mardi 4 octobre 2022

Maurice Nicoll, (2)

 (suite et fin du passage traduit - volume 2, "Self Observation")

Je m'autorise une remarque en introduction : les Psychological Commentaries font six volumes ; et l'assimilation d'un seul passage, comme celui là, transforme la relation à soi même. L'important n'étant pas d'avoir accès à un buffet abondant mais de digérer, de "faire soi" - " digest, assimilate , make it your own"- Swami Prajnanpad- ne serait ce qu'un seul aliment de grande qualité. 


Photo : Mr Gurdjieff observant les "mouvements". A droite, Maurice Nicoll. Au piano, Alexandre de Salzmann

"Comment puis-je vous prouver que commencer à ressentir les nombreuses influences du Travail est différent que d'être complètement identifié à l'existence ? 

Bien entendu je ne peux pas le faire, en tout cas à travers une argumentation. Je ne peux pas davantage vous prouver que ce Travail dit vrai. 

Si vous êtes complètement identifié à l'existence, mieux vaut ne pas tenter ce Travail. En fait, le Travail ne cherchera pas à vous atteindre. À ce moment-là vous êtes juste plongé dans l'existence et sa perspective. Si cela vous satisfait, alors pourquoi chercher une nouvelle compréhension, un nouveau sens à notre existence sur cette planète imparfaite et violente ? 

Ce Travail et pour ceux qui éprouvent avec une certaine conviction que l'existence ne peut pas être comprise pour ainsi dire par elle-même. Si toutes les expériences que vous vivez vous satisfont, si vous sentez que cette existence est tout ce dont vous avez besoin, si vous êtes parfaitement satisfait de vous-même, si vous êtes content de tout ce que vous avez expérimenté jusqu'à présent, alors, je le répète, pourquoi aller à la rencontre de ce Travail ? Par contre, si ce n'est pas le cas, il vous faut être assez intelligent pour faire le lien entre votre insatisfaction et ce Travail. Il vous faut commencer à réaliser que vos nombreuses insatisfactions ne sont pas exceptionnelles et entrevoir ce que le Travail a à vous dire au sujet de l'existence : comment tout arrive, comment votre être attire ce qui vous advient, etc. Sinon comment le Travail peut-il vous aider ?

Je voudrais que vous réfléchissiez à cela. C'est une idée très profonde. C'est tellement facile de devenir négatif, d’ imputer la faute aux autres et aux circonstances.… C'est la comédie habituelle de l'existence. Mais le centre magnétique amène une personne à sentir qu'il doit y avoir autre chose, qu’il existe une autre histoire , pas uniquement constituée d’émotions et de tragédies. Le problème est un problème intérieur. Sa solution commence avec l'observation de soi pratiquée selon des instructions précises.

 Aussi, à moins que vous puissiez vous observer vous-même, le Travail reste lettre morte. Afin de vous observer vous-même, il est nécessaire de réaliser que vous n'êtes pas un mais plusieurs.  Tant que vous ne pouvez pas voir les différents « je » en vous, vous ne pouvez pas sélectionner ou rejeter. Et sans le travail et la compréhension de l' objet du dit Travail, vous ne serez pas capable de faire le tri de manière juste. Par contre si vous le faites, de nouvelles influences commencent à pénétrer votre vie intérieure. Vous commencez à ressentir le début d'une nouvelle vie , une  vie nouvelle  et pleine de grâce. Si vous y prêtez l’oreille,  quelque chose commence à croître en vous. Si,  quand vous perdez contact avec cela, vous le savez,  en ressentez le manque et cherchez à le retrouver, alors cela va revenir. Pendant longtemps, et c'est inévitable, on va faire des aller retours entre l'ancien et le nouveau. C'est une question d'appréciation intérieure , en rapport avec cette chose étrange que l'on appelle la volonté.  La volonté, c'est comme c'est se tourner,  sans violence, dans une certaine direction , malgré les empêchements, comme une aiguille magnétique. Mais tout cela, tout le commencement de cette octave dont nous avons parlé qui crée de nouvelles énergies, tout cela demeure quasi impossible si vous dites « je », si vous vous identifiez à tout ce qui se présente en vous. Dans ce cas là vous êtes plongé dans les ténèbres,  celles dont parlent les versets qui ouvrent la Genèse. La lumière n'y est pas encore extraite des ténèbres.

Maintenant je voudrais que certains d'entre vous remarquent particulièrement les « je « qui dévorent leur énergie. Récemment, j'en ai été infesté et pendant un moment je ne les ai pas remarqués J'ai considéré que ces pensées, ces mots et ces émotions étaient « moi » autrement dit, je dormais. Chacun d'entre vous  est cerné à l'intérieur de lui-même par des « je » négatifs, faibles, soupçonneux, étroits, stupides, médiocres, chicaniers. Certains d'entre eux sont devenus très forts suite à votre longue habitude de leur céder. Vous voyez qu'une personne perd soudain son énergie, devient faible , négative perdue, etc. Que s'est-il passé ?  Un certain « je » est en train de dévorer cette personne. Notre vie intérieure est bien plus dangereuse que notre vie extérieure avec tous ses périls. 

Bien sûr, il vous faut tous comprendre que cette doctrine des différents « je » ne vous enlève pas toute votre responsabilité. Seul un imbécile imaginerait cela. Faire le tri entre les différents « je », en prendre certains et en laisser certains et quelque chose de très réel. Il faut que vous souffriez de votre identification à certains « je » néfastes. Que cela vous cause une vraie douleur, une vraie souffrance. C'est une souffrance utile. Il vous faut apprendre à haïr certains « je » en vous-même faute de quoi, vous considérerez le travail de manière désinvolte, comme une excuse pour faire tout ce que vous voulez. Il y a des périodes où le travail vous met une grosse pression. Puis ça passe, pour un moment. Mais si le travail ne vous met jamais la pression, vous pouvez être sûr qu'il ne s’est pas encore décidé à véritablement vous atteindre.

Par Gilles Farcet

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