La paix qu’on se donne à soi-même n’a de sens que si on l’offre en retour
Suivre les boussoles qui font du bien. Accorder sa vie à ce qu’on pense être juste. Stabiliser son esprit... Autant d’actes qui induisent en soi du calme et de la paix. C’est déjà beaucoup dans ce monde tourmenté, n’est-ce pas ? Mais est-ce pour autant suffisant pour parvenir à la plénitude ? Non. Car ce n’est qu’une partie du chemin : les maîtres nous enseignent que se donner la paix n’a de sens que si on offre cette paix en retour.
J’en ai eu l’ultime illustration à Dhagpo, un après-midi d’été.
Chogyé Trichen est un des maîtres contemporains les plus illustres du bouddhisme tibétain. Il est de passage en Dordogne pour une série d’enseignements. Sincèrement, j’ignore tout de ce très vieil homme, né au Tibet en 1920, mais il nous est proposé de lui rendre hommage en lui offrant une kata, une écharpe de soie blanche. Une foule s’amasse devant la «maison des lamas ». Afin de ne pas trop le fatiguer, nous sommes reçus deux par deux dans une petite pièce. Sans états d’âme, j’entre, accompagné d’une amie. Le vieux maître est assis dans un fauteuil, visiblement fatigué, entouré de deux assistants. Je m’incline devant lui.
Il y a soudain un « blanc » dans ma tête.
Plus de pensée pendant un bref instant. En une fraction de seconde, je me sens comme à la porte d’un avion, à 10 000 mètres d’altitude, face à un immense espace sans limites. Je suis totalement pris de court. Je perds tout repère. C’est extrêmement fugace mais d’une incroyable puissance. Alors que je me redresse, un cuisant mal-être m’envahit ! Je me sens soudain totalement nu face à lui, comme s’il voyait tout de moi. En même temps, je sens une colossale vague de bienveillance et d’amour déferler sur moi. Une acceptation inconditionnelle de la totalité de mon être, dans ce qu’il a de plus beau et de plus laid ! Cet homme n’a pourtant rien dit, ni rien fait. Il a juste souri puis détourné son regard. Puis, en un instant, tout s’est évanoui.
Que s’est-il passé ? Il est difficile de décrire une telle expérience. J’ai déjà lu des textes qui parlent de l’impact spirituel de la rencontre avec un maître accompli, mais la réalité à laquelle j’ai été confronté aujourd’hui est tout autre. Il est dit que le maître éveillé a, comme le Bouddha, développé sa pratique à un tel point de perfection qu’il n’existe plus en tant que personne. Il n’y a plus, en lui, de support pour un quelconque ego. Celui-ci s’est dissous dans l’espace de ce qu’on appelle «la Nature de l’Esprit», la nature même du Réel. L’esprit du maître devient alors aussi transparent que le verre, aussi vaste que le ciel. Par la force de sa réalisation, il devient aussi clair qu’un miroir sans tache. Un miroir dans lequel tout se reflète et qu’il tend sans relâche à ceux qui s’avancent vers lui :
«Regarde la nature de ton esprit. Ceci est “toi" au-delà de ce que tu crois être. Contemple le travail que tu as encore à accomplir sur toi. Mais, par-dessus tout, regarde l’insondable Paix où cela va te mener. »
Le maître éveillé est, en lui-même, par sa seule présence, un enseignement spirituel. Spontanément, sans effort, il offre au disciple un aperçu extrêmement bref mais extrêmement puissant de sa propre réalisation : il lui montre la réalité de son esprit quand celui-ci est affranchi des obscurcissements mentaux. C’est, je crois, ce «blanc» sans pensée que j’ai ressenti pendant ces quelques secondes à son contact, un instant si bref mais si intense. C’est au-delà de ce que le mental est capable de comprendre. Peu importe si les sceptiques ou les cartésiens ne voient dans la spiritualité qu’une simple construction mentale, un prix de consolation pathétiquement humain visant à mettre à distance la peur de la mort, cette expérience a planté en moi la certitude de la réalité du chemin spirituel et de sa finalité.
Je pensais néanmoins qu’elle resterait unique, uniquement accessible en présence d’un maître éveillé. J’avais tort... Car, depuis mon retour, je sais maintenant qu'«offrir sa paix» n’est pas l’apanage des êtres accomplis. Cela est à notre portée.
A suivre
Dr Christophe Fauré - S'aimer enfin (un chemin initiatique pour retrouver l'essentiel)
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