dimanche 10 juillet 2011

La cathédrale de verdure avec Philippe Mac Leod

La montagne luit comme une lampe, une flamme ou un chant qui s'élève. Midi la fait vibrer, en son vert tendre qu'un souffle puissant porte haut dans le bleu. L'altitude aussi a ses constellations, ses abîmes, ses monumentales démesures. Sous cet immense déploiement, cette prodigieuse effusion du vivant, comment ne pas ressentir avec joie le premier mouvement de la terre, qui est de s'élancer vers le haut, du plus obscur vers le plus clair, du plus dense vers le plus léger, un mouvement ascendant qu'ont suivi les plantes, les arbres, jusqu'à l'homme debout ?


Par son irrésistible élan, la montagne nous communique grâce et élévation. Cette masse énorme, soulevée comme une pâte, ne cesse de nous clamer ce pour quoi nous sommes faits. De ses innombrables flèches, elle nous indique la direction, l'axe, le sens qui nous anime du dedans. Malgré une apparente inertie, tout est mouvement dans ces reliefs déployés, tout est air, espace, comme un aboutissement du sensible, une sorte d'élargissement du monde, une ouverture radieuse avant de rejoindre l'infini qui nous appelle à travers un voile d'azur.


Au fond de l'étroite vallée où je progresse de merveille en merveille, un cirque dessine une abside aux puissantes nervures. Les derniers névés déroulent sur la pierre nue de longues nappes aux plis profonds. Le ciel s'accroche aux becs flamboyants comme des festons au soleil. Au bas de la muraille, d'immenses tentures colorées dégringolent de l'ombre froide. La flore à profusion s'y imprime, d'un trait fin, avec tous les animaux rassemblés, délicatement posés sur l'herbe, avant que la forêt ne recommence à bruire. Ils habitent ces montagnes comme un psaume de louange : ils chantent la vie, la lumière, les couleurs, l'air qui nous grise et vibre jusque dans nos chairs.


Parce que l'espace, ici, reste ouvert, à peine captif de la dentelle des crêtes, on a l'impression de mieux le saisir, vaste et tout proche à la fois, l'immense toit d'ardoise bleue nous ouvrant à la transparence la plus pure, celle qui nous habite, celle qui étincelle comme un faîte, un terme, à la pointe de chaque herbe, chaque arbre, chaque sommet.
Le soir, la pierre se coule dans le bronze. Le petit jour la colore de rose, de mauve, légère et presque irréelle comme la clarté qui monte dans les tremblantes verrières. Une pluie d'étoiles étire les murs dans la nuit, loin, indéfiniment, jusqu'au mystère étourdissant que percent les pics.



Un sang d'argent traverse la nef par le centre, comme dans la vision d'Ézéchiel, un fleuve de cristal, de lumière et de joie jubilante, un chant pur, un cri de vie, tous les vertiges des sommets qui descendent laver la roche, féconder la terre où tout ce qui lève retourne au ciel.
Nul ne songerait à dresser une charpente. Les arbres qui peuplent les pentes n'y suffiraient pas. Et qui pourrait jusque-là hisser la tuile vernissée, le blason, l'angelot inanimé ? Dès les premières clartés, les rayons serrés du soleil couvrent l'édifice d'un or fin et frémissant, une paille soyeuse, un chaume aérien. Le bleu qui s'étend peu à peu devient si dense qu'on entend le silence sonner, un même écho à travers l'azur qui s'ouvre intensément. Clameur du milan qui s'élance ! Tout l'espace sur une aile ! Le cantique qui monte d'une seule voix, porté à bout de bras, à bout de branches, de ses milliers de notes vertes parsemées sur le bleu, retentit à la pointe des cimes étincelantes, où nous fait signe la blancheur d'un éternel éclat.

PHILIPPE MAC LEOD est écrivain, il a publié plusieurs recueils de poésie. Son dernier ouvrage, l'Infini en toute vie, est paru aux éditions Ad Solem.
Source : La Vie