dimanche 3 mars 2024

Sages comme des images ?

 


Il y a trop de croyants à qui on a demandé de se soumettre et d’admettre l’impensable. Adultes, ils vivent leur foi, si elle demeure, sans réfléchir, sans savoir si ce qu’ils disent et célèbrent est juste et bon. Ils s’en remettent totalement à ce qu’on leur a imposé, sans avoir appris la nécessaire distance, la confiance en leur propre jugement, sans prendre leurs responsabilités. Il est clair que les croyants à qui on a demandé d’être des enfants sages deviennent vieux, comme le chantait Jacques Brel dans un autre contexte, sans même avoir été adultes.

L’argile de nos jours

La voie que propose l’Évangile est un chemin tout autre. Il n’appelle pas à s’épuiser pour devenir ce que d’autres voudraient que l’on soit. « Si beaucoup de poètes ne sont pas des poètes, et si beaucoup de religieux ne sont pas des saints, c’est parce qu’ils ne réussissent jamais à être eux-mêmes. Ils n’arrivent pas à être le poète particulier ou le moine particulier que Dieu les a destinés à être. Ils ne deviennent jamais l’homme ou l’artiste qu’ils sont appelés à devenir par toutes les circonstances de leur vie individuelle », écrivait Thomas Merton dans Semences de contemplation (Seuil, 1952).

Les mots de ce moine trappiste nous ouvrent une fenêtre pour vivre le carême. Non pas sur une cour d’école pour garçons sages et petites filles modèles, mais sur un chemin buissonnier où personne n’est appelé à défiler en rangs serrés et à pas cadencés. Il n’appelle pas de grandes ascèses et ne demande pas d’exploits spirituels. Il n’exige pas de renoncements physiques et ne garantit pas des assurances mystiques.

Durant ces 40 jours, il ne s’agit pas tant d’avoir prié que de faire de l’argile de nos jours une prière, de nous tenir en conscience dans le souffle du vivant, dans une prière libre, sans pointillisme : prière et poésie font bon ménage. Il ne s’agit pas tant de jeûner que de consommer moins pour goûter davantage et entrer dans un nouveau rapport avec la Création : jeûne et plaisir ne sont pas incompatibles. Il ne s’agit pas tant de se priver que de chercher avec d’autres des chemins de justice et d’équité pour que chaque être humain puisse vivre dans une vraie dignité.

Plaise à Dieu que sur la route qui nous conduit vers Pâques, nous ne devenions jamais des enfants sages du « il faut », mais (un tantinet rebelles) des enfants libres de l’Esprit.


Raphaël Buyse. Prêtre du diocèse de Lille, il est l’auteur d’Autrement, Dieu et d’Autrement, l’Évangile (Bayard) et d’Il n’y a que les fous pour être sages (Salvator). Il vient de coécrire Visitation(s), vivre la rencontre à l’hôpital (Salvator).

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