vendredi 9 octobre 2020

Ces personnes victimes de solitude...


 

Le radeau de la Méduse

Ils sont là, en salle de restauration
de retour après 10 semaines
d'absence...
dix semaines de confinement,
dans le cachot
de leur studio

Ils se regardent, les uns les autres
certains le visage vide
...non, ils croient qu'ils se regardent
illusion, ce n'est qu'une illusion.

Il n'y a personne qui regarde

la vie n'est plus là
elle s'est absentée de leurs yeux,
a effacé leur histoire, leur destin.
Comment s'accommoder de ce rien?
Comment retrouver
la vie en communauté?

Elsa, figée sur sa chaise
n'arrive pas à décrypter ce qu'elle ressent
elle cherche un fil conducteur pour recréer du lien
pour donner un nouveau sens à ce qui n'en a plus.
Après son passage dans ce no mans land de l'isolement
ses repères ont fondus dans un temps inconnu
qui vient de marquer sa chair au fer rouge.
Elle cherche des indices, veut capter des mots.
Quel est ce lieu soigneusement clôturé, sans nom
où on les a isolés, parqués ?

Le trottoir de la rue qu'elle voit derrière les grilles du parking,
est un mirage, celui de la réalité d'autrefois...
Les mots n'existent plus; elle veut s'aider d'une image.
C'est celle du radeau de la Méduse qui s'impose,
ainsi qu'une tristesse inexplicable.
Elle sait qu'il n'y aura jamais de traces palpables
de ce qu'ils ont vécu, de ce qu'ils vivent encore ;
visibles dans son cœur
dans celui de ses compagnons de route.

Le stylo à la main, comment écrire sur le rien, faire l'éloge du peu.

Impossible: c'est vraiment terre inconnue.
Elsa décide de monter sur le radeau de la Méduse.
Accepter est la seule issue possible pour elle.

Mais elle serre fort contre son ventre ce qu'elle sait.
Elle sait qu'elle n'acceptera jamais de perdre
son humanité, sa dignité.

Nicole Digier 
29 mai 2020


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