dimanche 21 décembre 2025

Naître à Noël

 


La nuit est profonde, la nature est à l’os, dépouillée de son feuillage, elle étend ses branches noires décharnées. L’hiver aux petits jours et aux longues nuits est paradoxalement une saison de clarification. On ne peut pas fuir dans la contemplation plaisante de l’abondance de feuilles, de fleurs, de fruits. Il n’y a que des bois dénudés, des structures austères, des fusains, des encres noires. C’est le temps de l’enfouissement, du retour dans nos terres intérieures, dans ces eaux profondes dont parle le Christ.

Une nostalgie me prend l’âme dans cette période d’attente. Je regrette le temps chaud, lumineux, la nature qui gazouille, coasse, stridule de chants de cigale. Je me rebelle à l’idée de cette noire invitation à aller fouiller mon sol, méditer sur la finition à laquelle me pousse cette saison.

On n’a pas toujours envie de faire ce travail intérieur, lent, sans éclat, tout retourné dans l’ombre de soi avec pourtant l’espoir d’une future floraison. Je n’ai pas le choix, je dois vivre à l’image de cette nature qui nous ressemble. L’humain est un terreux, il a été pétri avec la glaise du sol. Il doit faire avec sa réalité d’incarnation.

Le don de sa vie

Donc Noël, me direz-vous ! Vous qui me lisez, vous vous demandez sans doute où je souhaite vous conduire dans ma réflexion ? En ces derniers jours de l’Avent, je vous mène devant une icône, une Nativité du XVe siècle d’Andreï Roublev.

Ce peintre de renom est un moine formé par un grand artiste, Théophane le Grec. Grâce à son maître qui lui a transmis son art d’écrire l’icône, il a acquis la capacité de faire jaillir de son pinceau tout ce qu’il perçoit. On ne sait pas grand-chose sur sa vie mais certains témoignages, qui construisent aussi sa légende, évoquent sa faculté de peindre sans regarder son support, en laissant faire son regard intérieur.

Cette œuvre de la Nativité ne représente pas qu’une naissance, elle raconte le destin de l’homme délivré de la mort. En bas, Joseph, enroulé dans son manteau, est pensif. Dans ce moment unique, il symbolise le vieil homme dépassé par l’irruption du divin sur la terre, dans sa terre. À ses côtés, un homme également âgé, courbé sur un bâton, porte une peau de bête, signe de cette part animale qu’il doit quitter. Les servantes près de lui préparent sans hasard un bain pour l’enfant nouveau-né. Joseph aussi doit renaître d’esprit, comme chacun de nous.

Le centre de l’image est occupé par Marie. Dans son manteau noir, elle repose sur un drap rouge ourlé d’or, des signes lumineux. Les anges sont auprès d’elle. Ils entourent l’Enfant, les mains cachées sous leurs vêtements, un geste réservé aux personnages sacrés.

Ce qui me frappe c’est leur présence au milieu des humains, des bergers et des mages que l’on voit caracoler sur leurs chevaux, en haut de l’image. Eux suivent l’étoile que Roublev a placée au centre de l’icône. Ses trois rayons désignent l’Enfant né dans cette grotte sombre, noire comme le manteau de Marie, un manteau de nuit, la nuit de l’être humain.

Dans nos ténèbres, il est là, dans cette mangeoire qui a la forme d’une tombe, emmailloté dans des bandelettes évoquant un linceul. Cette convention de l’icône que Roublev suit fidèlement signifie pour le peintre la Passion du Christ à venir. On pourrait dire que dès la naissance de Jésus, il a le don de sa vie, sa mort. Mais celle-ci n’est qu’un passage vers Sa Résurrection. Voilà le vrai sens de Noël, celui qu’il nous a laissé en se manifestant au monde : nous naissons et nous pouvons vaincre la mort.

Paule Amblard


La nativité - Andreï Roublev, 1405 - tempera sur panneau de bois, 142 × 114 cm - Moscou, Cathédrale de l’annonciation

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