, tant en Orient qu’en

Extrême-Orient et en Occident envisagent comme étant le plus grand bien auquel l’homme

puisse accéder.

 


Mais comme Epictète au premier siècle de notre ère, les maîtres zen ajoutent que « afin d’atteindre ce 
plus grand bien, l’homme doit s’efforcer ».

Afin d’assumer, au mieux, ce qui aujourd’hui trouble l’âme, nous sommes donc invités à nous

efforcer ; par exemple à pratiquer l’ascèse qu’est zazen quotidiennement. C’est ce que Graf

Dürckheim nous propose. C’est ce que le maître zen Hirano Katsufumi Roshi, qui nous fait

l’honneur de venir au Centre depuis plusieurs années, nous propose : « Faites confiance à

zazen »

 

Une difficulté, de nos jours, est l’amalgame qui est fait entre zazen et méditation. Zazen est

différent de ce que nous entendons ordinairement par méditation.

Tout d’abord « Il y a 1000 et une façons de méditer mais il n’y a qu’une façon de faire zazen ! »

Lorsque vous avez la chance de voir un maître zen pratiquer, le questionnement mental —de

quelle façon faire zazen— laisse place à cette réponse qu’est le témoignage. Le maître de

l’exercice, à travers sa manière d’être là, assis, devient le modèle d’un chemin que chacun se doit

de tracer lui-même ; parce que zazen n’est pas un chemin à suivre mais un chemin à tracer

corporellement (Leiblich).

« Lorsque vous pratiquez zazen, le corps prend la forme du calme ».

 

Autre difficulté pour l’homme occidental qui s’identifie à l’idée ... Moi je crois, que je suis, ce

que je pense que je suis... est d’apprendre que « On ne pratique pas zazen avec le mental ! » et

que « zazen est un exercice corporel !»

Dans son Dictionnaire philosophique (2), André Comte-Sponville décrit l’exercice appelé zazen

comme étant « Jouer le corps (qu’on est) contre l’ego, la respiration contre le mental,

l’immobilité contre l’agitation, l’attention contre l’emportement ».

C’est un bon abrégé de ce qui vous est proposé au Centre Dürckheim depuis quarante ans.

Arriver à assumer plus calmement, plus sereinement, les événements qui se présentent n’est pas

une fuite du réel mais participe au processus de maturation qu’est notre vie en tant qu’être

humain.


Jacques Castermane

(1) Le Japon et la culture du silence —K.G. Dürckheim —Ed. Le courrier du livre

(2) Dictionnaire Philosophique —A. Comte-Sponville —Ed. Puf ; page 620

***********

vendredi 15 janvier 2021

Deux mains sont des présents !


Le secret essentiel de l'art, c'était la faculté de toucher du bout des doigts l'essence de la maladie, de mesurer son intensité et savoir le centre vital d'où elle rayonnait. [..] Pour rendre les minuscules antennes tactiles capables de sentir tous les nerfs de l'organisme et de répondre pour ainsi dire à leur appel, le praticien devait, en vérité, sortir de son propre corps et pénétrer dans celui du patient.

Joseph Kessel
Les mains du miracle
***
*

En vol...


Même pour le simple envol d'un papillon tout le ciel est nécessaire.

Paul Claudel

***
*

 

Une musique pour s'envoler



***
*

jeudi 14 janvier 2021

Capter l'énergie...

 


- A la lettre E de votre dictionnaire, il y a le mot émerveillement, qu’il nous faut réapprendre à pratiquer. Qu’est-ce qui vous a émerveillé, vous, aujourd’hui?
Christophe André : "Rien de particulier aujourd’hui, parce que, dans l’émerveillement, il y a quand même le fait de se sentir bouleversé. Comme lorsque je découvre au hasard d’une lecture les pensées merveilleuses d’un poète ou d’un philosophe en me disant que c’est fou que le cerveau d’un être humain puisse produire des choses aussi lumineuses. Mais plusieurs faits m’ont réjoui. Le beau ciel de ma Bretagne, avec tout à coup de magnifiques nuages de toutes les couleurs, la marée qui monte… J’aimerais vous raconter une anecdote personnelle. J’avais un maître en matière d’émerveillement, c’était mon beau-père, la seule personne que j’appelais «le maître», car c’était un maître de bonheur. Il était très drôle, très inspirant pour moi, il avait une grande chemise en carton, que l’on a découverte à sa mort, sur laquelle il avait écrit: «Choses qui m’émerveillent.» Il découpait tous les articles de journaux, toutes les bonnes nouvelles scientifiques, médicales, les avancées de la société, les petits faits divers réjouissants, et je pense souvent à ces choses qui m’émerveillent les jours où je suis grognon, énervé, où j’ai tendance à ne voir que les égoïsmes, les rouspéteurs, les trucs qui vont de travers. Finalement, c’est une attitude à cultiver. Se rappeler tout ce qui va bien ici-bas, non pas pour oublier ce qui va mal, mais pour avoir la force de le regarder en face et l’énergie de le transformer. Il faut capter l’énergie des bonnes choses pour s’attaquer aux mauvaises. "



- A la lettre N de votre dictionnaire de sagesse, il y a Nietzsche, qui a écrit: «Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts.» Pourtant, vous n’aimez pas cette phrase. Pourquoi?

Christophe André :
- Elle n’est pas généralisable à tous et, d’ailleurs, il ne parlait que pour lui et pas pour tous les humains. Je pense qu’on peut se sortir de cette crise par le haut à condition que le plus grand nombre d’entre nous fasse l’effort de réfléchir à ce qui n’est plus possible dans nos façons de vivre: les voyages incessants, les égoïsmes nationaux, cette obsession de sauver des vies au lieu de sauver des existences… Faire gagner quelques années de vie aux anciens en massacrant l’existence à venir des plus jeunes, on ne peut pas continuer comme ça sans réfléchir à ce qu’on fera lors de la prochaine pandémie. On doit se poser ces questions si l’on veut justement devenir plus forts.

Christophe André
Source : l'Illustré
*****************

mercredi 13 janvier 2021

L'enfer, c'est les autres... oui mais en nous !

 


«Nous sommes enclins à accepter les choses telles qu'elles sont tant que cela va comme nous voulons ; mais dès que se présente quelque chose qui sort de notre système de valeurs, nous le rejetons. Nombreux sont ceux qui, connaissant la pratique de l'acceptation, se pavanent en disant : « Oui, j'accepte ce qui est, tel que c'est, ici et maintenant », alors même qu'ils n'ont rien accepté du tout. Tout ce qu'ils ont accepté, ce sont leurs illusions. Si l'acceptation leur fichait une grande claque en pleine figure, ils ne la reconnaîtraient même pas.
Lorsque nous acceptons ce qui est, nous devons l'accepter à tous les niveaux, depuis l'essence la plus subtile et sublime jusqu'aux niveaux les plus grossiers de notre ombre, y compris notre rage réprimée, nos frustrations, notre cruauté, notre déni, etc. Nous prétendons vouloir la réalité, Dieu, la liberté, mais nous ne voulons pas regarder en face les tendances inhumaines qui demeurent en nous : la vengeance, la violence, l'agressivité.
Et pourtant, il faut bien que nous les considérions.
Lorsque nous commençons à explorer notre ombre, c'est l'enfer. Mais ainsi que le disent tous les mythes, c'est le fait d'apprivoiser les démons qui permet aux héros de survivre au monde souterrain et de revenir au monde supérieur.
Apprivoiser les démons signifie voir, connaître et accepter ce qui est.
Tôt ou tard, chacun de nous devra cartographier son propre monde souterrain pour entreprendre le voyage chamanique du démembrement et de la résurrection.
Apprivoiser les démons, c'est être à l'aise avec le fait même qu'ils existent en nous.»
Lee Lozowick
******

mardi 12 janvier 2021

Sur les pas de Edouard Cortés pour "ensylvaner" le monde

« Rien que l'arbre ! » C'est d'une citation trouvée chez Rostand qu'a jailli l'étincelle - Cyrano de Bergerac, à l'agonie, n'accepte pour tout appui qu'un tronc. Édouard Cortès décide de lui emboîter le pas. Pour sauver sa peau, un matin de février 2019, il file vers une forêt du Périgord noir qu'il connaît comme sa poche depuis l'âge des culottes courtes. Quelques mois plus tôt, il y a repéré un chêne dans lequel il construit une cabane, un perchoir qui offre refuge et apaisement. Il s'en persuade : c'est en concrétisant un rêve d'enfant qu'il pourra soigner une blessure d'adulte. Et nous voici donc, en ce jour d'hiver humide et glacial, à suivre Édouard Cortès sur le sentier qui mène à sa thébaïde cachée dans une chênaie du Lot. Vers le sud, on aperçoit à l'horizon les contreforts de la vallée de la Dordogne. Plus à l'est, le causse Corrézien, cousin de celui que nous arpentons, l'un de « ces petits pays pauvres » et sauvages qui ont gardé leur authenticité. Casquette sur la tête, silhouette trapue et volontaire, l'homme qui marche devant nous dans le froissement des feuilles mortes a parcouru le monde avant de courir les bois.

 Prendre de la hauteur

En fidèle complice de Sylvain Tesson qui est de ses amis, il a sillonné le Caucase, roulé en 2 CV jusqu'au Viêt Nam, marché vers Jérusalem, traversé caméra à l'épaule les crêtes et les vallées d'Afghanistan. Un matin, sur les bords de la Loire, il se voit offrir un boulot saisonnier de berger. Le pâtre y trouve du bonheur et décide alors, avec son épouse Mathilde, de faire le grand saut du retour à la nature : le nomade s'enracine dans le Périgord, où il élève bientôt une centaine de brebis caussenardes. Mais l'affaire tourne mal, soucis administratifs, dettes et découragement. La « tentation de la corde », comme il le dit abruptement, lui obscurcit l'esprit. En un dernier sursaut, il tente le retrait : prendre de la hauteur dans sa cabane. Et la voici qui apparaît, cette arche immobile, dans le fouillis des ramures dénudées par l'hiver, aussi modeste, évidente, accueillante et poétique que celui qui l'a construite. Une échelle de corde rafistolée, un solide plancher à 6 m du sol, et des vitres qui ouvrent à 360° sur l'océan des bois. Délicieux vertige. Au gré des bourrasques, le radeau tangue, mais on s'y sent en toute sécurité... La bouilloire chante sur le vieux réchaud à gaz, Édouard Cortès s'affaire tout en parlant comme un livre, hisse des baluchons aux cordes, prépare le thé, craque des noix. Les bois d'un cerf font office de patères. Un minuscule oratoire à David le Dendrite, un saint des forêts chez les orthodoxes, a été déposé sous le toit par l'écrivain. Sur les coffres fabriqués de ses mains et réchauffés des peaux de ses moutons, on s'assoit et devise joyeusement tandis que la buée des vitres ne laisse plus entrevoir que les mousses phosphorescentes des branches alentour. L'hiver rend les animaux discrets - nous apercevrons tout de même cinq chevreuils et un vol de palombes...

Comment vit-on trois mois seul dans une cabane perchée ?

É.C. J'ai ici un balcon sur les arbres, un avant-poste sur la beauté du monde. Le recours aux forêts rend possible le réveil de la vie intérieure. Car ce ne sont pas les merveilles qui manquent, mais notre regard qui manque à la merveille. Le lichen pousse là, il attendait mes yeux. La beauté est bien présente : il suffit que les humains décrochent de leur écran. Je me suis retrouvé avec une interrogation : si je ne peux plus tenir sur mes semblables, sur moi-même, sur une foi, que reste-t-il ? Le retour en forêt permet d'échapper à la vanité des hommes. J'ai vécu dans ma cabane l'une des plus grandes formes de la liberté, loin du regard des autres, à vaquer et à me doucher nu sur ma branche à 6 m du sol - les arbres ne jugent pas notre côté animal. J'ai tenu un journal de cabane, mon écriture y a aussi gagné une forme de nudité. Auparavant, j'avais quelques espoirs humains et quelques espérances divines, et j'ai perdu les deux. Même si je pense souvent que Dieu a continué de croire en moi quand je ne croyais plus en lui. Je citerai mon compagnon de route Bernanos : « La foi, c'est 24 heures de doute, moins une minute d'espérance » À un moment, il y a une cassure, une traversée des forêts sombres comme on en trouve chez Dante. Autrefois, on parlait d'acédie, cet épuisement du sens de la vie - notre burn-out contemporain - qu'ont connu aussi les Pères du désert ou les stylites sur leur colonne, saisis d'une grande nuit. J'ai essayé d'apprivoiser cette obscurité-là et d'y trouver l'étincelle d'un devenir. Les arbres m'ont permis la trouvaille.

Vous évoquez votre « enforestation » : en quoi consiste-t-elle ?

C'est un terme ancien issu des Eaux et Forêts - une administration dont La Fontaine fut d'ailleurs un maître - qui désignait le reboisement d'une parcelle en jachère. Chateaubriand a utilisé le mot comme une allégorie pour l'homme - j'ai eu ce désir de ré-enforester mon esprit et mon intelligence. Le recours aux forêts est vieux comme l'humanité. Il y a le Wanderer dans la culture germanique, le wild à l'américaine magnifié par Thoreau. Nous avons assez de racines latines et grecques pour avoir notre propre vocabulaire de sauvages ! Je suis lié au petit peuple traditionnel des forêts, bûcherons, colporteurs, charbonniers, mérandiers (qui façonnaient les tonneaux), feuillardiers (qui les cerclaient avec du châtaignier). Je ne me sens pas dans la forêt mais de la forêt. J'aime la sylve, du latin sylva (le bois), qui a aussi donné « sylvestre ». Je souhaite apporter le néologisme « ensylvaner » : ce qui pourrait nous offrir des perspectives dans ce moment un peu tragique de notre histoire, où la pandémie s'étend. Ou comment retrouver en forêt une respiration, éviter d'abîmer son regard dans le puits des réseaux sociaux : se noyer dans le vert plutôt que dans le sombre. Les coffres de ma cabane garantissaient des pâtes et des rillettes. Mais, dans mon adversité, j'ai eu recours à ce qui a été scandaleusement étiqueté « non essentiel » : j'ai posé mon regard sur l'écorce du chêne, tendu l'oreille vers le chant du loriot. J'ai accepté un peu d'inconfort et de froid, comme une manière de vivifier la vie, d'en retrouver la sève. Il m'a fallu arriver à 40 ans pour faire de mon enforestation un rite initiatique. J'avais toujours vécu dans le mouvement. Le défi de la stabilité au creux d'un chêne a été d'autant plus grand. J'ai été augmenté par l'immobilité : elle m'a permis, en étant un peu aux arbres, de retourner aux hommes.

Mais vous avez apporté la preuve que le retour vers la nature peut aussi comporter des risques...

Ayant vécu une enfance au rythme des déménagements continuels de ma famille - mon père était banquier -, j'ai trouvé un port d'attache entre le Périgord et les causses du Quercy, d'où sont originaires mes grands-parents des deux lignages. Dans cette forêt, je me sens de quelque part, j'ai le sentiment d'être chez moi, d'où la sensation du retour. Mais l'expérience d'y devenir berger a été le grand naufrage : mon idéalisme d'aller à la vie rurale - pour retrouver harmonie et unité - s'est heurté aux exigences administratives, au système indigne des prix bas compensés par les subventions, sans oublier l'énorme charge de travail qui pèse nuit et jour. Il m'est arrivé de dormir au milieu du troupeau à l'heure du premier agnelage, ça faisait partie de l'aventure. Seulement, quand il a fallu emprunter à nouveau pour construire la bergerie, le ressort a cédé, tout s'est effondré. Le sort actuel des paysans est dramatique. Leur dur labeur n'est pas récompensé, j'ai expérimenté le mépris social sournois qu'ils subissent. Et je partage l'analyse de Houellebecq sur cet énorme plan social invisible qui est à l'œuvre dans la paysannerie française. Le même sort guette désormais les forestiers : même processus d'industrialisation et de rendement à tout-va, au pays de Philippe le Bel, Colbert et Napoléon III, qui a longtemps eu une belle politique de préservation des forêts. Il faut relire l'Argent de Péguy ou la France contre les robots de Bernanos : le système a sa logique, celle du veau d'or qui pousse à la prédation et à la destruction. Or, l'homme n'est pas dans la nature mais de la nature. Des générations de paysans ont su ne pas scier la branche sur laquelle ils étaient assis. Ici, dans le Périgord noir, la forêt a repris du terrain : c'est un pays qui a peu souffert de l'agrochimie, sa relative pauvreté agraire l'a sauvé et permettra désormais de valoriser son or vert.

Comment la fréquentation des livres et la littérature complètent-elles la fréquentation des arbres ?


J'ai le chic pour choisir des métiers engagés qui ne rapportent guère : produire des nourritures, qu'elles soient terrestres ou spirituelles ! L'idéaliste Don Quichotte fait partie de mes amis. Mais j'aime aussi énormément Jack London, car il tire de ses divers et rudes métiers la sève de sa plume. C'est comme si mon épisode paysan m'avait donné plus de légitimité pour écrire, plus d'épaisseur aussi, l'impression que c'est la terre qui parle. J'y ai trouvé un peu d'or. Les arbres m'ont enseigné, mais je n'ai pas négligé pour autant la bibliothèque du milieu où j'ai grandi. J'aime la dimension du rêve chez Saint-Ex, ses récits d'aviation qui font toujours référence à l'enfance. La cabane perchée est aussi une démarche artistique et poétique. Pourquoi tant d'écrivains ont-ils cherché à nous rapprocher de l'arbre ? Victor Hugo se console auprès d'eux : « Toute idée humaine ou divine qui prend le passé pour racine a pour feuillage l'avenir. » Durant mes trois mois, j'ai lu et relu les très consolantes Pensées pour moi-même de Marc Aurèle, parce qu'il y a quelque chose de blessé dans la nature humaine. Et j'ai voulu trouver des mots pour m'apaiser sur le plan humain. J'ai arrêté de chercher une réponse purement spirituelle. Ma cabane n'est pas religieuse, même si elle a quelque chose qui touche à l'absolu, même si la lumière y tutoie le sacré. Je suis un être traversé par le doute et je suis heureux que mes certitudes soient sans cesse bousculées. J'ai été empoigné par cet arbre à la vie. Il m'a réconcilié avec l'idée qu'il puisse y avoir une clarté supérieure. J'ai souvent considéré que la grâce n'était pas pour moi. Mais dans le bruissement des feuilles, j'ai entendu ce qui peut être un souffle sous forme d'interrogation : n'est-ce pas pour toi aussi ? La question n'est pas résolue.

Diriez-vous que vous avez vécu dans votre cabane une forme de renaissance, une rédemption ?

J'ai vécu un hiver d'où tout à coup la sève a rejailli, un printemps sur mon âme et sur mon cœur. Pourtant, même si j'ai choisi la lumière, mon fil de funambule reste précaire. J'affectionne le mot rédemption, mais il est trop fort pour moi, je ne suis pas prêt à me l'accorder. J'ai souhaité au contraire apprivoiser ma fragilité, apprendre à être plus souple avec la vie. La Fontaine ou Hugo partent du minuscule pour aller vers l'universel. Grâce aux hannetons qui entrent la nuit dans la cabane, on peut sentir que l'arbre est enraciné. 
 
Dans la cabane a commencé à poindre une forme de quiétude 

 Ça m'a beaucoup appris. J'ai l'impression d'être désormais comme un arbre, davantage debout. Peut-être un peu tordu. Mais debout. Jusque-là, j'avais une vision écologique uniquement transcendante. J'ai découvert la richesse de l'écosystème forestier, la protection des systèmes vivants qui sont notre matrice. Ils nous donnent l'air pur, l'eau, la protection des sols. L'arbre, reflet de la beauté, est aussi le creuset de l'esprit. Il réunit la nécessité vitale, écologique, spirituelle et poétique.

Vous écrivez : « J'ai été profondément consolé par mon arbre. Mais le bonheur, n'est-ce pas accepter de n'être jamais absolument consolé ? »...

Je m'étais sans doute trompé sur la manière d'atteindre le bonheur. La beauté, pour le chatoiement qu'elle amène à l'âme, on en crève : on en veut toujours davantage ! La corde que je voulais me passer autour du cou il y a quelques années, j'en ai finalement fait une balançoire pour mes enfants... Il faut revenir à cette balançoire de temps en temps, à l'arbre pour s'y ressourcer. Je ne suis plus à la poursuite du bonheur. Dans la cabane a commencé à poindre une forme de quiétude. Je suis un rescapé du désespoir, qui a lutté pour trouver la terre ferme. Je crois à la « viridité » dont parlait sainte Hildegarde de Bingen, cette force et cette verdeur qui sont des cadeaux de la vie. Au digital, je préfère le végétal. Quand on a du chagrin avec soi-même, on peut s'en remettre à ce compagnon merveilleux qu'est l'arbre qui s'enracine, se tient droit et jaillit dans la lumière. Il est loin des algorithmes qui nous asservissent aux écrans et à l'immédiateté, qui détournent et volent notre attention : lui nous la rend ! Il est le plus fabuleux des antidotes. Une manière somme toute de reprendre le pouvoir.


À lire Par la force des arbres, d'Édouard Cortès, Équateurs, 18 euros. (source : La Vie)

A écouter : Vivre dans une cabane: le rêve d'enfant d'Edouard Cortès

***************