mercredi 31 octobre 2018

Si nous prêtons attention au corps !

A nouveau, un très beau livre sur un thème qui m'est cher : la vérité du corps. Ce lieu où l'on peut se réfugier mais qui nous fait fuir dès qu'il n'est pas comme l'on souhaite. Entrez dans ce temple et dans ce livre qui nous offre de nombreux exercices pour retrouver notre corps, encore et encore !...


Si nous prêtons attention aux sensations corporelles, nous quittons naturellement le domaine de la pensée. Telle est cette approche de la sophrologie, dont l'objectif est non seulement de détendre le corps, calmer le mental et pacifier le cour, mais aussi et surtout de reconnaitre ou pressentir l'espace infiniment ouvert de notre esprit. 

Les outils et les méthodes de la sophrologie sont vieux comme le monde. L'auteur est en résonance avec une démarche d'écoute que l'on trouve dès l'antiquité, dans des écoles de sagesse en Grèce, en Chine et surtout en Inde (Vipassana, Shivaïsme du Cachemire, Advaïta Vedanta). 

La démarche de sophrologie ici proposée ne se réfère pas tant à l'anatomie physique qu'au corps d'énergie. Toujours le même geste intérieur : revenir à la sensation, au corps sensible.
Pour être attentivement présent, nous découvrons vite qu'il nous faut apprendre ou réapprendre à laisser se détendre suffisamment notre corps et à permettre à notre esprit de se reposer dans son espace originel, tranquille, autrement dit à ne plus s'identifier aux pensées, sensations, émotions, images qui traversent cet espace ouvert, notre esprit.
L'auteur propose de nombreux exercices performants pour nous permettre d'expérimenter directement par nous-mêmes. 


« Le besoin de notre époque consiste en des pratiques que les individus puissent effectuer eux-mêmes pour faire leur propre nettoyage psychique au quotidien. Fort de sa longue expérience directe avec les patients, Marc met l'efficacité pragmatique au-delà de la dogmatique théorique. » 
Jacques Vigne

Marc Marciswer vit à Paris. Il a souvent séjourné en Inde de 1976 à 1986. Depuis 1987, il a formé des sophrologues, imprégnant sa démarche de l'écoute sans commentaire du corps et de l'esprit, se rapprochant ainsi de courants non duels. il a publié Vivre en éveil, chez Alzieu éditeur. (15 euros chez Accarias L'Originel)

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 Extrait :

 "Si nous prêtons attention aux sensations physiques, nous quittons naturellement le domaine de la pensée. Nous nous trouvons ainsi instantanément dans le champ de l'expérience. 
Si, une fois détendu, nous restons attentif, nous pouvons assister à l'explosion de sensations de plus en plus fine qui correspondent à l'éveil de notre dimension énergétique, que nous appellerons le corps d'énergie. 
L'écoute ne se réfère donc pas ici au sens auditif, mais plutôt à la conscience de l'état sensitif du corps. "
Koos Zondervan, Le Yoga tantrique


Ce que Zondervan nomme dimension énergétique et corps d'énergie, je l'appelle plutôt le corps ressenti ou corps sensible ou sensitif. Concrètement, bien que chacun de nous puisse le percevoir différemment, c'est ce que nous ressentons lorsque nous prêtons attention aux sensations corporelles. Je ne veux pas donner plus de précisions, afin de ne pas orienter votre imaginaire, mais au contraire permettre d'expérimenter directement par vous-même.



A suivre...

mardi 30 octobre 2018

Flèche d'orage...

Ciel d’orage dans la région de Yéré Gang, entre Jomda et Sinda, à 4000m d’altitude, Tibet oriental. Septembre 2005
Au départ, il faut être poursuivi par la peur de la naissance et de la mort comme un cerf qui s'échappe d'un piège. À mi-chemin, il ne faut rien avoir à regretter, même si l'on meurt à l'instant, comme le paysan qui a travaillé la terre avec soin. À la fin, il faut être heureux comme celui qui a terminé une immense tâche [...]. Ce qu'il faut surtout savoir, c'est qu'il n'y a pas de temps à perdre, comme si une flèche avait atteint un point vital de notre corps.
Gampopa, Sonam Rinchen (sgam po pa dwags po lha rje, bsod nams rin chen, 1079-1153), cité oralement par Dilgo Khyentsé Rinpotché.
GAMPOPA (1079-1153)
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source : pensée de la semaine par Matthieu Ricard

lundi 29 octobre 2018

Où est notre demeure ?




"Nous n'habitons pas des régions. 
Nous n'habitons même pas la terre. 
Le cœur de ceux que nous aimons est notre vraie demeure."

Christian Bobin
(La plus que vive)

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vendredi 26 octobre 2018

Le chemin de la maladie...


«On peut monter en maladie comme vers un chemin d'initiation, à l'affût des fractures qu'elle opère dans tous les murs qui nous entourent, des brèches qu'elle ouvre vers l'infini.
Elle devient alors l'une des plus hautes aventures de la vie.» 

Christiane Singer

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Méditation et bienfaits



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mercredi 24 octobre 2018

Laisser partir...

Il y a un proverbe au Japon qui dit : « Même le voleur a 10 % raison. » Cela m'a toujours laissée perplexe : alors moi j'ai 10 % tort ? Quel tort : imprudence, négligence ? Cela veut-il dire que je dois toujours fermer ma porte à clé, verrouiller mon vélo et ne jamais laisser mon linge flotter entre les cerisiers... ? Devrais-je rentrer les tomates quand elles sont encore vertes et ne pas faire confiance à mes voisins ?

 Je repense à tout cela ce matin, plantée devant mon vélo, fixant mon panier vide. Le temps d'acheter du pain, mon sac en nylon vert, tout vieux, tout effiloché, à la couleur passée par trop de lavages, a disparu. Était-il tentant, livré à tout vent, bien gonflé, prêt à être attrapé ? Ce voleur, ce chapardeur a-t-il pensé trouver dedans chocolats de Pâques et cadeaux de Noël ? Une pensée malicieuse me vient : j'aimerais voir son expression quand il ouvrira son butin ! Il n'y trouvera que boîtes à oeufs vides et sacs en papier bien pliés, le tout pour aller au marché, car ici il est de bon ton le samedi matin d'arriver bien préparée. Je souris : sera-t-il touché par mon engagement écologique ? Cela le décidera-t-il à tout déposer dans la poubelle de recyclage ? Verra-t-on le début d'une vocation verte ? Une grande illumination écolo ? Dans ce cas, j'aurai eu 100 % raison de laisser mes affaires en vrac et lui de profiter de l'occasion !
Je sais bien qu'il y a, en ville ou à la campagne, des personnes au regard acéré, à la main légère, qui ne s'embarrassent pas des notions du mien et du tien. Qu'il est sans doute tentant pour elles, et peut-être amusant, de saisir lestement ce qui se présente et de courir à l'abri voir ce que le sort - un peu aidé toutefois - a mis sur leur chemin. Et là, on en revient au proverbe japonais.
Est-ce qu'il m'appartient, à moi qui ai la notion de « mien » bien ancrée, de ne pas aider le sort ? Ou bien d'accepter que cette idée de « c'est à moi » est flottante, transitoire et que - dans une certaine mesure, et c'est là que la difficulté se présente - les choses changent de main, s'égarent dans d'autres poches, apparaissent puis disparaissent dans ma vie, sans que je puisse jamais être certaine qu'elles vont y rester définitivement.
Oui c'est une idée qui nous semble étrange, pour ne pas dire choquante, car si je peux sourire devant la disparition de mon vieux sac, je tiens à cette montre, à ces photos, à ce vase pour leur valeur de souvenir ou pour leur valeur tout court. Et pourtant, je sais que je vais perdre, casser, oublier, « semer » un tas de choses derrière moi tout au long des années. Mais ce n'est pas pareil, a-t-on envie de s'écrier ! Non, le processus est différent, là, il y a la volonté de quelqu'un, pas seulement le hasard ou l'étourderie, mais si je regarde bien, je vois que le résultat est le même : les choses passent et souvent nous quittent.
C'est encore lui, Ryokan, ce vieux moine-poète japonais, qui m'a montré qu'on pouvait regarder ces mésaventures un petit peu différemment : rentrant dans sa hutte de montagne, par une belle soirée d'automne, il la trouva entièrement vide : plus de futon, plus de théière, plus d'écritoire... mais par la fenêtre, brillante, se déversait la lumière argentée de la lune et il remercia alors son voleur de la lui avoir laissée ! Je ne suis pas sûre d'avoir un cœur si ouvert ni une âme si généreuse ; je ne crois pas que je vais remercier mon voleur de m'avoir laissé mon vélo mais j'apprends, un peu, à accepter de perdre et à laisser partir...

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source : La Vie

mardi 23 octobre 2018

Enseignement du maître...

Histoire telle qu'elle fut racontée par YVAN :
Dans la région où habitait Nasrudin, il y avait un paysan qui travaillait tous les jours avec ses ânes,
il avait dix ânes et le soir, à la fin de sa journée de travail, il ramenait les ânes au champ où il avait l’habitude de les attacher chacun à un piquet pour les laisser la nuit se reposer, manger ; il les récupérait le lendemain.
Et ce soir là, il a ses piquets, ses cordes et commence à planter un piquet, attache le premier âne, puis le deuxième… le neuvième, il arrive au dixième, il n’a plus de corde…
Il ne sait pas trop que faire avec son dixième âne ; il est là, perdu dans ses pensées, il ne peut pas en attacher deux ensemble, ils n’auraient pas assez d’herbe, ils vont se battre, c’est alors qu'un peu plus loin, il voit Nasrudin assis sous un arbre en méditation, il s’approche de Nasrudin, connu pour sa sagesse ;
à lui, je peux demander un conseil, se dit-il.
  • Je suis désolé de vous déranger, j’ai un problème, alors il lui explique son problème, j’ai dix ânes et neuf cordes,
Nasrudin réfléchit un moment et dit :
  • Tu n’as qu’à faire semblant de l’attacher.
Le paysan est un peu incrédule mais c’est Nasrudin qui le dit, un grand sage…
Il revient vers son âne, plante le piquet, le regarde droit dans ses yeux, fait semblant de passer la corde autour du cou de l’âne et s’en va, sans se détourner pour ne pas éveiller de soupçon chez son âne.
Le lendemain, quand le paysan revient, il est un peu inquiet, mais tous les ânes sont là.
Il les fait  partir, mais rien à faire un n’avance pas, ne veut pas bouger alors il se dit, il me l’a ensorcelé, ce n’est pas possible !
Regardant un peu plus loin, Nasrudin est toujours là sous son arbre.
  • j’ai à nouveau un problème, j’ai bien fait ce que vous m’avez dit de faire mais maintenant mon âne ne veut plus s’en aller.
  • Nasrudin le regarde et lui demande :
  • Est ce que tu l’as détaché ?
  • Ben non, je ne l’ai pas détaché puisque je ne l’ai pas attaché.
  • Toi, tu le sais mais lui ne le sait pas.
L’enseignement du Gourou, c’est de faire semblant de nous détacher, mais nous, nous croyons par toute une série d’artifices que nous sommes attachés, aliénés.
Fondamentalement nous sommes libres autant que cet âne.
La condition dans laquelle nous sommes d’être entravés, aliénés fait qu’il y a là, la nécessité d’un enseignement faisant semblant de nous détacher.   
      
                                                                                              Yvan

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vendredi 19 octobre 2018

Des conseils au grand jour...


Michel Vaujour aime la nature et le silence. Ce square, à Paris (XVIe), lui est cher. Il y venait souvent peu après sa libération

1 Carpe Diem

Profitez de la vie. Accueillez tout ce qui vous est offert comme une grâce. Coupez la radio et la télévision et pensez à ceux qui sont morts, couchés dans une tombe. Mieux vaut vivre intensément, sans s'embêter avec des bêtises.

2 Investissez-vous

Laissez-vous absorber dans un travail que vous aimez. Pour être en adéquation avec soi-même, il est capital de faire ce en quoi l'on croit. Ne jamais renoncer à ce qu'on aimerait être. Mieux vaut gagner un peu moins d'argent et privilégier ce qui nous plaît vraiment. Ne pas garder dans sa tête des prisons qui nous étouffent.

3 Obligez-vous à une discipline

J'aurais été incapable de suivre une discipline que l'on m'aurait imposée. C'est bien de choisir soi-même en fonction de ses choix et de sa personne. Sans rien de contraint. C'est le propre de la liberté. Pour avancer vers un idéal. Pour progresser.

Gamin turbulent, Michel Vaujour (à gauche) a été abandonné très tôt par ses parents. Ici, avec un jeune voisin, à Vertus (Marne) en 1962

jeudi 18 octobre 2018

Témoignage de Michel Vaujour

À 67 ans, le « roi de la cavale », ex-braqueur multirécidiviste, publie L'amour m'a sauvé du naufrage. Il y raconte son amour pour Jamila, son épouse, ainsi que la découverte et la pratique du yoga. Aujourd'hui, il est un homme paisible.







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« C'est une blessure d'enfance qui a changé le cours de ma vie.  J'ai souffert d'avoir été abandonné par mes parents tout jeune. Mais il m'a fallu beaucoup de recul pour le comprendre. Deux ans après ma sortie de prison, en 2005, j'avais écrit un livre, Ma plus belle évasion. Si je publie de nouveau le récit de mon parcours carcéral (27 ans de prison, cinq évasions réussies), L'amour m'a sauvé du naufrage, c'est parce que je n'ai plus la même perception de mon passé.
Je sais que derrière ma fuite en avant se cachait une quête d'amour. J'étais blessé car, quand j'avais 4 ans, mes parents m'ont confié à ma tante Germaine, une femme que j'adorais et que je considérais comme ma mère. Ma sœur aînée a atterri chez notre grand-père. Ils ont gardé deux filles avec eux. Malheureusement, ma tante aimante et protectrice est morte d'un cancer quelques années plus tard : j'ai dû retourner vivre avec mes parents et subir la violence de mon père, alcoolique. Un prêtre, l'abbé Zeller, m'a pris sous son aile. C'était mon père de substitution. Il m'a aidé à sortir de ma fragilité et de ma timidité. J'ai officié à ses côtés comme enfant de chœur. Puis nous avons déménagé et j'ai fini par le perdre de vue. 
Je suis entré jeune en prison, à 19 ans. J'ai volé des voitures pour aller danser avec Zabeth, ma compagne, la mère de ma première fille. J'étais un peu rebelle mais surtout très immature. Quand j'ai été condamné à 30 mois de prison et 5 ans d'interdiction de séjour dans mon département, je l'ai mal vécu. Je me suis immédiatement placé dans le refus absolu de la peine. On me traitait comme un truand et je m'y refusais. Plus tard, j'ai été arrêté au volant sans permis. Retourner en prison, cela m'était impossible. J'y avais été écrasé, frappé, humilié, notamment par un surveillant en chef – j'en garde des cicatrices au visage. Alors j'ai fui. J'ai braqué des banques. J'ai accumulé les peines, condamné à 25 ans. Repris, incarcéré, j'ai réussi à m'évader plusieurs fois, ainsi en 1986 en hélicoptère de la prison de la Santé, avec ma femme, Nadine, la mère de mes deux autres enfants. J'étais pris dans une spirale infernale, comme en guerre contre la société. Lors d'un braquage, un policier m'a tiré une balle dans la tête, j'ai frôlé la mort. Un médecin m'a sauvé mais je me suis retrouvé hémiplégique. J'ai récupéré seul, en rampant dans ma cellule, sans rééducation.






Parce que je voulais me faire la belle et que j'y suis parvenu cinq fois, on m'a placé en Quartier de haute sécurité (les QHS, interdits sous Mitterrand). Seul et isolé, privé de cette possibilité d'évasion, j'ai eu envie de crever. Puis j'ai compris que mort pour mort, il fallait s'arracher autrement. D'abord j'ai appris l'anglais et l'espagnol et rêvé de voyages. Puis j'ai découvert le yoga, grâce au livre de Philippe de Méric, un pionnier du yoga en France. Pour combattre mon stress, intense, je pratiquais beaucoup le sport, dans la cour de promenade et en cellule. Mais un jour, blessé à la cheville, j'ai dû rester immobilisé sur mon lit pendant deux semaines. J'ai alors repris ce livre. J'avais compris que je pouvais discipliner mon impulsivité avec cette pratique. Là, je suis allé plus loin avec le travail sur la respiration. J'ai découvert un apaisement par le souffle.
Comme dans le roman de Stephan Zweigle Joueur d'échecs, quand un homme joue contre lui-même dans une cellule, j'ai poussé de plus en plus loin dans le yoga, seul, jusqu'à atteindre un très haut niveau. À la centrale de Lannemezan, dans les Pyrénées, une prison d'où nous voyions le pic du Midi et entendions gronder les orages de montagne, si puissants, un directeur m'a permis d'enseigner le yoga à un groupe de détenus. Certains ne supportaient pas le silence intérieur. Moi, il m'a tout de suite fait du bien. J'avais une prédisposition.
Ma cellule est devenue un lieu monacal. J'ai enlevé le matelas. Je me suis imposé une discipline stricte. Religion veut dire « relier ». Yoga, réunir. Ce n'est pas très loin. Je voulais aller plus loin qu'une gymnastique. Je désirais me battre et pousser très avant. Je me suis imposé un jour de jeûne par semaine. Pour que la nourriture ne soit pas mon maître. Pour que l'on ne puisse plus rien m'enlever. Plus tard, j'ai fait une longue grève de la faim. C'est très instructif, on apprend beaucoup sur soi. Je n'ai accepté ni compromission ni distraction (surtout pas de télévision). Un mantra-yoga, c'est un peu comme une prière : il y a la même utilisation de la fixation de la pensée, qui permet la concentration.
J'ai pratiqué aussi la méditation, qui est le huitième niveau de la pratique du yoga. J'ai appris à être totalement dans la sensation. À faire passer le souffle de la narine gauche vers le poumon droit, par exemple. En projetant l'air sur les glandes olfactives, on arrive à être relié à l'inconscient. J'ai réussi à m'abstraire de mon environnement, à partir très loin, très longtemps. Placé 17 ans à l'isolement, j'ai utilisé cette solitude pour avancer sur ce chemin monastique. Je me suis imposé une hygiène mentale et laissé « coloniser » par le yoga.
Lors de son procès à la cour d'assises de Paris, pour vol avec armes et prise d'otages (27 mai 1991)




En 1991, j'ai rencontré Jamila, une étudiante en droit. Elle a voulu me voir en prison via le service social. Nous sommes tombés amoureux. Pour avoir essayé de me faire évader, en hélicoptère aussi, elle a été condamnée et a passé cinq ans en prison. À partir de 1995, j'ai accepté, pour elle, de renoncer aux tentatives d'évasion. Je me suis mis à travailler sur des scenarii, et ouvert à l'autre à travers elle. Elle n'est pas parvenue à me faire sortir de taule physiquement, mais elle m'a fait sortir d'une autre prison : celle de ma tête. C'est la seule personne qui a su me faire me remettre en question et quitter les rails sur lesquels j'étais lancé. Pendant des années, nous nous sommes écrit de longues lettres, innombrables. Avec l'écrit, plus de temps ni d'espace. Je me suis engagé à ses côtés avec sincérité, totalement. Nous nous sommes mariés en prison. J'en suis sorti en 2003 – j'ai bénéficié de 16 ans de remise de peine grâce à une loi sur la libération conditionnelle.
Aujourd'hui, nous vivons ensemble vers Fontainebleau, près de la forêt. L'amour, c'est le cœur de tout, c'est mon Graal. Il m'a forcé à dépasser ma petite personne. Jamais je n'aurais pensé parvenir à être ce que je suis aujourd'hui. Un être heureux, qui considère que la vie est un miracle. Ce que je suis aujourd'hui découle de ce que j'étais hier, donc je n'ai pas de regrets. Je ressens un bien-être, j'ai chaud à l'intérieur : c'est la vraie vie. Je ne regarde plus en arrière. Je profite de l'instant présent avec joie. Avec Jamila, nous habitons dans un appartement sans télévision, un objet que nous trouvons infantilisant.
Jamais je n'aurais pensé parvenir à être ce que je suis aujourd'hui. Un être heureux, qui considère que la vie est un miracle.
J'ai toujours aimé la nature. Chaque jour, je vais me promener dans les bois avec notre chien, Marcus, au moins deux heures. Je m'y sens paisible. J'apprécie d'autant plus ces lieux que j'en ai été privé. Je marche sous les marronniers, je lève les yeux au ciel, je vois la lumière, les branches. C'est magnifique. 
Depuis ma sortie de prison, j'ai continué de pratiquer le yoga et la méditation. Le yoga fait partie de moi. Tous les matins je me réveille vers 5 h. J'ai besoin de silence et de solitude. Puis, vers 6 h 30, je réveille Jamila. Parfois des amis m'appellent, un peu dépressifs, pour parler. Je leur remonte le moral pendant des heures. Ma seule douleur concerne les enfants. Les miens sont très peu venus me voir en prison. Je ne les ai revus qu'une fois, en 2005, à la sortie de mon premier livre : ils m'avaient entendu à la télé et ont voulu me rencontrer. Après plus rien. C'est un manque de ne pas les voir. Mais quand j'ai quitté l'univers carcéral, j'ai eu besoin de reconstruire ma vie avec Jamila. Je n'ai pas voulu d'interaction entre mon passé et mon présent. J'aurais aimé avoir un enfant avec Jamila, un enfant désiré, mais il n'est pas venu...
Une enfance marquée par sa rencontre avec un prêtre, l'abbé Zeller. Ici, lors de sa communion, en 1963, à Châlons-en-Champagne (Marne)
Pour être accepté dans sa famille, je me suis converti à l'islam – à une branche soufie, reliée à l'hindouisme. Je suis devenu Abdelnour, qui signifie « esclave de la lumière spirituelle » – c'est moi qui ai choisi ce nom. Mais je n'ai pas vraiment de religion, seulement un chemin de spiritualité. En haut de la montagne, tous les sentiers se rejoignent. Au final, il n'y a qu'un seul Dieu.
J'ai compris, une fois libre, la nécessité absolue d'être en accord avec soi-même. De ne pas s'encombrer la tête avec des broutilles, des petits tracas. On ne sait plus accueillir ce qui nous est offert. On oublie trop le goût des choses. Moi j'ai redécouvert le goût de l'eau. Pour ceux qui en ont à volonté, elle peut paraître insipide. Pour ceux qui en ont manqué, elle a un goût fantastique. Personnellement, j'ai eu très soif. Aujourd'hui, j'aime et je vis pour être sans regret au moment de mourir.
source : la Vie

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mardi 16 octobre 2018

Alexandre Jollien et la dépendance affective


Le Temps: Qu’est-ce qui vous a convaincu de révéler cette addiction sexuelle qui a failli vous détruire?
Alexandre Jollien: D’abord, je parlerais plutôt de dépendance affective, émotionnelle. Je me suis épris d’un corps idéal, je suis tombé dans un esclavage, dans une relation par Skype qui me conduisait droit dans le mur. De fil en aiguille, cette passion a été l’occasion d’une fabuleuse base de travail pour une réflexion philosophique: qu’est-ce que la liberté? Comment sortir de l’acrasie, le divorce qui sépare nos plus hautes aspirations et nos actes quotidiens? Comment oser un joyeux détachement? J’ai avant tout pensé à ceux qui triment dans la même servitude et se coltinent la dépendance. C’est en pensant à eux que j’ai osé la transparence. Enfin, je voulais montrer que le travail philosophique, c’est aussi et avant tout dépasser des rôles, revenir au fond du fond et faire le pari, finalement, que l’on peut être aimé inconditionnellement quels que soient nos blessures, nos traumatismes, nos faux pas.
Se mettre à nu ainsi, c’est aussi un exercice philosophique. Lequel est-ce?
Chögyam Trungpa, un maître tibétain dont la lecture a beaucoup fait pour me tirer d’affaire, parle d’hypocrisie, de fraude, de distorsion fondamentale. Méditer, entamer un travail de soi, c’est traquer les mensonges, les illusions, cesser de se la raconter, de baratiner, en un mot: devenir soi-même sans jamais s’imposer et cesser de ressembler à une marionnette en prenant conscience de ses blessures, de ses aspirations et de ses contradictions. Se mettre à nu, au fond, c’est oser quitter le vernis social, les fausses sécurités et rejoindre le fond du fond, la joie inconditionnelle.
Face à l’emprise de l’addiction, qu’est-ce qui vous a le plus aidé?
D’abord, la solidarité, ma femme, mes amis, ma famille ne m’ont jamais lâché la main. Il fallait faire péter le monopole de l’affection que j’avais concédé à une seule personne pour apprendre à retrouver la joie en tout. Les philosophes m’ont secouru énormément, mais aussi un thérapeute, Pierre Constantin, qui en proposant une thérapie par l’action, m’a soutenu. Sa pratique, géniale, s’appelle «le toboggan». Magnifique image du chemin intérieur: se laisser glisser sans s’accrocher à rien.
Comment faire rentrer la sexualité dans l’ascèse et la recherche de tempérance?
Qui fait l’amour? Un ego frustré, un mental déboussolé ou un être en chair et en os, généreux, espiègle, bienveillant? Sur ce point, Spinoza est un guide magnifique. Ce n’est pas le renoncement qui mène à la liberté, mais la joie qui conduit à la vraie délivrance, à la béatitude. Aussi pour y accéder, une question, cruciale, vitale: qu’est-ce qui me met en joie? Choisir un art de vivre qui nous dispose à la paix, voilà un choix éminemment philosophique.
A la fin du livre, vous parvenez à rire de vous-même et de cette expérience. Rire, c’est l’acte libérateur par excellence?
Dans La sagesse espiègle, j’ai eu à cœur de chercher des outils pour accueillir le chaos et les zones de turbulences que nous traversons. Ne pas faire grand cas de sa personne, balancer tout esprit de sérieux aide assurément à voyager plus léger, à glisser dans le toboggan sans se péter les ongles et à apprécier la beauté de notre carrière en ce bas monde.

Alexandre Jollien, La sagesse espiègle, Gallimard.

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lundi 15 octobre 2018

Vous méditez ? Ne cessez jamais l'entraînement


S'il y a quelque chose de très difficile à traduire par des mots, c'est cette prise en compte spécifique du réel, de la situation présente, sans le moindre artifice, sans le moindre écart, sans la moindre affectation. A chaque fois, l'attitude témoigne justement de ce qui n'est plus une attitude.

C'est frais, c'est neuf, c'est sans intention. Persiste seulement, cette intimité avec le réel, tellement fine, diaphane, délicate, subtile, que cela force un infini respect. Voici la trace laissée par Hirano Katsufumi Rôshi, maître zen sôtô, venu du Japon donner un enseignement au Centre Dürckheim.
Cet enseignement nous oblige, non pas à rester fixé sur des mots, il nous oblige dans le sens d'une actualisation de ce que nous avons vu et senti.
Le vent d'automne, les petites fleurs, la nature telle quelle... Le passage d'Hirano Rôshi au Centre a soufflé un vent de simplicité. Pas d'artifice, aucune prétention dans l'usage des mots. Tous les exemples cités sont des références à la nature. La nature, c'est la parfaite coïncidence avec les cycles voulus par la vie, c'est se laisser entraîner dans l'action irréfléchie de tout ce qui constitue le vivant. Les arbres ne luttent pas, la petite violette ne sait pas qu'elle est là, elle coïncide simplement avec son être-là.

L'entraînement (c'est bien le terme utilisé par Hirano Rôshi) consiste justement à se laisser entraîner dans cette participation au courant de la vie et ses multiples changements. Ne rien s'approprier tout en demeurant entièrement concerné (dans le sens de « être touché »), induit un travail incessant relatif à l'implication exercée dans l'assise. Cela nous engage à poursuivre et approfondir l'expression la plus juste qui soit de notre vraie nature, ce qui Est de soi- même, tel que c'est. Nous pouvons retrouver la source de cet enseignement dans le texte du Shôbôgenzô dont Dôgen est l'auteur : « L'enseignement fondamental est transmis grâce à la méditation assise, de cœur à cœur. Sans prêcher la voie avec la bouche, il suffit de montrer la forme avec justesse. »

Ce qui est travaillé, dans cet enseignement, c'est le degré d'implication qui est le juste « ne rien faire ». L'excès d'implication démontre un désir, or la nature est sans désir, le manque d'implication démontre un retrait, or la nature ne se retire jamais de la situation ; elle assume totalement, le printemps comme l'été, l'automne comme l'hiver.
Cette pratique, et c'est ce dont témoigne Hirano Rôshi dans sa manière d'être là, met en exergue un infini respect pour ce moment de vie qui nous arrive tel qu'il est, qu'il n'y a pas d'autre vérité que celle-là et que nous devons l'accueillir telle quelle. La vie, telle quelle, nous arrive maintenant. Le respect, c'est cette attitude intérieure qui fait que l'on ne peut envisager n'importe quelle action, si ordinaire soit-elle, si banale soit-elle, sans s'incliner intérieurement devant l'activité en cours.

Il n'y a là-dedans aucune quête, aucun signifiant, il y a juste cette célébration du moment, tout en nous gardant bien de confondre célébration et sacralisation. A chaque fois que nous entendons un tel enseignement, nous n'avons pas fait l'acquisition d'un savoir, mais nous nous sentons « obligés », c'est-à-dire confrontés à cette responsabilité d'accueillir le naturel nous laisser revenir à ce qu'il y a d'originel, à ce qui n'est pas de notre fait.

Les maîtres ne nous démontrent pas la logique d'un cheminement, ils dévoilent une manière d'être. Lorsqu'ils répondent à la question d'un disciple, ils le font par le biais d'une histoire qui témoigne d'une attitude devant une situation. C'est cela qui nous touche au plus profond et nous ramène de ce fait à une mise en pratique immédiate à travers l'exercice. Nous devons démontrer la simplicité, « montrer la forme avec justesse ». 

Hirano Rôshi le dit et le répète : « Ne cessez jamais l'entraînement ».

 Dominique Durand

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vendredi 12 octobre 2018

S’il m’était donné de comprendre !


Cette exclamation définit la mentalité de l’homme occidental.
S’il m’était donné de comprendre pourquoi il faut exercer l’absolue immobilité pendant zazen ? S’il m’était donné de comprendre la différence entre ce que Dürckheim appelle « le corps que l’homme “a” » et ce qu’il appelle « le corps que l’homme “est” » ?
S’il m’était donné de comprendre le pour quoi de cette marche lente (Kin Hin) entre deux périodes d’assise ?
S’il m’était donné de comprendre à quoi bon pratiquer zazen, alors je pourrai commencer à pratiquer !


Les promoteurs d’une méditation dite moderne, soi-disant inspirée de la méditation bouddhiste (qualifiée comme étant la méditation ancestrale), répondent à ces questions et à bien d’autres. Avec comme garantie l’impérieuse nécessité de l’objectivité scientifique.
Voici ce qu’écrit un chercheur en neurosciences (1) : « Il y a aujourd’hui beaucoup de recherches sur le cerveau des moines qui méditent qui démontrent ce qui se passe lorsque nous méditons. » Ne serait-il pas plus objectif, et donc rationnel, de conclure que ces recherches démontrent ce qui se passe lorsque « ce » moine médite ? La méditation est un champ d’expérience individuel. Comme l’écrivait C.G. Jung « Les éléphants ça n’existe pas ; il y a chaque fois un éléphant ! » Ce qui échappe au chercheur scientifique obsédé par les mesures quantitatives (scanner, IRM, ECG, etc.) c’est le vécu subjectif, le vécu intérieur intime de la personne qui médite. La méditation ancestrale n’a rien à faire de l’entendement dans lequel s’enferme l’esprit occidental.

L’entendement ! Ce mot désigne la faculté intellectuelle de comprendre, de concevoir, de saisir ce qui est intelligible. L’entendement est le moyen de la connaissance raisonnée par opposition à la connaissance sensorielle et intuitive.
La présence au Centre, le mois dernier, d’Hirano Roshi, confirme combien Graf Dürckheim a intégré ce que, après avoir séjourné au Japon pendant une dizaine d’années, il désignera comme étant l’esprit oriental ; la clé de compréhension de la méditation proposée par le Bouddha, il y a plus de vingt-cinq siècles.
A peine installé au Japon (1938) Graf Dürckheim, docteur en philosophie et docteur en psychologie, cherche à comprendre ce qu’est le zen en se fondant sur cet entendement propre à la tradition occidentale. Jusqu’au jour où Daisetz Teitaro Suzuki (2) lui dit, avec conviction, qu’il est impossible de réaliser ce qu’est le zen en prenant appui sur la pensée discursive, sur le raisonnement, sur l’esprit - dans son fonctionnement intellectuel. La seule façon d’aborder le zen est de se soumettre à la pratique d’un exercice. Exigence d’autant plus étonnante pour l’homme occidental qui entend que, parmi les exercices qui lui sont proposés, il y a, par exemple, le tir à l’arc traditionnel (Kyudo), l’art du combat au sabre (Kendo), la calligraphie (Shodo) ou la méditation silencieuse et sans objet (zazen).
Il a fallu beaucoup d’abnégation et d’humilité, à ce professeur de faculté, pour ne pas rester enfermé dans l’approche du réel à laquelle il était accoutumé et de s’engager sur une Voie qui n’est autre qu’un chemin d’exercice et d’expérience enseigné par un Maître. Dans le monde du zen il est dit que : « Le chemin est la technique ; la technique est le chemin ».

Voici la réponse d’Hirano Roshi à un participant qui lui disait ne pas comprendre l’importance donnée à l’exercice de la marche lente (très lente) proposée entre deux périodes de zazen. « Lorsque après zazen nous exerçons l’exercice de la marche (Kin Hin) l’attention aux pieds est importante. Notre façon de marcher fait partie des pratiques importantes dans le zen. Les personnes qui ont beaucoup pratiqué se remarquent par la beauté et la dignité de leur manière de marcher. Dans la vie de tous les jours nous devons accomplir avec sérieux et ardeur ce que nous avons à faire à l’instant ; chaque chose, une par une, soigneusement sans la bâcler ». Le maître zen ne cherche pas à savoir ce qui se passe dans le cerveau lorsqu’il exerce la marche lente. Il découvre, au cours d’une pratique quotidienne sans cesse renouvelée, que cet exercice participe au processus de transformation de soi-même ; jusqu’à l’expérience du grand calme qui émane de notre vraie nature, de notre propre essence.
La réponse du maître zen attire l’attention sur le vécu intérieur de la personne en chemin. Aux thèses savamment élaborées “à propos” de la méditation et des exercices méditatifs, le zen préfère l’exercice de la contemplation silencieuse de ce qui en chaque être humain est avant la science, avant la psychanalyse, avant la philosophie, avant la pensée, avant les raisonnements. Qu’est-ce qui est avant ? A l’origine ? Au commencement de notre existence ? Très simple : l’infaisable ! Ce qui n’est pas du ressort de « Je pense parce que je suis un être pensant » mais de « Je vis parce que je suis un être vivant ». Par exemple, d’instant en instant je respire et je n’y suis pour rien. S’il m’était donné de comprendre !

Je ne pratique pas la méditation zazen afin de comprendre quoi que ce soit. Je pratique quotidiennement cet exercice afin de me laisser saisir par l’infaisable ; les actions de l’être qui participent à l’épanouissement de l’être humain, au devenir soi-même. Je respire, donc je suis ! Et peu m’importe ce qui se passe dans le cerveau lorsque j’engage l’attention à JeInspireJeExprireJeInspireJeExprireJeInspireJeExprireJeInspireJeExprire… Ce que je découvre, ce que je sens et ressens, ce qui toujours de nouveau m’étonne c’est que, au cours de cet exercice, tout en moi se calme.

(1) Richard Davidson – chercheur en neurosciences – Université du Wisconsin – Madison. 
(2) Daisetz Teitaro Suzuki (1870-1966) a joué un rôle important dans l’intérêt pour le zen en Occident. C’est ce savant du zen qui a introduit Graf Dürckheim dans l’école où il a pratiqué le tir à l’arc. Lire la préface du livre de Eugen Herrigel : le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc (1953) Ed Dervy.


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