Laëtitia Cado-Guiomar, thanatopractrice : « J’accompagne autant les vivants que les morts »
Elle se sent appelée depuis l’enfance à prendre soin des morts et à les accompagner vers l’au-delà ; elle vit sa vocation de thanatopractrice accomplie sur le tard comme une confiance accordée par les défunts et leurs familles.
Depuis que je suis toute petite, je veux accompagner les morts. À 4 ans je disais que je voulais être « médecin pour les morts ». Mais, pour ma mère, la mort, c’était tabou ; elle ne voulait pas en entendre parler, elle s’est d’ailleurs démenée pour que je change d’avis.
J’ai donc suivi des études de photographie, puis j’ai travaillé dans différents domaines : la photographie, le commerce, l’économie solidaire.
Les aider dans leur deuil
Avant de me reconvertir professionnellement, je dirigeais une entreprise d’insertion. Mais je n’étais pas heureuse ; il me semblait que l’on dépensait plus d’énergie à se battre pour trouver des budgets que pour les personnes que l’on accompagnait. Le métier de thanatopractrice me revenait à l’esprit, et je pensais souvent à ce qui m’avait empêchée de le devenir. Un jour, j’ai décidé de ne plus regretter et d’essayer : à 45 ans, je me suis lancée dans la préparation du concours.
À présent, j’exerce ce métier depuis quatre ans. Plus le temps passe, et plus je suis heureuse ! Je ne sais pas pourquoi, mais ma place est là. J’accompagne autant les vivants que les morts ; je le fais d’abord pour les familles et les proches, afin de les aider dans leur deuil. Je fais en sorte que les défunts soient le plus beaux possible, qu’ils semblent sereins, apaisés. Mon métier n’est pas de cacher la mort, mais d’en masquer les stigmates.
Je vis aussi mon travail comme un accompagnement des défunts, derrière la grande porte. Je me sens bien dans mon lien avec eux ; j’estime que les familles m’accordent une confiance énorme, ainsi que les personnes décédées, qui me livrent leur corps. C’est un métier de l’ombre, où l’on peut apporter toute la lumière. Je suis heureuse quand les proches me disent : « Merci, elle est apaisée, elle est belle. »
Une présence pour les absents
J’ai grandi dans une famille aimante, avec une maison toujours ouverte. Mes parents étaient tous les deux éducateurs spécialisés, et nous vivions sur le lieu même de la structure d’insertion que mon père dirigeait. Ils accompagnaient des personnes toxicomanes ou sortant de prison. Les gars pouvaient frapper à la porte à tout moment, le soir, le week-end.
Mes parents ont toujours été guidés par leur foi chrétienne, tournée vers l’accompagnement des autres, comme une évidence. De grandes tablées étaient souvent dressées à la maison, on s’invitait au dernier moment, des amis comme des gens en galère.
Ma foi se vit davantage au travers des émotions que par des mots. Je comprends Dieu comme une présence -silencieuse qui se manifeste par des signes. Parmi ceux qui m’ont marquée, il y a eu le baptême de ma première fille, Olive. Le prêtre l’a immergée dans l’eau, puis il l’a relevée et l’a portée à bout de bras. À ce moment précis, un rayon de soleil a transpercé un vitrail et l’a éclairée !
Je parle beaucoup à Dieu. Sa présence ne s’impose pas. Le suivre, pour moi, c’est savoir être présente sans m’imposer — c’est exactement ce que je tente de vivre auprès des défunts. Je me demande comment leur transmettre cet amour de Dieu, sans aucune contrainte. J’essaye d’être présente aux absents. Quelque temps après avoir commencé mon activité de thanato-practrice, j’ai reçu un signe puissant.
En me rendant dans un funérarium, je regarde toujours sur la liste le nom de la personne dont je viens m’occuper ; et, ce jour-là, j’ai lu celui d’un ancien salarié de l’entreprise d’insertion pour laquelle je travaillais, que j’avais beaucoup accompagné. Et, considéré comme indigent, il ne pouvait bénéficier de soins mortuaires. J’ai aussitôt proposé au funérarium de m’en occuper, afin de les lui offrir. Ce n’était pas un hasard, quelque chose de plus grand m’avait guidée là, pour lui dire au revoir.
Un dernier hommage
Quand je procède à un soin, j’essaye d’être très attentive à la personne que j’accompagne. Je lui parle beaucoup. Je lui dis bonjour en arrivant. Je la préviens de chaque geste que j’accomplis. Par exemple, je dis : « Je vous nettoie un peu la bouche, je vais faire doucement », « Attention, je vais vous ponctionner ! », ou « Voilà Madame, vous êtes toute belle pour le grand voyage. » Je m’adresse aussi à elle intérieurement, en silence.
Dans certains lieux, quand je peux, je dispose des bougies, afin de favoriser un moment de recueillement, je diffuse de la musique classique, ou de la variété ; mais je choisis des chansons dont les paroles sont belles. Il m’est ainsi arrivé d’accompagner un homme qui avait un tatouage Johnny Hallyday sur le torse ; j’ai passé des chansons de son idole pendant le soin, je me suis dit que ça devait lui faire plaisir !
Pour chaque défunt, j’effectue une toilette mortuaire et un habillage, souvent un soin de conservation. Je cherche à ce qu’il soit beau, apaisé, et que cela lui ressemble. Je lui masse attentivement le visage et les mains avec de la crème hydratante, parce que ce sont les endroits que les proches vont probablement toucher. Suivant les besoins, je lui prodigue un shampoing, je le parfume, je le rase…
Je maquille très peu, sauf si la famille me le demande ou si la personne avait l’habitude de le faire. Je mets simplement un peu de fond de teint pour que la peau ne devienne pas translucide. Je « mèche » la bouche et le nez avec du coton, pour éviter que les fluides s’écoulent hors du corps, ce qui pourrait déstabiliser les proches. J’essaye de donner à son visage un air d’apaisement – même si on ne peut pas faire sourire quelqu’un qui ne souriait jamais ! Enfin, je termine en le revêtant de la tenue choisie par la famille ; je suis heureuse quand je vois qu’elle l’a sélectionnée avec soin, comme pour lui rendre un dernier hommage.
Passeuse d’âme
Si le corps est accidenté, s’il voyage, en cas d’exposition à domicile ou lorsque les obsèques ont lieu plusieurs jours après, un soin de conservation est nécessaire. Il permet de retarder la dégradation du corps et présente un teint plus naturel. Pour faciliter le deuil, il est important que les proches ne gardent pas une image traumatisante du défunt. Dans ce cas, je prélève les fluides corporels, et j’injecte du formol dans le corps. Avant de faire ce métier, je n’imaginais pas que ce serait si intrusif… Dorénavant, je comprends le sens de ce soin, et on peut aussi le réaliser avec douceur.
Je ne dirais pas que je suis passeuse d’âme, parce que ce serait trop orgueilleux. Mais je sens que certaines personnes ont davantage besoin de moi pour passer la grande porte. Me vient l’envie d’accompagner un peu plus certains défunts, comme s’ils étaient encore présents. À plusieurs reprises, j’ai été confrontée à des suicides, comme pour cette jeune fille de 13 ans, dont je me suis occupée… et je lui ai beaucoup parlé.
Quand les corps arrivent, je peux sentir si les personnes ont accepté ou non de partir. Je devine aussi comment on s’est occupé d’elles dans leurs derniers instants, si elles ont bénéficié de soins palliatifs, qui permettent de soulager la souffrance physique et psychique – malheureusement, tout le monde n’y a pas accès.
Je rencontre aussi des personnes isolées ou que les familles négligent : si la tenue n’a pas été choisie avec soin, par exemple, si elle est froissée… Cela me fait de la peine. On m’a déjà encouragée à ne pas m’attarder sur les défunts seuls, puisqu’ils n’auront pas de visite ; au contraire, je vais d’autant mieux m’occuper d’eux, parce que je suis touchée que personne d’autre ne leur dise adieu.
Une équipe soudée
J’aime à prendre le temps pour chaque soin. Des thanatopracteurs me disent qu’ils peuvent m’enseigner -comment -travailler plus rapidement. Mais je ne le souhaite pas ! Depuis septembre, j’ai intégré une nouvelle équipe, et nous partageons la même approche du métier.
Ma patronne ne surcharge pas mes journées. Elle assure que, pour bien s’occuper des morts, il faut être vivante ! Elle insiste ainsi pour que l’on ne néglige pas le temps de déjeuner. J’ai le sentiment d’avoir intégré une équipe soudée, comme une famille, avec une même vision de l’accompagnement des défunts et des familles.
Juste après avoir obtenu mon diplôme, je me suis fait tatouer un arbre de vie sur l’avant-bras. Dans le travail, on ne le voit pas, car je porte une blouse, mais je sais qu’il est là. J’aime à me dire qu’un lien se tisse entre le défunt, mon bras et le sol, comme si je donnais la force du sol aux personnes décédées. Dans les funérariums où je travaille, je suis repérée de dos grâce aux deux vestes que je porte souvent : sur l’une se trouve le dessin des ailes d’ange, sur l’autre, d’un arbre de vie. Ces symboles racontent quelque chose du sens de mon métier.
Laëtitia Cado-Guiomar (source : La Vie)
Les étapes de sa vie
1974 Naissance, enfance à Étampes. 1997 Ouverture d’un commerce de prêt-à-porter. 2002 Naissance d’Olive, puis de Carmin, Marin, Orlane, Bleuenn. 2006 Salariée d’une entreprise d’insertion. 2007 Entrée en équipe Mission de France. 2021 Diplôme de thanatopractrice. 2025 Nouvelle équipe professionnelle et décès de sa mère.
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