Un paysage en noir et blanc : les champs, terre sombre avec ça et là des coulées de neige ; les sapins, de leur vert si foncé qu'ils semblent de noires silhouettes bordées de blanc sur le ciel gris : traits de fusain et hachures à l'encre. Comme un de ces dessins dans lequel le vide remplit davantage l'image que le plein, un vide dans lequel rien n'a disparu mais où tout se tient en-dessous, un peu caché, protégé des regards pour mieux se déployer plus tard. Ce vide n'est pas perte, mais au contraire un vide plein de promesses, un vide qui nous appelle à la patience et à l'espoir.
Un paysage épuré, réduit à l'essentiel : comme si la nature nous proposait l'espace lui-même comme sujet, nous rappelant que même nos lourdes maisons de pierre, nos toits de lauzes, ne sont pas grand-chose face à elle ; que nous sommes acceptés, certes, tant de générations se sont succédé ici, transformant la terre, traçant les limites et les sillons, construisant des abris, mais seulement aussi longtemps que nous lui laisserons la première place.
Corps détendus, cœurs paisibles
Les bruits aussi se sont effacés : les oiseaux sont partis vers le chaud, les arbres sans feuillage ne bruissent plus, même le petit ruisseau chantonne d'une voix toute frêle, comme s'il n'était plus qu'un souvenir de l'été... Dans la maison également le silence s'installe et les pièces en semblent moins encombrées ; au centre de ce calme, nous nous déplaçons plus doucement, comme si une grâce nouvelle nous emplissait.
Le bruit des pas diminue et pourtant nous avons l'impression de marcher sans effort particulier ; c'est un allègement, corps détendus et cœurs paisibles. Nous avançons dans nos journées avec une nouvelle aisance. L'espace du dehors s'invite au dedans : à l'aube et au crépuscule, la salle de méditation se déploie sans limites d'une respiration ample et profonde, la grande respiration de l'univers, que nous accompagnons sans même y penser. Nous sommes participants du monde, parties prenantes de cette nature qui nous entoure ; ici même, tout effort est aboli, nous sommes à notre juste place.
Sans heurts et sans bruits
Moi qui d'ordinaire remplis les murs de couleurs et de soleil, en ce creux de l'hiver, je me laisse flotter dans ce blanc, je me laisse porter par le silence. Nous n'avons pas besoin de parler, sans pourtant retenir nos paroles ; nous vivons en harmonie dans un espace familier et pourtant changé par l'hiver, par la brume, par cette grâce fragile et forte à la fois qui nous enveloppe et nous guide dans des journées pleines mais tranquilles.
« Soyez sans affaires », a dit un moine chinois, il y a longtemps : peut-être avait-il lui aussi contemplé cet espace sans trace où tout se fait sans heurts et sans bruits ; où aucune chose n'est plus séparée de nous, car nous ne sommes plus séparés du monde. Alors rentrer le bois, méditer, cuisiner ou marcher dans la forêt deviennent de petits miracles, tout en joie et en douceur.
Ces jours si larges, si spacieux
C'est vrai, cela ne durera pas : demain le monde nous bousculera, l'orage grondera, le poêle refusera de prendre et l'une de nous commencera à grommeler : c'est toujours moi qui... Le bruit, l'agitation, mais aussi les rires, l'odeur du plat qui cuit dans le four, les chants du matin empliront à nouveau le lieu. Ce sera différent, ce sera bien. Mais aujourd'hui, et tous ces jours passés si larges, si spacieux, nous auront apporté tous ces petits miracles que nous garderons dans nos cœurs aussi tranquilles que les grandes forêts, là-bas, dormant sous la neige.
Joshin Luce Bachoux
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