mercredi 25 novembre 2020

Aux jeunes et ceux qui viennent après nous.

 (Ce texte reprend une chronique parue dans le magazine Kaïzen)


« Il ne suffit pas d’avoir de belles idées , d’être sincère et dynamique pour contribuer à un monde meilleur. Il faut, et c’est une vérité largement méconnue, avoir les moyens intérieurs de ses bonnes intentions »
La « spiritualité « c’est le lien. Plus précisément, une maturité intérieure qui permet de se vivre et concevoir de moins en moins comme une entité séparée, possédante et contrôleuse de son petit monde mais comme une forme, à la fois unique et totalement interdépendante de l’ensemble dont elle fait partie. Cet ensemble comprend non seulement le présent dans toutes ses composantes, humaines, sociales, naturelles, environnementales mais aussi le passé et l’avenir.
Une culture saine honore la mémoire des ancêtres. Sans nostalgie mais avec gratitude pour ce qu’ils ont permis. Il est également sain de se pencher sur les erreurs passées , pas tant pour cultiver de tardives repentances que dans l’intention d’éviter que ces erreurs se reproduisent. Et une culture saine se vit comme responsable de l’avenir, cet avenir qui, par définition, n’existe pas encore mais que pourtant nos actes d’aujourd’hui préparent, du moins pour une grande part. 

S’il est bien une attitude que l’on pourrait qualifier d’anti spirituelle, c’est celle qui a pour devise « après moi le déluge » , prétendant ne se déployer que dans un présent sans racines et sans perspective. Le présent conscient inclut le passé dont il est la conséquence et se soucie de l’avenir qu’il prépare. L’ego dans tout son aveuglement, c’est notamment cette incapacité de concevoir quoi et qui que ce soit en dehors de soi et après soi. Ou, pire encore, le concevant, le fait de ne pas s’en soucier. Cet égocentrisme se manifeste comme toujours à l’échelle individuelle comme à l’échelle collective. Sommes nous bien conscients , au fur et à mesure que nous avançons en âge, que nos enfants et héritiers auront à vider notre maison, qu’ils devront s’occuper de nos affaires dans l’état où nous les leur laisserons ? Bien entendu ce qui vaut pour nos habitations et nos papiers vaut pour la maison -planète …

Le fait est que la vie ne se réduit pas à « ma » vie. La vie est un continuum de changement auquel je participe de manière certes éphémère mais significative puisque mes actes ont des conséquences dont certaines seront assumées par ceux qui viennent après moi.
En tant qu’auteur et enseignant ayant passé la soixantaine, transmetteur, tant bien que mal, de valeurs à mes yeux essentielles, je suis toujours très touché de voir venir à nous des jeunes. J’étais moi même jeune quand j’ai rencontré un certain nombre d’ainés essentiels qui devaient orienter la suite de mon existence. S’ils ne sont physiquement plus parmi nous , j’avance chaque jour conscient de tout ce que je leur dois, conscient de ma responsabilité de faire en quelque sorte fructifier leur héritage en lui étant fidèle. Ou serai je et que serai je, s’ils n’avaient pas en leur temps oeuvré et témoigné ? En regardant les jeunes avec lesquelles je suis en lien, je ne perds jamais de vue qu’ils vieilliront avec ce que nous leur aurons légué.
A cet égard, il y a, bien sûr, l’état dans lequel nous allons leur laisser la planète. Faut il être insensé pour dorénavant ne pas voir que là est l’urgence des urgences,… D’autres en parlent ici et ailleurs mieux que moi. Et puis, il y a ce que nous allons leur léguer en termes de qualité d’être. 


Si nous pouvons nourrir de légitimes craintes, et pourquoi pas aussi quelques espoirs en la capacité de rebond et de réveil de l’humain, nous ne savons exactement pas de quoi demain sera fait, jusqu’à quel point, dans quelle mesure, les temps seront difficiles. Et quelle que soit la teneur des défis qui viendront, ils seront relevés par des êtres humains qui y feront face non seulement avec leurs compétences, leurs idées et leurs valeurs, mais aussi et avant tout avec leur qualité d’être.
Car il ne suffit pas d’avoir de belles idées, d’être sincère et dynamique pour contribuer à un monde meilleur. Il faut, et c’est une vérité largement méconnue, avoir les moyens intérieurs de ses bonnes intentions. Lesquelles risquent sinon, d’être vite compromises par les luttes de pouvoir et autres mesquineries qui savent s’introduire partout. Ceux qui seront là après nous devront composer avec ce que nous aurons fait - ou pas fait …- et ils se souviendront aussi , plus ou moins consciemment, de ce que nous aurons été, de qui nous aurons été. La manière dont ils répondront aux enjeux qui se présenteront à eux en dépendra dans une large mesure.

Gilles Farcet

***********