mardi 3 juin 2025
Acte d'être
dimanche 13 avril 2025
« Promis, je te serrerai dans mes bras »
Elles n’ont pas encore 18 ans. Je leur en donnerais plus pourtant. C’est difficile d’évaluer l’âge de cette jeunesse. Elle emprunte ses tenues, ses manières, ses préoccupations à plus âgées, comme on pioche dans l’armoire d’une grande sœur.
Elles s’avancent côte à côte toutes les deux, dans l’allée centrale de la salle de conférences de leur lycée, même démarche, même sac sur le dos. L’une grande, blond platine avec des racines sombres, Dr. Martens aux pieds. L’autre petite, menue, brune, les cheveux courts, tout de noir vêtue. Leurs pas disent une hésitation, une envie de renoncer. Faire demi-tour. Et continuer comme si de rien n’était. Mais leur regard laisse voir autre chose. Une détermination. Une occasion qu’elles ne veulent pas laisser passer. Comme on saisit une bouée pour ne pas couler.
À leur façon de se tenir proches et à la liberté avec laquelle elles parlent l’une devant l’autre, on pourrait penser qu’elles sont amies. Mais elles ne se connaissent pas. Elles ignorent jusqu’à leur prénom. À peine se sont-elles croisées une fois dans les couloirs. C’est le même élan qui les a poussées à venir me voir, en même temps. Un instinct de survie.
Que se passe-t-il dans cette génération ?
Arrivées à ma hauteur, la plus grande se lance, sans préambule. Ses mots et la gravité dans sa voix sont bien loin de l’enfance. Elle parle sans s’arrêter. Vanne ouverte qu’elle ne veut pas refermer avant d’avoir tout éclusé. Ou peut-être ne peut-elle pas maintenant qu’elle a commencé. Elle dit son mal-être. Le vide en elle, que rien ne peut remplir. « J’ai perdu le goût de la vie, je ne sais pas comment. Je n’étais pas comme ça quand j’étais petite. Je rigolais tout le temps. Ça a changé, je ne sais pas pourquoi. Personne ne comprend. Personne ne me comprend. »
Elle marque à peine les points, enchaîne les phrases. « Mes parents me disent que ça va passer, qu’il faut que je pense à autre chose, que je me secoue. Mes copains me disent que j’ai qu’à sortir, faire la fête. J’essaie mais je ne peux pas. Je n’y arrive pas. Je ne sais pas quoi faire. » Sa voix tremble mais ses yeux sont secs. Il n’y a pas de larme au-delà du désespoir. C’est trop tendre, une larme.
La seconde fille parle à son tour. « Moi c’est pareil, enfin non pas tout à fait. Je ne vois pas où je vais. J’ai l’impression que tout est bouché. Je n’arrive pas à respirer. Je n’arrive pas à vivre. Chaque matin, je me fais violence pour aller en cours, pour m’accrocher à la vie. Mais chaque soir quand je rentre… » Dans un murmure elle confie ses idées noires. J’entends les mots avant qu’elle ne les prononce.
Que se passe-t-il dans cette génération ? Quel voile sombre recouvre leur fougue, leurs rêves ? Quelle horde de détraqueurs s’est abattue sur tous ces jeunes pour aspirer leur vitalité, leur joie, vider leur âme ?
Elle termine dans un sanglot. « Le pire c’est que je n’ai personne. Je n’ai presque aucun ami. Et ma famille… Moi, tout ce que je veux, c’est qu’on me prenne dans les bras et qu’on me serre fort. » Alors je fais un pas et je la serre contre moi. Désarmée par ce qu’elle vient de confier.
Une grande leçon d'humanité
La fille blonde reste debout à côté de la brune, sans bouger. Elle tripote le piercing planté dans sa lèvre inférieure. Je me demande si ça fait mal. Puis elle rompt le silence et dit avec rugosité : « Moi, je déteste qu’on me serre dans les bras. Vraiment je déteste. C’est comme ça, je ne suis pas tactile. »
Elle marque une pause, respire et reprend : « Mais j’ai entendu ce que tu as dit. Pour toi c’est important, j’ai compris. On est dans le même lycée, je suis en terminale 2. Alors si un jour ça ne va pas, si tu plonges, tu viens me voir. Regarde-moi bien, n’oublie pas mon visage. Tu viens me voir et promis, je te serrerai dans mes bras. De toutes mes forces. »
Je recule et m’éloigne. Un peu sonnée. Je contemple ces deux jeunes filles qui m’ont donné sans le savoir, au milieu de leur désespoir, une grande leçon d’humanité. Un cœur qui écoute et s’ajuste à la souffrance de l’autre. Pour le consoler. Rien n’est plus beau.
Anne-Dauphine Julliand
Source : La Vie
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samedi 27 janvier 2024
L'œuvre de la maturité
"Dans l'avancée de la maturité et l'approche de la vieillesse, il est un ... phénomène qui frappe : le rajeunissement progressif du cœur et de l'âme.
Depuis toujours, je pressentais que la nature ne pouvait pas vouloir la déchéance de l'homme. Aujourd'hui, je le sais.
Si la deuxième moitié de l'existence ne recelait pas un projet, nous serions éliminés - comme le sont certains animaux - après le cycle de la fécondité.
Ce projet qui nous est confié est invisible à l'œil.
J'aurais la tâche légère si je me plaignais de maux de dents : même si j'étais la seule à pouvoir vérifier mes dires, personne ne douterait de ce que j'avance. Mais si j'affirme que mon âme et mon cœur rajeunissent de jour en jour, je ne serais pas étonnée que certains n'y voient qu'une licence poétique. Ou un sujet d'agacement. Et pourtant!
Dans la jeunesse, l'âme n'est pas jeune. Elle est percluse du rhumatisme des modes, plie sous les idéologies, les normes en vigueur. L'Alzheimer juvénile la ronge : l'oubli de tout ce que l'enfant savait encore sur le sens profond des choses. La jeunesse transbahute tous les préjugés qu'on lui a inculqués, les jugements féroces, les catégories assassines. Elle est souvent dure comme le monde qui l'accueille. Sa lumière est sous le boisseau.
Ce long travail de la libération de l'intelligence, ce déminage du terrain après tant d'années d'occupation étrangère sont l'œuvre de la maturité. Quand l'obligation de faire un avec sa génération n'est plus une question de survie, on peut enfin écarter les œillères, laisser venir la clarté. Comme dans les grandes forêts où l'automne, en dépouillant les branches, donne le ciel à voir.
"Il faut toute une vie, écrit Jean Sulivan, pour élargir son cœur, ses opinions, pour conquérir sa liberté spirituelle."
Toute une vie.
Voilà une chance à ne pas manquer."
Christiane Singer - N'oublie pas les chevaux écumants du passé
Image: Portrait d'un vieillard, de Rembrandt
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mardi 14 mars 2023
Humainement homme
lundi 26 décembre 2022
Suivre l'appel
“Amen Amen , je vous dis, quand tu étais plus jeune, tu t’habillais et tu allais et venais ou tu voulais, mais quand tu auras vieilli, tu tendras les mains, et un autre t’habillera, et te conduit où tu ne veux pas.” … Et après avoir prononcé cela, il lui dit : accompagne moi!”
Evangile selon Saint Jean, ”Evangiles”, nouvelle traduction de Frédéric Boyer, Gallimard
Ce moment de l’Evangile n’est pas un passage “ de Noel” et il me touche toujours autant.
Comme toujours avec ces textes il peut être compris de tant de manières, à tant de niveaux différents, depuis le niveau littéral (allusion au futur martyre de Pierre) jusqu’à une toute autre perspective, celle de l’intériorité, l’une n’excluant d’ailleurs pas l’autre. Pierre, le disciple sur lequel le Christ s’appuie et qui pourtant connaîtra bien des résistances, doutes, « reniements »
Accompagner le Christ, autrement dit suivre la voie a un degré d’engagement radical c’est bien abdiquer une illusion de liberté propre à « la jeunesse » pour avec la maturité consentir de plus en plus à ne rien contrôler et à aller là ou l’égo ne veut surtout pas, à aucun prix, aller .
Une invitation bien peu mièvre et qui n’a guère de chances d’être très populaire, quelle que soit l’époque…
Gilles Farcet
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dimanche 6 décembre 2020
Un avenir pour la jeunesse ?
mercredi 25 novembre 2020
Aux jeunes et ceux qui viennent après nous.
(Ce texte reprend une chronique parue dans le magazine Kaïzen)
Si nous pouvons nourrir de légitimes craintes, et pourquoi pas aussi quelques espoirs en la capacité de rebond et de réveil de l’humain, nous ne savons exactement pas de quoi demain sera fait, jusqu’à quel point, dans quelle mesure, les temps seront difficiles. Et quelle que soit la teneur des défis qui viendront, ils seront relevés par des êtres humains qui y feront face non seulement avec leurs compétences, leurs idées et leurs valeurs, mais aussi et avant tout avec leur qualité d’être.
Gilles Farcet
samedi 8 septembre 2018
lundi 20 novembre 2017
Que fais-tu grand-mère ?
Que fais-tu grand-mère ?
J'apprends la patience et l'ennui,
Le goût de l'instant, la joie de chaque jour,
J'apprends que la tristesse du cœur est nuage,
Et nuage aussi est le plaisir …
Que fais-tu grand-mère, assise-là, dehors, toute seule ?
Eh bien, vois-tu, j'apprends.
J'apprends le petit, le minuscule, l'infini,
J'apprends les os qui craquent, le regard qui se détourne.
J'apprends à être transparente.
A regarder au lieu d'être regardée.
J'apprends le goût de l'instant quand mes mains tremblent,
La précipitation du cœur qui bat trop vite.
J'apprends à marcher doucement,
A bouger dans les limites plus étroites qu'avant
Et à y trouver un espace plus vaste que le ciel.
Comment est-ce que tu apprends tout cela, grand-mère ?
J'apprends avec les arbres, et avec les oiseaux.
J'apprends avec les nuages.
J'apprends à rester en place et à vivre dans le silence.
J'apprends à regarder les yeux ouverts et à écouter le vent.
J'apprends la patience et aussi l'ennui :
J'apprends que la tristesse du cœur est un nuage,
Et nuage aussi est le plaisir :
J'apprends à passer sans laisser de traces, à perdre sans retenir
Et à recommencer sans me lasser.
J'apprends à me réjouir au début du printemps et à la fin de l'automne,
À voir un arc-en-ciel dans une goutte de pluie
Et une vie entière dans une gouttelette de soleil qui scintille sur une pierre.
J'apprends que les chemins se divisent et se perdent,
Que les regrets sont de petites pierres pointues qui blessent les mains qui les enserrent
Et qu'il est meilleur que nos mains restent ouvertes …
J'apprends mes erreurs, mes chagrins, mes oublis,
Et toutes les joies qui se faufilent, poissons d'argent dans la masse de notre vie.
Grand-mère, je ne comprends pas : pourquoi apprendre tout cela ?
Parce qu'il me faut apprendre à regarder les os de mon visage et les veines de mes mains,
A accepter la douleur de mon corps, le souffle des nuits et le goût précieux de chaque journée.
Par ce qu'avec l'élan de la vague et le long retrait des marées,
J'apprends à voir du bout des doigts et à écouter avec les yeux.
J'apprends qu'il n'est pas de temps perdu ni de temps gagné,
Mais que l'infini est là, dans chaque instant …
Cadeau trop souvent refusé dans le torrent des jours.
J'apprends qu'il faut aimer, que le bonheur des autres est notre propre bonheur,
Que leurs yeux se reflètent dans nos yeux et leurs cœurs dans nos cœurs.
J'apprends à marcher sur des sentiers étroits sans peur,
A regarder les montagnes qui se profitent au loin et que je n'atteindrai pas :
J'apprends les milliers de pas qui ont marché avant moi sur ces même sentiers.
J'apprends les vieilles traces et les jeunes nuages.
J'apprends qu'il faut se tenir prêt à partir quand le vent souffle.
Qu'on avance mieux en se donnant la main.
Que même un corps immobile danse quand le cœur est tranquille.
Que la route est sans fin, est pourtant toujours exactement là.
Et avec tout ça, pour finir, qu'apprends-tu grand-mère ?
J'apprends, dit la grand-mère à l'enfant, j'apprends tout simplement à être vieille.
Joshin Luce Bachoux
nonne bouddhiste:

samedi 3 septembre 2016
Lumière miraculeuse... avec Albert camus

Albert Camus,
Extrait de « Carnets I. — Mai 1935 – Février 1942.
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mercredi 11 mai 2016
Que reste t-il derrière les apparences ?
La Vie nous dévisage...
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mercredi 17 septembre 2014
A l'écoute avec Guy Gilbert
Il s'agit d'entendre leurs questions, même si vous ne savez pas répondre à tout. Nous devons leur dire que leur réussite s'accomplira lorsqu'ils feront réussir les autres : "Ta vie compte, mais, sans les autres, elle est bancale." Certains ont tout. D'autres moins.
Nous, les adultes, avons le devoir impérieux de les interpeller, de les mettre sur la route, de leur Indiquer des points de repère. Ils ont besoin d'entendre de notre part des paroles fortes, sans concession, les appelant au plus haut. Alors, cette fameuse "ére du vide" peut devenir l'ère, créatrice, du don aux autres.
C'est là la seule façon d'en faire demain des adultes debout et libres.
Guy Gilbert
Extrait de "Nos fragilités : comment les accepter et les surmonter"
(Philippe Rey, 2013)
Son association (Bergerie de Faucon)