mercredi 3 novembre 2021

L'esprit du Zen

 

Ce que le zen recèle « d’universellement » humain


C’est ce qui est proposé au Centre depuis son inauguration par K. G. Dürckheim il y a quarante ans.

Le pilier de la Voie tracée par K.G. Dürckheim à son retour du Japon n’est pas une théorie à propos du Zen, c’est l’exercice appelé Zazen (exercice à ne pas confondre avec ce qu’on entend actuellement par méditation).

Dans ses instructions Dogen Zenji (1) postule que : « Chercher à comprendre profondément le Zen n’est rien d’autre que pratiquer zazen ». Graf Dürckheim précise que cet exercice, zazen, n’a de sens que s’il est pratiqué dans « l’esprit du Zen ».

DANS L’ESPRIT DU ZEN !

Cette indication a souvent été et est encore souvent mal interprétée. Signifie-t-elle qu’il s’agit d’un Zen édulcoré, lénifié, réduit à un usage qui pourrait être annexé, sans trop les déranger, à différents secteurs de la culture occidentale ?

D’où la mise en place ici d’un Zen-laïque opposé à un Zen-chrétien ou d’un Zen dit moderne opposé à un Zen dit ancestral et donc suranné ! Un tel entendement ne peut que diviser et nous écarter du caractère universellement humain du Zen. Y aurait-il une respiration-chrétienne, une respiration-laïque, une respiration-moderne qui serait plus avantageuse pour l’être humain que celle qui, d’instant en instant s’organise et prend forme selon les intentions de la Vie, les intentions de l’être, les intentions de notre vraie nature ?

Lorsqu’il parle de l’esprit du Zen, Graf Dürckheim attire notre attention sur deux approches absolument différentes du réel : « L’esprit occidental PENSE le réel comme étant un ensemble d’objets ; L’esprit oriental VOIT le réel comme étant un ensemble de processus, un évènement ».


J’invite celles et ceux qui seraient embarrassés ou importunés par cette distinction à lire la préface de Christian Bobin pour un ouvrage sur l’art et la spiritualité au Japon (2). Voici quelques lignes de son avant-propos titré Métaphysique des bébés : « L’Occident s’en va depuis quelques temps voler aux Orientaux ce qu’il croit être leur “sagesse”. Dans ce pillage il le dénature, le change en cela seulement qu’il comprend : des techniques, des recettes, des savoirs ».

« En cela seulement qu’il comprend ! »

Le verbe comprendre est propre à la mentalité de l’homme occidental. Un maître de Kyudo (l’art du tir à l’arc), un maître du Chado (l’art qu’est la cérémonie du thé) n’enseigne pas un savoir ou un savoir-faire. Il n’invite pas ses disciples à comprendre quoi que ce soit. Un maître Zen partage sa connaissance. Partager sa connaissance est en lien avec l’expérience intérieure, le vécu corporel, le vécu intime de l’enseignant. Partager sa connaissance ne peut se faire que sur un chemin d’expérience et d’exercice ; le chemin est la technique — la technique est le chemin. Oui, mais c’est propre à la tradition orientale ? Non, observez, en Occident, l’enseignement proposé par un maître de danse ou un maître de musique. Il n’enseigne ni un savoir ni un savoir-faire ; lui aussi partage sa connaissance.

Hirano Katsufumi Rôshi, grâce aux sesshin qu’il anime Amérique et en Europe depuis plus de trente ans, a perçu l’écueil qui empêche les occidentaux de simplement et véritablement pratiquer zazen. Je crois pouvoir dire que cet obstacle est la difficulté de l’homme occidental de passer de l’usage de la conscience DE à l’usage de la conscience SANS de.

Voilà pourquoi, chaque fois qu’il est venu au Centre, Hirano Rôshi n’a cessé de répéter que :

« Il y a mille et une manières de méditer

mais il n’y qu’une façon de pratiquer zazen »

« On ne pratique pas zazen avec le mental »

« Zazen est pratiqué SANS but »

« Zazen est un exercice indubitablement corporel ».

Injonctions que je souhaite respectées et affirmées par les élèves du Centre qui proposent la Voie de l’action ; ce chemin à tracer qui exige que l’on reprenne tout à zéro. (3) Au Centre Dürckheim la question « Pourquoi pratiquer zazen ?» laisse place à la question « Comment pratiquer zazen ? ». Autrement dit, il ne s’agit pas de mentaliser zazen. Il s’agit d’exercer zazen, de se laisser imprégner physiquement par la technique afin de l’intégrer, de l’incorporer. L’incorporer c’est retrouver le calme intérieur, la paix intérieure, la simple joie d’être, symptômes de notre état de santé à l’origine.

Zazen ! Retour à la métaphysique des bébés ? Je suis tenté de répondre ... oui.

Jacques Castermane

(1) Lire : Hirano Katsufumi Rôshi : ENSEIGNEMENTS (recueillis par J. Derudder) (2) Préface de Christian Bobin dans “Comme le lune au milieu de l’eau” de Yoko Orimo - Ed. Sully (3) Voir rubrique « Pratiquer près de chez soi » sur le site du Centre : www.centre-durckheim.com