L’enfant dans son berceau. Ce visage, cette présence inouïe qui émerveille et intimide. Venu ici, parmi nous, après un long voyage que la science n’explique pas. Que les raisons n’élucident pas seules. Ces mains fripées, ces yeux mi-clos, c’est un petit vieillard vénérable. Neuf et très vétuste. Il a marché pendant combien de siècles pour venir au monde, là, maintenant ? Il a traversé la nuit, l’absence, les grandes étendues du rien, toute l’histoire passée.
Le silence qui le porte est sacré. Barrès disait : « Il ne faut pas dire que les enfants sont de petits animaux. Ce sont des rois-prêtres qui sommeillent. » Il écrivait ces mots devant son fils, nouveau-né, Philippe. Et moi j’écris ces mots en pensant à mon petit-fils, Marceau, né fin septembre. C’est toujours la vie qui nous souffle ce que nous devons écrire. Ou plutôt, c’est elle qui nous demande des mots qui soient fidèles à sa déchirante beauté, celle qui, justement, nous laisse sans voix. On écrit avec, toujours, cet espoir : qu’un peu de cette splendeur de la vie vienne animer nos paroles, les faire sortir de l’hiver qui les tient prisonnières.
Aziliz Le Corre vient d’écrire un très beau livre, un hymne à l’enfantement : L’enfant est l’avenir de l’homme (Albin Michel, 2024). On y trouve des arguments contre les voix qui désespèrent, contre les sirènes du renoncement qui, la main sur le cœur et le néant à la bouche, serinent à chaque instant leur venin : ne plus faire d’enfant pour sauver la Terre. On reconnaît le mal à sa manière de vouloir rendre préférable l’inexistence. De privilégier les idoles creuses (Gaïa, la planète) aux dépens de la vraie vie : le paysage, l’enfant, le foyer — le monde à taille humaine.
Quelqu’un au bout du fil
L’enfant vient au monde appelé par la confiance et l’amour. Novalis l’a dit d’une manière fulgurante et définitive dans le Brouillon général : « Un enfant est un amour devenu visible » (Allia, 2000). Cet amour est humain mais tout amour a une racine et une destination divines. Devant l’enfant, il nous vient le désir de remercier, de dire notre gratitude. Et même si l’on a une idée floue de ce qu’est Dieu, on sent bien, de tout notre être, qu’il y a quelqu’un au bout du fil de la reconnaissance.
Aziliz Le Corre cite un très beau poème écrit par René Char à la vue d’un nourrisson, Élisabeth, la fille du poète Jacques Dupin : « J’ai vu tes yeux bleus de vingt jours / Donner un frisson clair aux feuilles / De l’ormeau qui ferme le parc / Où bientôt tu trottineras. / J’ai vu ton père se grandir / En t’élevant sur sa poitrine, / Et ta mère se définir / En baisant tes joues d’algue douce. / Dans le berceau conciliant / Où tu rougis petite aurore, / Élisabeth, je te découvre / Comme la rose des sous-bois. / Et je suis heureux de cela, / Moi qui marche sous la pluie fine. »
Les plus beaux poèmes sont des poèmes de circonstance, enracinés dans la vraie vie qui n’est pas ailleurs mais là, sous nos yeux, juste derrière nos représentations, nos mots prévisibles, le sommeil de nos idées.
Cette foi dans le monde
Aziliz Le Corre raconte comment Hannah Arendt, écoutant à Munich, en 1952, l’oratorio de Haendel le Messie, a la révélation de ce que signifie, profondément, la naissance des enfants : « Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, “naturelle”, c’est finalement (…) la naissance d’hommes nouveaux, le fait qu’ils commencent à nouveau l’action dont ils sont capables par droit de naissance. » C’est cette espérance et cette foi dans le monde, poursuit Arendt, qui trouvent leur expression la plus resserrée et la plus glorieuse, dans la petite phrase des Évangiles : « Un enfant nous est né. »
Tout enfant redit la promesse. Toute naissance réintroduit dans le monde l’esprit du commencement. Le grand crépuscule où tourne en boucle notre mémoire de rose fanée est vaincu par presque rien : une toute petite aurore.
Emmanuel Godo
source : La Vie
---------------------