lundi 30 mai 2022

Interview de Gilles Farcet (1)

 La Réalité est un concept à géométrie variable… Le titre est tellement bon que j’ai d’abord hésité à ouvrir le livre de peur que le reste ne soit pas à la hauteur. Homme de peu de foi ! Les textes de ce recueil tiennent évidemment leurs promesses et au-delà… Tout comme son auteur, le livre de Gilles Farcet séduit, déroute, enthousiasme et irrite. Au moment où je pense en avoir fait le tour, je m’y replonge de plus belle sans trop savoir pourquoi… Ayant renoncé à toute prétention littéraire, le Gilles de la maturité est plus écrivain que jamais. Libérée de ses préciosités, son écriture a gagné en candeur et en intensité. Pour employer le vocabulaire de Monsieur Gurdjieff, je dirais que ses derniers livres ne sont plus l’œuvre de sa « personnalité » mais celle de son « essence ».

Photo: Christian Petit

Frédéric Blanc : Ton nouveau livre est de toute évidence une œuvre profondément intime. J’ai donc été surpris de découvrir qu’il était rédigé à la troisième personne du singulier.

Gilles Farcet : Je comprends que cela t’étonne. Je n’ai malheureusement pas beaucoup d’explications à te donner à ce sujet… Dès le départ, ce « il » s’est imposé à moi comme une évidence. Il ne s’agit donc pas d’une décision raisonnée, encore moins d’une coquetterie de style.

Frédéric Blanc : Pourquoi et comment as-tu écrit ce livre ?

Gilles Farcet : Ce livre est un peu le fruit du hasard. Il a été rédigé durant le premier confinement… Quand j’ai commencé à travailler aux textes qui le composent, je n’avais pas du tout le projet d’en faire un livre… J’avais du temps devant moi et j’ai commencé à écrire au fil de la plume. Je n’avais aucun sujet particulier en tête et aucune idée de la manière dont je finirai ou non par valoriser ces textes. Comme je te le disais, le « il » s’est imposé dès le début… Au final, ce choix est moins paradoxal qu’il n’y paraît… Je cherche à évoquer ici des sentiments (j’emploie ici ce mot au sens que lui donne Swami Prajnanpad) d’une certaine qualité objective. Pour intimes qu’ils soient, ils n’ont pas grand-chose de personnel. Ce n’est pas parce qu’ils sont ressentis par moi, qu’ils m’appartiennent. J’aurais été très embarrassé d’employer la première personne du singulier… Un peu comme si je cherchais à m’approprier quelque chose qui me dépasse.

Frédéric Blanc : C’est pourtant ton nom qui figure sur la couverture du livre…

Gilles Farcet : C’est vrai. On touche ici à l’ambiguïté de l’écriture… et de la publication. Si encore j’avais enterré ces textes au fond d’un tiroir ! Mais à partir du moment où je fais la démarche de les rassembler et de les soumettre à un éditeur, on a beau jeu de m’objecter que je m’approprie quelque chose. Oui, c’est bien un livre de Gilles Farcet et non un livre anonyme comme il a en existé autrefois dans une certaine tradition mystique. Un moine écrivait un ouvrage de théologie et le signait « Un chartreux ». C’est le cas de certains grands textes médiévaux. Je ne compare évidemment pas mon texte à un chef d’œuvre mystique du moyen-âge. Je ne le compare à rien d’ailleurs… Tout ce que je dis, c’est que ces textes auraient pu être publiés de manière anonyme même si ce genre de démarche n’est plus vraiment concevable dans le contexte actuel. Je ne suis pas certain que mon éditeur se serait montré très compréhensif…

Frédéric Blanc : Tu affirmes avoir commencé à écrire sans avoir de projet éditorial. Quand et pourquoi as-tu changé d’avis ?

Gilles Farcet : Ces textes se sont donc écrits au fil de la plume… J’ai travaillé très rapidement. Leur rédaction s’étale sur quelques semaines… Je les ai ensuite mis de côté. Lorsque je les ai repris, je me suis contenté d’effectuer quelques légères corrections... Le premier jet était satisfaisant… J’avais dit ce que j’avais à dire… Selon mon habitude, j’ai alors posté un ou deux textes sur ma page Facebook dont je me sers comme d’une sorte de laboratoire… [Silence]... Moi qui suis souvent très critique à l’égard des réseaux sociaux, je dois avouer que le fait d’avoir une page d’auteur est assez génial. On peut y présenter un texte et en mesurer immédiatement l’impact. C’est exactement ce qui s’est passé pour ce livre. Les extraits que j’ai partagés sur Facebook ont reçu des retours si positifs que je me suis dit que cela valait la peine de le faire publier. C’est une question de tempérament aussi… L’écriture est à mes yeux une démarche de partage. Elle relève du dialogue, de la transmission. Je conçois mal d’écrire un texte dont je serais le seul lecteur… Il me serait par exemple impossible de tenir un journal intime. De ce point de vue, les réseaux sociaux m’ont été immensément utiles. Je me demande si mes derniers recueils de poèmes auraient vu le jour sans cette possibilité de partage immédiat… Je n’y avais jamais réfléchi mais sans Facebook, l’idée d’écrire de nouveaux poèmes ne me serait peut-être même pas venue à l’esprit… Tout cela est donc très circonstanciel. Parmi les autres événements déclencheurs, il faut évidemment citer ma rencontre avec Jonas Enders, le directeur des Éditions L’Originel Antoni. J’apprécie beaucoup son travail.

Frédéric Blanc : Ton texte, si précis dans la description de certains sentiments, reste flou sur certains autres aspects. Tu y évoques par exemple un certain nombre de figures qui ont marqué ta vie et ton parcours : Yvan Amar, Arnaud Desjardins, Lee Lozowick, Yogi Ramsuratkumar… Tu te gardes cependant bien de mentionner leurs noms.


Gilles Farcet : Effectivement… Là encore, c’est moins un parti pris qu’une évidence. Ça s’est tout simplement imposé comme ça… En y réfléchissant, je me dis que c’est cohérent par rapport à la démarche de l’écriture. Ces textes expriment des sentiments intimes mais impersonnels. Quand j’évoque par exemple mon ami spirituel, je n’évoque pas tant la personne, Arnaud Desjardins, que la fonction. A tort ou à raison, je me dis que ce texte aurait pu être écrit par un autre. Quelqu’un qui aurait suivi une voie analogue mais dans un autre contexte, sous la supervision d’un autre ami spirituel, aurait pu écrire quelque chose d’assez semblable. Peut-être pas dans la forme, mais certainement dans l’esprit…

Frédéric Blanc : Considères-tu que ton texte relève de la littérature ?

Gilles Farcet : Un texte relève de la littérature à partir du moment où il est l’œuvre d’un écrivain… Il est toujours délicat de s’attribuer à soi-même un tel titre. Cependant, comme il m’a été accordé par d’autres, j’assume. L’humilité est une belle valeur mais j’ai horreur de la fausse modestie. Accordons-nous donc sur le fait que ce texte n’a pas été écrit par un amateur qui partagerait son expérience de manière factuelle et descriptive mais est bien l’œuvre du professionnel de l’écriture que j’ai été et reste. Cela dit, mon but n’était pas de produire un chef d'œuvre littéraire. Il y a bien longtemps que j’ai cessé de nourrir ce genre d’ambitions. En serais-je d’ailleurs capable ? Ainsi que je te l’ai dit, je n’ai pas senti la nécessité de retravailler mon texte en profondeur.

Frédéric Blanc : J’ai bien compris que les coquetteries de style t’étaient à présent indifférentes… Il n’en reste pas moins que toute activité littéraire implique une préoccupation esthétique. Quels sont très critères en la matière ? Comment essaies-tu de travailler cet aspect-là de ton écriture ?

Gilles Farcet : Je ne le travaille plus. Le style a cessé d’être une préoccupation consciente. Je me contente désormais de mettre ma technique au service de ce qui me tient profondément à cœur. J’écris de manière très libre, très instinctive. Ça coule tout seul. C’est un jaillissement assez spontané, parfois mêlé d’images.

Frédéric Blanc : J’imagine que ce n’est pas ainsi que tu écris tes essais…

Gilles Farcet : Absolument pas.

Frédéric Blanc : Qu’est-ce qui change ?

Gilles Farcet : L’écriture d’un essai comme Une boussole dans le brouillard représente un travail totalement différent. C’est un manuel de pédagogie spirituelle dont le but est de clarifier les notions essentielles de la voie. Même s’il ne s’agit pas d’un ouvrage purement théorique, sa rédaction est tout de même un processus très cérébral. Il me serait impossible d’en improviser la rédaction. Chacun de ses chapitres est le fruit de jours, voire de semaines de réflexion. Pour le coup, je retravaille énormément. Pour être aussi clair et utile que possible, je passe des heures à structurer et condenser mon propos. Je dois dire que c’est un travail assez laborieux.

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