samedi 6 décembre 2025

A mon âge …

 

Des personnes qui ont dépassé la soixantaine me disent que la Voie tracée par Graf Dürckheim les attire. Nombreuses sont celles qui regrettent de n'avoir pas entendu parler de ce chemin qui a pour but l'éveil au vrai soi-même plus tôt et pensent qu'à leur âge c'est sans doute trop tard. Je ne pense pas qu'il soit trop tard.


Lorsqu'on fête son 60ième , son 70ième anniversaire ou comme c'est mon cas son 90ième anniversaire, c'est qu'on respire encore. Et je vous pose une question qui va vous paraître 
curieuse : - Quel âge a votre respiration ?

Au cours d'une journée, que vous soyez allongé, assis, debout ou en train de marcher vous respirez ! Jour et nuit vous respirez. Et cette action vitale n'a pas d'âge. Elle s'organise et se réalise d'instant en instant selon un ordre des choses qui dépasse tout ce que nous sommes à même de faire. Respirer est inné. Respirer est naturel. Respirer relève de l'ontologie. Respirer est infaisable. Je suis obligé de respirer ... même la nuit. Respirer est non seulement existentiel mais essentiel. Respirer relève de l'ontologie, du verbe être, de l'acte d'être.

Ce qui importe lorsqu'on chemine sur la Voie qu'est le zen est la découverte de cette part essentielle de nous-mêmes qui est faite ... d'infaisable. Il n'est pas d'âge pour se mettre en chemin vers une telle découverte.

Quelle que soit la couleur de ma peau, quel que soit mon âge, quel que soit mon vêtement de métier, que je sois croyant, agnostique, athée en ce moment je inspire et moi je n'y suis pour rien ; je expire et moi je n'y suis pour rien.

C'est ce qu'il y a d'infaisable qui est la source de ces qualités d'être qui ont pour nom : le calme intérieur, la confiance en soi et la simple joie d'être. Il n'est pas d'âge qui empêcherait ou favoriserait l'expérience de notre état de santé fondamental.

Pas d'âge mais un devoir incontournable : cesser de fuir l'essentiel.

Ce devoir implique de prendre un chemin inhabituel : la pratique d'un exercice. Le chemin est la technique ; la technique est le chemin.

Quel exercice ? Le premier consiste à porter attention à la respiration. L'homme occidental pense que la respiration est quelque chose : une fonction physiologique.


Dans ce cas il y a moi et il y a quelque chose qui n'est pas moi, la respiration. Point de vue dualiste sur le réel.

Le jour où j'ai entendu Graf Dürckheim dire "La respiration est la signature de la Vie" je ne pouvais plus penser la respiration comme étant quelque chose. Au moment même, sans l'avoir prémédité, je me sentais emporté par ce geste de la Vie toujours en train de créer des formes vivantes. Je me sentais habité par cette loi qui veut que être c'est devenir et que devenir c'est être. Et qui plus est, être c'est maintenant, en ce moment au cours duquel j'inspire ... en ce moment au cours duquel j'expire ! Il n'y avait plus le passé, le présent, le futur. Il n'y avait plus que le présent.

Lorsque l'attachement au passé (qui existentiellement a été, et plus jamais ne sera) et lorsque l'attachement au futur (qui existentiellement est à venir peut-être) laisse place au moment présent vous êtes libéré des désirs et des craintes qui polluent votre vie intérieure.

" Si vous pratiquez vraiment zazen le corps prend la forme du calme". Je ne cherchais plus à comprendre cette indication que renouvelait le maître Zen qui est venu au Centre pendant une dizaine d'années. Je me sentais immergé dans ce grand calme qui n'est pas le contraire de l'agitation mais l'absence de toute agitation.

Malgré ces quelques indications des personnes pensent qu’à cause des désastres propres au grand âge elles ne pourront pas bénéficier de certains exercices. À la personne qui m'a écrit qu'il lui était impossible de s'asseoir dans la position du lotus j'ai répondu que je lui interdirais de s'asseoir dans un positionnement inconfortable et quelle pourrait pratiquer zazen sur une chaise. Le zen qui est envisagé comme étant une ascèse mortifiante n'est pas le zen. Le zen est une ascèse vivifiante accessible à tout âge.

Aux membres du troisième et du quatrième âge je me permet une confidence. C'est la toute première fois de ma vie que je fais l'expérience de vivre à quelques semaines d'un 91ième anniversaire. Oui, la toute première fois. Ce que je vis et comment je le vis est absolument ... neuf. Et c'est loin d'être inintéressant.

Pour le décrire je suis obligé de sortir du carcan qu'est la grammaire. Je ne peux plus écrire Je-suis ou Je-inspire. Pour exprimer ce que je sens et ressens me voilà obligé d'écrire JeSuis et d'écrire JeInspire.

Parce que, en vérité, il n'y a ni distance ni écart de temps entre le sujet et le verbe. Pas de séparation. Pas d'opposition. L'expérience d'être UN en soi-même et avec tout. La pensée divise et oppose. La sensation unit, joint.

Et, comme le rappelle l'histoire de la vague qui lorsqu’elle se sent unie à l'océan vit son parcours dans le monde dans un sentiment de sécurité, il est vrai que lorsqu'on pratique vraiment zazen, le corps vivant, le corps que nous sommes prend la forme du calme.

D'autant plus si le grand âge vous emporte on ne sait ni où ni quand, ne demandez pas qu'on vous explique ce qu'est le zen et pourquoi pratiquer zazen afin d'avoir de bonnes raisons pour pratiquer.

Lorsque j'ai demandé à Graf Dürckheim s'il pouvait me donner une bonne raison pour pratiquer zazen quotidiennement il m'a répondu " Oui. Je peux vous donner une bonne raison ... pratiquez parce que c'est l'heure de pratiquer".

(C'était le jour de mon 30ième anniversaire !)

 Jacques Castermane

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