dimanche 25 octobre 2020

Le visage éternel

 

Lors d'une de mes promenades dans les rues de Paris, je suis tombée sur un jeune garçon de 5 ou 6 ans qui contemplait pensivement la façade de l'immeuble devant lui, attendant patiemment que sa mère termine une conversation à quelques pas de là. J'aime toujours regarder ce que regardent les enfants, car ils voient ce que nous ne savons plus voir et qui pourtant saute aux yeux. En l'occurrence, il y avait au rez-de-chaussée de l'immeuble, une large et grande fenêtre à barreaux qui réfléchissait dans le miroir de sa vitre teintée le bleu du ciel, le blanc des nuages et le feuillage d'automne d'un arbre.


Les anges portent-ils des masques ?

« Que regardes-tu ainsi ? », lui ai-je demandé. Il a levé les yeux vers moi, et il m'a répondu en riant : « Tu ne vois pas ! Ils ont mis le ciel en prison ! » Oui, ce n'était pas un mirage, et j'avais bien devant moi la prison du ciel. Pourquoi mettons-nous des barreaux à nos fenêtres ? Pour que personne ne rentre chez nous ! Pourquoi mettons-nous des vitres teintées ? Pour que personne ne voie à l'intérieur ! Et bien souvent, nous oublions qu'il suffit de quelques barreaux et d'une vitre teintée pour arrêter le ciel et fermer notre porte à Celui qui frappe patiemment pour entrer chez nous et y faire sa demeure. Or voilà que le vent souffle, faisant défiler les nuages et tomber les feuilles dans le miroir.


Heureux d'avoir quelqu'un à qui parler, ce jeune garçon m'a demandé si je pensais que les anges autour de nous portaient des masques eux aussi. Je lui ai répondu que je ne savais pas, mais que je pensais que les anges pouvaient perdre, en ce moment, leurs plumes, comme les arbres, leurs feuilles. Que se retrouvant nus, ils auraient besoin cet hiver de la chaleur de nos coeurs, et que, dépourvus d'ailes, ils emprunteraient nos bicyclettes, au printemps, pour aller chercher des plumes toutes neuves.

« Es-tu prêt à prêter ton vélo à un ange ? », ai-je demandé à cet enfant, conquis par mon histoire. Du haut de son âge encore déraisonnable, il m'a dit que oui, si c'était pour qu'il change de plumes et en retrouve d'autres ! Il m'a alors confié que sa mère lui avait expliqué que les masques que les adultes portent dans la rue sont comme les masques de beauté qu'elle étale parfois sur sa peau le soir. Ce sont des masques qui vont permettre aux personnes de se faire beaux et belles. Des masques qui vont soigner leur peau, et réparer quelque chose en eux pour que leurs sourires reviennent au printemps.

 

L'autre : un visage, un rivage

Moi qui ne sais plus regarder les gens dans les yeux, ne voyant que leurs masques, voilà que ces paroles de mère et d'enfant me sauvaient du naufrage. Quelle joie de pouvoir envisager différemment ces barreaux de tissu où nous emprisonnons le ciel et nos sourires ! Comme si seules les mères connaissaient pleinement ce mystère du face-à-face, du cœur-à-cœur, du « joue-à-joue » que sont les visages. Comme si seules les mères pouvaient entendre le désir du jeune enfant en nous de dévisager. Comme si seules les mères pouvaient nous apprendre à voir en l'autre ce qu'il est : un visage, un rivage.

Rentrée chez moi, désireuse de plonger mon regard dans un visage, j'ai mis sur ma table de travail une icône de la Sainte Face. Les peintres d'icônes nous rappellent que le Christ est un visage. Non pas un masque de personnage, mais le visage d'une personne. Un visage qui a connu nos ténèbres et qui s'est illuminé d'amour pour ces enfants perdus en recherche de face-à-face que nous sommes. Une icône ne fige pas les traits et elle ne masque rien. Elle accepte la vie comme la mort, elle accomplit tout et elle nous donne à contempler ce que le ciel a ouvert et révélé en nous : son visage éternel.


Charlotte Jousseaume
source : La Vie
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