jeudi 2 mars 2023

Main divine

 J’utilise un terme particulier depuis quelques années : le pétrissage. Je veux dire que l’on est plus souvent pétri par la vie que caressé par elle. J’ai commencé à l’utiliser spontanément de plus en plus lorsque j’ai finalement quitté la niche oratoire de « l’éveil » où tout est désigné comme illusoire et où l’on finit par feindre d’être au-dessus de la condition humaine. 

Une première façon d’aborder plus sainement et gentiment le pétrissage est sans doute d’en accepter la réalité sans se sentir « moins évolué » que d’autres, apparemment plus gâtés par la vie (qu’en sait-on, d’ailleurs ? c’est aussi un sujet à part entière). 

Cela signifie : Je suis pétri par la vie, dans mon corps, par mes émotions et au cœur de mes crises spirituelles. Et cela peut même se produire tous les jours. Ce n’est pas le signe d’une rechute de mon sommet spirituel fantasmé, c’est le processus vivant et non linéaire dans lequel je me trouve, à un moment donné. Mon corps est un laboratoire où des mutations parfois intenses sont à l’œuvre. Et je ne parle pas d’une indigestion qui gâche un peu quelques heures de ma journée, mais par exemple de brassages psychiques qui peuvent sembler interminables. 


Et quel baume alors que d’accompagner du mieux possible ce pétrissage en essayant d’honorer son intelligence propre, quelque chose comme la reconnaissance d’un ouvrage déterminé qui, assez souvent, ne prend pas en compte mon besoin de confort. Question de priorité naturelle. A quoi nous sommes-nous ajustés pour ne plus comprendre cela ? 

Dans un monde social qui valorise la performance et le bonheur absolu, générant ainsi le désespoir du plus grand nombre, retrouver la noblesse du pétrissage nous replacerait dans une perspective plus réaliste de nos chemins de vie. 

Mais cela va demander un effort collectif, parce que nous nous sentons obligés aujourd’hui de masquer nos détresses comme des phénomènes honteux alors qu’elles sont peut-être le symptôme d’un précieux moment de transformation, même s’il ne colle pas à nos idéaux conditionnés. Essayons : « Je ne suis inférieur à rien ni à personne dans cet instant, juste pétri par une main divine ».

Thierry Vissac

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