« Affligé de cette parole, cet homme s’en alla tout triste car il avait de grands biens »
Evangile selon Marc
celle
sans cesse recommencée
de siècle en siècle
de contrée en contrée
de chef en chef
de peuple en peuple
matière des livres dits d’histoire
mécanique de mort
en mode éternel retour
Dieu merci
il a été dans mon destin
d’en faire une autre
bien moins connue
pas moins récurrente
mais touchant moins d’appelés
la guerre invisible
celle
dont les livres d’histoire ne disent mot
de siècle en siècle
de contrée en contrée
d’ami spirituel en ami spirituel
d’élève en élève
matière de récits obscurs
inintelligibles à la plupart
dynamique de la grâce
de cette guerre
entamée comme toutes les guerres
fleur au fusil
illusions en berne
rêves de gloire
et de hauts faits
de cette guerre
qui comme toutes les guerres
s’est avérée âpre
romantisme fracassé
sur la cruauté de la bataille
de cette autre guerre
pour mon plus grand bien
je suis sorti
sinon anéanti,
du moins proprement défait
bel uniforme en lambeaux
démarche hésitante
quelques séquelles
et souvenirs incommunicables
cependant neuf
reconnaissant
d’avoir été acculé à la reddition
au terme d’une résistance pied à pied
défense d’un ordre ancien
de toutes façons condamné
vieux soldat désormais
je savoure une paix balbutiante
ici et là traversée de résurgences
de combats
périmés
mais si tenaces
en leur volonté
de se perpétuer dans le vide
depuis ma retraite
mes médailles remisées
de mon œil amène
mais à qui on ne la fait pas
j’observe les recrues d’aujourd’hui
beaucoup se contentent
d’observer de loin la bataille
parfois fournissent ravitaillement
acclamations et harangues
d’aucuns se rapprochent
rôdent aux confins des combats
au risque de prendre une balle perdue
ou d’être assourdi par le grondement du canon
quelques uns
dont c’était le destin
n’ont pu faire autrement
que d’avancer en première ligne
je les vois charger
ici et là reculer
pour repartir à l’assaut
à ceux là je dis
il n’est plus temps de reculer
même si dans cette guerre là
les apparences donnent à croire
qu’il serait facile
à tout moment de se retirer
ramasser son paquetage
regagner sans trop de dommages
son petit carré tranquille
d’aucuns le font
tels le jeune homme riche de l’Evangile
ils tournent les talons
à jamais tristes en profondeur
en surface soulagés
s’ils s’en vont
c’est qu’ils ont de trop grands biens
dont le plus précieux à leurs yeux
leur image
ce récit
qu’ils dévident à l’envi
rarissimes
ceux qui confessent
leur simple trouille
déserteurs, eux ?
tout au contraire se récrient ils
peaufinant leur narratif
eux combattants plus lucides
que les vieux officiers
dont il est entendu qu’ils se sont égarés
et de vivre désormais
peinards
autant que hantés
eux qui, oui, ont donné
observé tous les commandements
Si je déplore
qu’ils terminent ainsi mi cuits
je ne m’octroie pas licence de juger
chacun n’a t-il pas droit
à son camp retranché ?
Gilles Farcet
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