dimanche 18 décembre 2022

Benoît Billot : « Arrête, où cours-tu ? »

En cette période de l’Avent 2022, le bénédictin Benoît Billot confie : « Tout m’appelle à reconnaître la Présence cachée en moi, en toi, en nous… » Et si nous en faisions notre programme de vie pour les semaines à venir en tâchant de rompre avec nos habitudes de hâte et d’avidité ? Mode d'emploi.

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Longue file devant une porte qui donne accès au parc de la préfecture ; ils étaient là depuis 5 heures du matin : des immigrés, femmes et hommes, tous en quête du sacro-saint titre de séjour. Ils en avaient tant besoin. Mais ici, calmes et silencieux, peut-être résignés, peut-être révoltés.

Certains écoutaient une quelconque musique. D’autres les yeux fermés semblaient prier. Ils savaient bien ce qu’attendre signifiait pour eux. J’avais accompagné un des frères de ma communauté, étranger lui aussi, et il était maintenant en bonne place dans la file.

À 7 heures, un petit groupe de bénévoles était apparu avec thermos de café et gobelets. Des sourires et paroles gaies les avaient accueillis lorsqu’ils avaient remonté la file. À 8 heures, agitation générale : deux vigiles s’étaient manifestés derrière la grille et l’avaient ouverte, libérant le flot qui se précipitait vers la salle des guichets. Rituel qui se répétait trois fois par semaine, avant le Covid, il y a quatre ans.

Une Présence cachée en nous

Aujourd’hui il n’y a plus de queue fatigante, mais c’est bien pire : la prise de rendez-vous se fait par informatique, avec des procédures interminables et incompréhensibles. Ces demandeurs, quel espoir insensé les a donc amenés dans notre pays ? Réponse simple pour la plupart : le désir de vivre, inscrit au plus profond d’eux-mêmes.

Pourtant, les tracasseries administratives leur font bien comprendre l’opposition de nombreux habitants de notre pays. Nous venons de le constater avec l’aventure de l’Ocean Viking. Pour répondre à ce désir, nombre d’entre eux ont affronté les pires dangers et les mers, prêts à risquer leur vie plutôt que de vivoter dans la frustration. Ils s’obstinent donc, attendent, et savent pourquoi.

Savoir quoi espérer et comment attendre ! Certes, tout être humain vit espoirs et attentes. Mais qui ira plus loin et fera l’expérience essentielle de toute vie spirituelle : ressentir qu’à la source de ces attentes se fait entendre un cri déchirant vers un Ailleurs, pourtant niché dans l’ici et maintenant ?


Et découvrir qu’il y a une Vie cachée en toute vie, une Présence au-delà de toutes les présences, un À-venir au-delà de tous les projets d’avenir. Expérience donnée comme une grâce à ceux qui s’y préparent. Thich Nhât Hanh, maître de sagesse bouddhiste, conseillait : « Arrivé dans un bouchon de la circulation, ne t’énerve pas, regarde les feux stop de la voiture qui te précède : ce sont les yeux de Bouddha qui te regardent. »

Quatre semaines pour s’exercer

Saine sagesse spirituelle du désir et de l’attente, nécessaire pour les grands insatisfaits que nous sommes, nous qui voulons avoir tout, et tout de suite. Angelus Silesius écrivait en 1675, dans le Pèlerin chérubinique : « Arrête, où cours-tu donc, le ciel est en toi : et chercher Dieu ailleurs, c’est le manquer toujours. »

Christiane Singer en avait même fait le titre d’un de ses livres. Tout m’appelle à reconnaître la Présence cachée en moi, en toi, en nous, dans nos rencontres, nos travaux, nos rêves, nos erreurs et nos impatiences. Depuis ma conception, je suis dans la file. J’y accueille avec reconnaissance la présence de mes compagnons d’attente, et la visite de celles et ceux qui viennent me soutenir. J’ai à découvrir que je suis dans la longue recherche d’un titre de séjour. Pour poser mes pieds sur le roc solide de la vie, le Royaume, qui n’est pas ailleurs, mais au fondement de ce que je suis… en attendant la naturalisation, que dans ma tradition on nomme Résurrection.

Malgré ses abominations, l’Église est bonne Mère : elle fait le cadeau de quatre semaines avant Noël pour s’y exercer ensemble. Seulement continuer la vie habituelle en la débarrassant de la hâte, de l’avidité, dans la conscience de ce « ciel en moi ». Il est là, je n’en puis douter : j’en ai eu tant de signes. Encore une parole d’Angelus Silesius : « Le Christ pourrait naître mille fois à Bethléem, s’il ne naît en ton cœur, sa naissance ne sert à rien. »


Benoît Billot est bénédictin, moine dans la ville au prieuré Saint-Benoît d’Étiolles, dans l’Essonne. Adepte du zazen, il a fondé la Maison de Tobie. Il a notamment publié Lumières dans l’ordinaire des jours et l’Énergie féconde des sacrements (Médiaspaul).

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