« Nous sommes sans arrêt confrontés à des séparations. La vie a une main qui plonge dans notre corps, se saisit du cœur et l’enlève. Pas une fois, mais de nombreuses fois. En échange, la vie nous donne de l’or. Seulement, nous payons cet or à un prix fou puisque nous en avons, à chaque fois, le cœur arraché vivant…
Chaque séparation nous donne une vue de plus en plus ample et éblouie de la vie. Les arrachements nous lavent. Tout se passe, dans cette vie, comme s’il nous fallait avaler l’océan. Comme si périodiquement nous étions remis à neuf par ce qui nous rappelle de ne pas nous installer, de ne pas nous habituer. La vie a deux visages : un émerveillant et un terrible. Quand vous avez vu le visage terrible, le visage émerveillant se tourne vers vous comme un soleil.
Il reste d’une personne aimée une matière très subtile, immatérielle qu’on nommait avant, faute de mieux, sa présence. Une note unique dont vous ne retrouverez jamais l’équivalent dans le monde. Une note cristalline, quelque chose qui vous donnait de la joie à penser à cette personne, à la voir venir vers vous. Comme la pépite d’or trouvée au fond du tamis, ce qui reste d’une personne est éclatant. Inaltérable désormais. Alors qu’avant votre vue pouvait s’obscurcir pour des tas de raisons, toujours mauvaises (hostilités, rancœurs, etc.), là, vous reconnaissez le plus profond et le meilleur de la personne. Toutes ces choses impondérables qui rôdent dans l’éclat d’un regard, passent par un rire, par des gestes, qui faisaient que la personne était unique, reviennent à vous par la pensée.
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Entretien avec Christian Bobin
extrait du numéro spécial de La Vie : "Vivre le deuil"