lundi 6 juin 2022

Nouveau recueil de Sabine Dewulf

 


Je suis l’attristée sans racine

suspendue à la Terre
sans raison ni tempête.

J’ai cru aux pensées imbibées de puissance.

Un jour je quitterai l’empire du revers,
dans le désir profond m’inscrirai en oiseau.

Cet air nous sommes.

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Isabelle Lévesque : La rêverie et la réflexion autour du "Porte-monde" d’Ise ont-elles modifié ta vision du monde, de l’espace, du temps ? Comment cela a-t-il influencé ta façon d’envisager l’écriture du poème et son visage ? On peut remarquer de courtes strophes (2 vers, parfois un seul), des caractères romains et italiques, des traits séparateurs…


Sabine Dewulf : Je dirais que cette œuvre m’a d’abord aidée à apprivoiser mon corps et mon visage. J’ai appris, en la contemplant, à mieux sentir combien mon corps – et ceux des autres ! – appartenait au monde et combien mon visage n’était visible que dans cet ovale du miroir que l’œuvre semble présenter, à distance de mon être réel. C’est en tout cas comme cela que j’ai choisi de regarder ce "Porte-monde" (qui comporte évidemment bien d’autres possibilités d’interprétation !). Le visage dans le miroir fait partie des éléments du monde, il diffère de ma propre conscience : c’est souvent le « tu » auquel le « je » s’adresse (mais pas toujours : parfois, ils s’inversent et j’ai laissé faire ce mouvement d’interversion).

Cette œuvre m’a aussi aidée à écrire de manière plus lucide, plus incisive. Les caractères italiques correspondent à la voix la plus sage en moi-même, la plus ample, celle qui est apte à contempler l’œuvre entière et qui voit à la fois le visage et son corps en forme de monde, qui est donc capable de tout réunir. Les caractères romains sont au contraire le cri du moi instable, insécure, de celui qui se prend pour ce visage isolé, dont une larme s’échappe. Les traits séparent ces deux voix pour que la seconde puisse soutenir et éclairer la première.

Isabelle Lévesque : Ton livre interroge à la fois sur la mise au monde et sur la naissance, sur l’attente et l’espérance comme sur la perte et la finitude, sur notre rapport à l’autre et aux autres… Que t’a apporté le fait de passer par l’œuvre d’une artiste pour aborder ces questions au lieu de les aborder directement ?


Sabine Dewulf : Passer par l’œuvre d’une artiste de cette envergure a été d’abord pour moi un soutien. Je n’étais plus seule, j’étais accompagnée par une présence très forte, quand je sentais la mienne vaciller.

C’était ensuite une source d’inspiration constamment renouvelée. Le risque, quand on n’écrit qu’à partir de soi-même, est de se replier sur soi, de s’appauvrir. La richesse d’une telle œuvre me préservait de ce danger. Elle m’a obligée à m’ouvrir et à aiguiser ma sensibilité, y compris aux souffrances des autres, que je les aie ou non côtoyés.

Enfin, cette œuvre m’a offert de manière très concrète (la matière textile est particulièrement dense) une image de la Terre comme un corps très précieux à chérir et à préserver. En ces temps d’incertitude majeure (l’humanité survivra-t-elle aux changements planétaires qui s’amorcent ?), elle m’a été un rappel permanent de la nécessité d’être présente, du mieux que je le peux, à notre monde.

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