vendredi 17 septembre 2021

Une courbe spirituelle


 Le cycle du hype est un modèle, formalisé par le groupe Gartner, utilisé pour montrer la courbe de l’intérêt envers une nouvelle technologie dans le temps. 

Cependant, si nous observons bien sa forme et ses étapes, elle s’applique à merveille à ce qui se passe en spiritualité ou dans la découverte d’un nouveau domaine ou parfois, d’une nouvelle personne. 

J’en adapte donc très légèrement le vocabulaire pour qu’il soit applicable dans ces différents champs. 

Phase 1) LA DÉCOUVERTE: à ce stade, il nous vient une nouvelle idée, un nouvel intérêt, encore menu au tout début. Cependant, nous lisons un livre, suivons un séminaire, parlons avec une personne et peu à peu, l’intérêt pour le domaine en question augmente, nous approfondissons jusqu’à devenir un peu accroc. 

Phase 2) LE PIC DES ATTENTES EXAGÉRÉES : à ce stade, la technique, le domaine ou la personne sur lequel nous focalisons devient en général le support optimal pour toutes nos projections. Nous allons enfin nous défaire de ce vieux problème de santé, nous avons enfin trouvé le bon partenaire, ou l’enseignant spirituel idéal (et bien entendu, idéalisé). Tout va bien, nous parlons du lieu, du domaine, ou de la personne en des termes éminemment positifs. 

Phase 3) LE GOUFFRE DES DÉSILLUSIONS : à ce stade, c’est la débandade. Le domaine n’a pas répondu aux attentes de mon ego, mes projections se crashent sur le « principe de réalité », le domaine n’est pas complet, l’enseignant/e n’est pas parfait. Pire, il ou elle a des défauts ! Je l’ai vu manger de la viande ! Il a dragué une élève ! Elle a accepté d’être payée ! 

La technique devient une arnaque, mon argent soudainement mal investi, et les enseignants des pervers narcissiques (sans que j’ais jamais pris la peine d’aller vraiment vérifier la véritable définition de ces termes, bien évidemment). A ce stade, si c’est une stratégie que nous utilisons, nous sommes souvent une pauvre victime et les "autres" des abuseurs ou des êtres, insulte suprême, non évolués ou qui n'appliquent pas ce qu'ils enseignent. 

Phase 4) LA PENTE DE L’ILLUMINATION : notons le d’emblée, ce stade est le premier stade d’une forme de maturité dans l’engagement, car cela signifie que nous avons dépassé le gouffre des désillusions sans céder à ses sirènes, et au moins pour « voir ce que ça donne ». 

En avançant, nous apprenons lentement à nuancer, à accepter les failles d’un système ou d’un ou d’une enseignant tout en reconnaissant aussi ses qualités. Si nous faisons le compte, nous nous rendons compte que globalement, ces qualités dépassent les « défauts » que nous leur attribuons, et mieux, nous nous rendons compte que certains de ces défauts étaient simplement projetés et nous appartenaient. 

Quoi qu’il en soit, à ce stade, nous apprenons, nous gérons l’imperfection, et nous nous rapprochons peu à peu d’une forme de stabilité dans le travail. A ce stade, mais pas avant, nous pouvons quitter aussi un système ou un enseignant « les yeux ouverts », sans passion excessive, et sûrs de nous. 

Phase 5) LA PHASE DU VRAI TRAVAIL (ou plateau de productivité, c’est-à-dire, d’efficacité) : ce n’est qu’à cette étape que le vrai travail commence, que les manches sont retroussées, que nous descendons dans la fange tout en nous baignant en même temps dans le fleuve de la clarté, en alternance. 

C’est à ce stade que l’ami spirituel, l’enseignant, le ou la maître peut vraiment agir en profondeur, transmettre l’essence de son art. Ce plateau peut durer une vie entière, ou n’être qu’une étape plus ou moins longue vers une autre aventure. 

Néanmoins, quiconque l’a vraiment arpenté longtemps ne revivra plus complètement les 4 stades précédents en rencontrant un nouvel univers. La maturité gagnée sur ce plateau ne se perd plus jamais, surtout s’il a été parcouru longtemps, c’est-à-dire plus de dix ans. 

En spiritualité, et en tant qu’enseignants, nous faisons beaucoup face à des personnes se baladant, très souvent de manière répétitive, sur les phases I à III. Les narcissiques, notamment, sont les champions de l’aurevoir au stade du Gouffre de la désillusion, étant donné que pour eux, rien ne peut-être en dessous qu’un pic de perfection projetée. 

Dans les temples, aux temps jadis, il était normal de faire attendre un apprenti disciple au moins 3 ans. On comprend mieux pourquoi en parcourant ces différents stades. Généralement, c’est plus ou moins le temps nécessaire pour arriver à la phase V, celle de la maturité et du vrai travail. 

J’en ai fait l’expérience récemment : un « maître » m’a écrit pour parler avec moi directement du Xuan Xue (Etudes du Mystère, des talismans), prétextant qu’il était un spécialiste du domaine et qu’il voulait donc un entretien privé, « entre initiés ». Etant donné que le ton du message me semblait pour le moins inadéquat, j’ai pris le parti, en m’amusant un peu, il est vrai, de ne pas répondre tout de suite. Je suis même parti en vacances entre deux. A mon retour, j’avais droit à mon lot de mails incendiaires, car ce monsieur avait été extrêmement vexé que « Sa Majesté Jordan » ne lui ait pas répondu de suite, alors que des « personnalités très importantes lui répondaient dans les 24h ». 

Il est facile de voir comment cette personne, Grand Maître d’une loge maçonnique, ai-je appris plus tard, qui m’avait entendu à la radio, est passé de la phase I à la phase III en un temps accéléré, ce qui montre que les méthodes traditionnelles ont beaucoup de bon, parfois. Pas besoin de dire que nous ne nous entretiendrons pas sur le domaine en question ensemble …

Si vous êtes engagé sur une voie spirituelle, ou dans un enseignement quelconque, que vous avez rencontré quelqu’un, je vous suggère de prendre le temps de passer au moins à la phase 4, si joliment nommée la pente de l’illumination. Ce n’est pas simple, car cela nécessite de dépasser nos aspects pulsionnels et animaux, qui cherchent à fuir ou à combattre. Mais, en ne se laissant pas happer complètement par ces mouvements en eux-mêmes légitimes, nous avons alors accès à une partie plus ouverte de nous-mêmes, plus libre aussi. Nous prenons toujours de meilleurs décisions dans la liberté que dans la pulsion, sauf très rares exceptions vitales. 

Bonne observation…et bon courage !

Fabrice

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